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Conferenza Emma Bonino
Partito Radicale Maurizio - 8 ottobre 1997
Intervention * 1èr "Humanitarian Echoes", Bruxelles, Centre Borchette
Intervention de Emma Bonino

Commissaire Européenne chargé de l'aide humanitaire

- Je tiens tout d'abord à remercier Jacques Delors, pour l'intuition éthique et politique qui a donné à l'Europe sa projection humanitaire, ECHO. Je ne saurais d'ailleurs oublier ici un absent - excusé - qui a donné une contribution décisive à la naissance d'ECHO: mon ami et collègue Manolo Marin;

- il m'appartient aussi de remercier ici publiquement tous ceux qui, dans leurs fonctions diverses - ont apporté leur contribution d'enthousiasme, de courage, de professionnalisme aux idéaux humanitaires en même temps qu'à l'idée européenne;

- ECHO a 5 ans, voilà une étape que l'on pourrait célébrer avec du champagne si nous étions une entreprise privée. Car en si peu de temps, le logo d'ECHO a réussi à marquer la présence de l'Europe solidaire aux quatre coins de la planète: en tant que principal donateur d'aide humanitaire du monde entier, doué d'un corps expérimenté de fonctionnaires, fondé sur des règles inspirées par les principes des conventions internationales, soutenu avec passion - jusqu'ici - par l'opinion publique;

- en réalité, l'idée même de fête est quelque peu étrangère à la culture et à l'activité quotidienne d'ECHO; une activité qui s'accroît au fil et à mesure que les misères du monde se multiplient, dont les rythmes et les théâtres d'opération sont bien représentés par les visages de l'humanité en détresse que nous essayons d'assister;

- le monde se porte mal: mais il n'y a pas que les catastrophes naturelles qui nous secouent, comme à Montserrat, en Indonésie ou dans les pays menacés par le passage désastreux de "El Niño".

L'homme, acteur de ce qu'on appelle les man made crises, fait pire. Il y a là matière à réflexion, éthique et philosophique, sans doute, mais aussi politique et institutionnelle: est-ce possible que les Etats, les conventions, les institutions de la communauté internationale soient - au delà des appels rituels à la paix - si cruellement dépourvus de la capacité d'endiguer ces désastres, de prévenir ces conflits?

La communauté internationale, les donateurs, y inclus les Etats membres continuent depuis des années à consacrer à l'aide humanitaire une quantité imposante de ressources. Mais trop souvent leurs stratégies politiques montrent un degré certain d'inconséquence entre choix humanitaires et choix diplomatiques;

- pour utiliser une formule assez claire: le financement de l'assistance aux femmes afghanes n'empêche pas de flirter avec leurs persécuteurs, les Talibans; tout comme les tentatives d'atteindre les réfugiés Hutu pourchassés au Congo-Zaire ne nous ont pas empêché de féliciter leurs bourreaux, visiblement allergiques à toute forme de justice;

- à chaque fois que l'on dénonce des incongruités de ce genre, des voix se lèvent pour expliquer qu'il est difficile, voire impossible, de mettre d'accord l'action humanitaire - qui est inspirée par des principes et des valeurs abstraites - avec l'action politique, que l'on présente comme régie par la recherche du réalisme. On nous explique qu'on ne peut pas gérer une crise à partir du respect des principes, si bons qu'ils soient, car il faut des solutions réalistes;

- Je ne serai jamais convaincue par cette approche. Je suis par contre de plus en plus convaincue qu'une politique étrangère uniquement fondée sur des intérêts - on sur une perception nationale ou régionale de ceux-ci - n'est pas soutenable. Je persiste à penser qu'il n'y a plus d'alternative, pour l'Europe aussi bien que pour le reste du monde, à une politique étrangère qui doit aussi ancrée à la morale et inspirée par des principes, à commencer par le respect de la dignité de la personne humaine. Une politique qui soit en plus transparente, et que puisse être expliquée, la tête haute, aux Parlements, à l'opinion publique, aux média;

- tant que l'on appliquera comme réaliste une politique étrangère purgée de toute valeur éthique - voire de toute moralité - on risquera de produire des monstres, on découvrira trop tard que nos alliés et protégés d'hier - choisi sous le signe du pragmatisme, et de l'intérêt national du jour - deviennent des hors-la-loi ingouvernables: la liste est longue, depuis Saddam Hussein jusqu'à Savimbi et aux Talibans, en passant par Mobutu et peut-être bientôt ses successeurs;

* * *

- Je me pose, et je vous pose, des questions. Jusqu'où va-t-on tolérer que notre mauvaise conscience collective pour ne pas avoir empêché le génocide au Rwanda en '94 fasse fonction de laissez-passer pour des crimes tout aussi horribles perpétrés dans la même région des Grands Lacs? Jusqu'où va-t-on tolérer la honte de la misogynie légalisée - quel acte de stupidité et de barbarie à la fois - par les Talibans sans dénoncer les gouvernements qui - dans la région et ailleurs - fournissent à ces mêmes Talibans des armes et un appui politique?

- Je ne suis pas assez naïve pour ne pas savoir que la communauté internationale, et notamment son expression la plus haute - le système des Nations Unies - n'est rien d'autre que le réflexe de la volonté des Etats qui le composent. Je sais, Catherine (Bertini), je sais Sergio (Vieira de Mello), que ce n'est pas à vous qu'il faut s'en prendre si le drapeau de l'ONU est de plus en plus mis en berne;

- mais il faut que quelqu'un, quelque part, en parle! Il faut comprendre que pour l'opinion publique la crédibilité du système onusien ne se joue pas sur l'échelle des contributions au budget, ni sur la question de la dette des Etats Unis ou sur celle de l'élargissement du Conseil de Sécurité: pourquoi voudrait-on élargir quelque chose qui ne marche déjà pas? La crédibilité des Nations Unies se joue à Kabul, à Baghdad, au Soudan, en Algérie, dans les forêts du Congo; elle dépend de la détermination de ses représentants à plaider le respect des valeurs et des principes qui sont ceux de la Charte, et à en dénoncer - sans merci - les violations;

- Ce n'est pas ce que je vois. La saga de la commission d'enquête sur les massacres dans l'ex-Zaïre a désormais atteint et dépassé la dimension du ridicule achevé. Il faudra un sursaut - tardif - du Secrétaire Général et du Conseil de Sécurité pour éviter que la dignité de ces Institutions ne soit ternie à jamais par cette honte - due aux agissements inqualifiables d'un gouvernement pourtant reconnu par la communauté des nations. Je crois me souvenir de bien de cas dans lesquels, pour beaucoup moins, on aura imposé des sanctions;

* * *

- Pour revenir aux humanitaires: nous n'avons pas le choix; en aucun cas nous ne pouvons ignorer les violations massives des droits de l'homme dont nous sommes témoins. Face à des crimes contre l'humanité on ne peut pas se taire, au nom de l'impartialité de l'humanitaire, sans risquer la complicité;

- impartialité, d'ailleurs, ce n'est pas nécessairement neutralité: le devoir qui est le notre d'assister tous les démunis, toutes les victimes de tous les conflits, ne nous empêche pas d'identifier les oppresseurs et les opprimés, les persécuteurs et les persécutés;

- la Conférence sur le Génocide tenue l'année dernière à Rotterdam nous a appris quelques vérités bouleversantes concernant les guerres de notre époque. Primo: les violations massives des droits de l'homme ne sont jamais le fait du hasard mais plutôt le moyen froidement choisi par des élites pour conquérir, maintenir ou accroître leur pouvoir. Secundo: le crime collectif, l'extermination, a aujourd'hui plus de chance de rester impuni que le délit, l'assassinat individuel;

- c'est justement pour conjurer une telle absurdité que je me bat depuis des années avec ceux qui prônent la constitution d'un Tribunal Pénal International Permanent, seul rempart possible contre le culture d'impunité et celle de la vengeance;

- c'est pourquoi je suis convaincue que le respect du plus fondamental parmi les droits de l'homme - le droit à la vie - est la condition nécessaire pour que l'on puisse parler d'un espace humanitaire, pour le déploiement de toute assistance;

- il est de notre devoir de connaître la vérité pour mieux agir mais il est également de notre devoir de dire cette vérité, de la faire circuler librement; pour que les autorités et gouvernements desquels nous dépendons prennent leurs responsabilités, pour que les contribuables et les donateurs auxquels nous sommes censés répondre de nos actions sachent comment leur argent est utilisé;

- les humanitaires, on l'a dit mille fois, n'ont ni la tâche de trouver des solutions aux crises ni les moyens pour le faire, mais une chose est certaine: sans notre témoignage, sans action humanitaire sur le terrain il est très difficile de comprendre les conflits, de rétablir un minimum de justice et de venir à bout d'une crise quelconque;

- il est aussi vrai que sans une Europe unie, douée finalement d'une politique extérieure et de sécurité commune, capable de parler d'une seule voix et d'exprimer une seule ligne politique, il sera impossible d'exporter nos valeurs les plus hauts;

- je souhaite à mes successeurs, quand ils viendront, de pouvoir travailler dans une Europe pareille.

 
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