BRUXELLES, 10 MARS 1996: INTERVENTION DE THOMAS NAGANT, AU NOM DES GROUPES DE SOUTIEN AU TIBET
Chers Amis,
Au nom des Groupes de soutien au Tibet, dont le nombre et les motivations ne cessent de croître à travers l'Europe, je tiens également à vous remercier tous pour votre présence et pour votre enthousiasme.
L'événement d'aujourd'hui, soyez-en sûrs n'est que le premier pas d'une mobilisation qui s'élargira de mois en mois jusqu'à ce que justice soit rendue, jusqu'à ce que le Tibet puisse prendre part, comme pays libre aux grands débats du monde a venir. Pour atteindre cet objectif, nous avons tous un rôle à jouer, car la question du Tibet nous concerne tous.
En effet, nous, membres des TSG ou d'autres groupes de soutien, nous sommes solidaires des Tibétains. Nous vivons sur la même planète et nous aspirons ensemble à plus de tolérance, plus de justice et plus d'harmonie en cette fin de siècle ou le chaos semble vouloir présider à nouveau aux rapports entre les nations... Nous le disons avec force: ceux qui restent indifférents aux souffrances du Tibet sont indifférents envers eux-mêmes, et envers leur propre avenir.
C'est pourquoi nous nous élevons avec vigueur contre le discours que nos gouvernements tentent de nous faire avaler, tout entiers livrés à leur concurrence débridée pour s'arracher des parts du marché chinois au mépris de toute considération pour les droits les plus élémentaires de la personne humaine. On nous fait croire que le commerce est une manière d'amener la Chine à assouplir sa politique; que nous ne pouvons ignorer les différences de culture entre l'Europe et l'Asie; que les droits fondamentaux ne s'appliquent pas partout de la même manière; et que par conséquent nous ne devons pas avoir de scrupules... Mais il n'y a pas des droits de l'homme pour l'Europe et des droits de nomme pour l'Asie; et il n'y a pas plus de droits des peuples propres à l'Europe et des droits des peuples propres à l'Asie, qui seraient différents! Une invasion reste une invasion, un homme torturé reste un homme torturé quelle que soit l'histoire, la culture ou le contexte qui président à ces exactions! Cette manière hypocrite
de baisser pavillon face aux impératif commerciaux n'est pas digne de l'Europe et n'est pas digne des idéaux démocratiques que nos gouvernements sont sensés incarner.
Mais j'ai lu avec intérêt ce vendredi la conclusion du rapport annuel du département d'Etat américain, qui reconnaît l'échec évident de la politique de promotion des droits de l'homme au travers des seuls échanges commerciaux. Ainsi se confirme ce que nous pensons depuis toujours: agir de manière juste, ce n'est pas traiter avec ceux qui sont prédisposés à l'injustice.
Ils ont bonne mine maintenant nos premiers ministres et présidents des quinze, qui rentraient de Bangkok avec des trémolos dans la voix en évoquant l'avenir radieux des populations que nous allions aider à se développer en intensifiant nos relations commerciales avec, notamment, le régime de Li Peng. Ils ont bonne mine nos commis-voyageurs, à qui l'on a intimé l'ordre de ne pas se poser de questions douloureuses, et qui s'y sont pliés!
... Ou plutôt ressembleraient-ils à des pigeons-voyageurs, qui ne peuvent ou ne veulent pas apercevoir combien le jeu qu'ils jouent est dangereux. En attendant, il faudrait montrer patte blanche, ne pas chatouiller les susceptibilités des autorités chinoiseset donc faire l'impasse sur tout ce qui fait tache dans le paysage, en particulier quand il s'agit du sort du Tibet! Ainsi avons nous compris le sens des pressions que le Gouvernement belge, par la voix du Ministre de l'intérieur, a voulu exercer sur les communes qui avaient accepté de hisser aujourd'hui le drapeau tibétain. Cela, nous ne pouvons l'accepter. L'invasion du Tibet n'est pas un malheureux épisode du passé: c'est une question brûlante qu'il s'agit de régler, en soutenant son indépendance. A défaut, ce sont nos propres valeurs qui seraient en péril et qui s'etioleraient peu à peu sous la pression combinée de la lâcheté d'état et des impératifs du profit.
Tel est d'ailleurs l'autre message des Tibet Support Groups à l'opinion publique: si nous ne nous soucions pas du peuple tibétain, mais également de tous les peuples privés de liberté à travers le monde, alors nous mettons notre propre avenir en danger, et celui de nos enfants. Il y a cette fameuse loi physique qu'énonce qu'un papillon battant des ailes d'un coté de l'Atlantique, provoque une tempête de l'autre coté: c'est très exactement ce qui est en train de se passer avec le Tibet.
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Le peuple tibétain risque de mourir de nos silences. S'il venait à mourir vraiment, c'est une part de nous-mêmes qui s'envolerait. Seule notre solidarité totale et non-violente avec les tibétains peut encore empêcher l'issue fatale qui se profile.
Alors nous devons tout tenter! Car, comme le dit si bien le philosophe français Michel Serres: "... dans le pays de toutes les raretés, par les circonstances les plus improbables, vers les sommets les plus hauts du monde, vous allez rencontrer une espèce en danger, qui risque demain de disparaître, et sur laquelle vous allez vous-même changer votre jugement: l'espèce humaine...".