UNE COMMUNAUTE ELARGIE, D'ACCORD, MAIS SURTOUT UNE PATRIE NOMMEE EUROPE
de Emanuele Gazzo
(Agence Europe, Lundi/Mardi/Mercredi 1er, 2 et 3 avril 1985)
On a beau être blasé, souvent déçu, et malade d"'Euro-scepticisme". Mais pour ceux qui ont vu naître ou qui sont contribué directement ou indirectement à bâtir la
Communauté Européenne, celle que "les autres" (y compris à l'époque, le Royaume-Uni...) qualifiaient avec sarcasme de "petite Europe", le double événement du dernier week- end ne peut qu'être un motif de satisfaction profonde, et d'encouragement à entreprendre, même si des raisons d'inquiétude subsistent. Il est extrêmement important que deux nations qui ont un patrimoine historique et culturel de très grande envergure, aient décidé, dès qu'elles sont revenues dans le giron des démocraties représentatives, de se joindre à l'"aventure européenne" en sachant que c'est une aventure et qu'il y avait un prix à payer. (...)
Nous reviendrons sur la portée historique de cet élargissement - riche en réalités mais aussi en symboles - de l'Europe à la péninsule ibérique. Nous n'avions jamais douté de cette issue. Tant il est vrai qu'en mars 1978 nous disions à M. Calvo Sotelo que du moment que l'Espagne avait demandé à devenir membre de la Communauté, elle était déjà dans la Communauté, même si la négociation des modalités, respectueuses des intérêts de tous, aurait été très longue. La même chose, nous l'avions dite à Mario Soares quelques mois auparavant. Aujourd'hui, il faut passer le plus rapidement possible à la conclusion formelle, à savoir la signature des accords et à la conclusion juridique: leur ratification avant la fin de l'année.
Mais à partir de maintenant, il faut redoubler les efforts pour faire en sorte l'Europe devienne ce que les Espagnols et les Portugais ont im : un marché sans doute, mais surtout une patrie nouvelle et solidaire. Le chemin à parcourir n'est pas facile (et on s'en est aperçu au Conseil Européen) mais il est ouvert. (...)
(...) Que faut-il faire, maintenant que l'on devient douze, ce qui en principe rendra la vie en commun encore plus difficile? Il faudrait réaliser l'accroissement "qualitatif" qui permettrait d'atteindre l'objectif que les fondateurs de la Communauté s'étaient fixé en 1950, à savoir la création d'une Fédération européenne. Aujourd'hui, le "Herald Tribune" écrit que désormais: "Europe happens to be a business, not just an ideal". Cette comparaison - opposition entre affaires et idéal est déplacée. L'union de l'Europe est un "idéal" dont la réalisation est dans l'intérêt des peuples européens et de l'ensemble du Vieux Continent. Sa réalisation passe par l'"organisation" et notamment par la création d'un "espace homogène", ce qui ne veut pas dire "uniforme". Pour que cet espace devienne homogène, l'Europe doit être autre chose qu'une addition ou un amalgame d'hétérogénéités. Elle doit devenir une "unité organique", biologiquement capable d'exploiter les synergies propres à tout organisme vivant, et par là de mu
ltiplier les résultats qui se dégagent de ses différentes fonctions.
Cet accroissement "qualitatif", s'il pouvait se réaliser, se manifesterait dans tous les domaines: il serait par vocation. Il n'y a pas de frontière entre le social et l'économique, entre celui-ci et la politique et ce que l'on appelle le militaire. Ce n'est donc que par cet accroissement autre que territorial que la Communauté, devenue l'Union Européenne, aurait une assise lui permettant de dialoguer d'égal à égal avec n'importe qui dans ce monde, et de contribuer à une organisation pacifique de la planète.
Organiser un espace donné, en l'occurrence la Communauté élargie, signifie le doter d'un système de gouvernement. Ceux qui croient qu'organisation et gouvernement sont synonymes d'"illibéralisme" se trompent. "Dérégulation" et liberté n'ont de sens et d'application pratique qu'à l'intérieur d'un cadre où la loi s'impose à tous et est égale pour tous.
Maintenant que "les scories du passé" ont été à peu près liquidées et que la Communauté a atteint une dimension que l'on peut considérer comme "stable", il faut penser à l'avenir. Il faut, comme l'a dit Delors, "prendre à pleins bras l'avenir". Le Conseil Européen de Bruxelles devait être une première ouverture sur l'avenir. Malheureusement, il n'a fait qu'un tout petit pas, presque imperceptible, sur la bonne voie. (...)"