de Sergio Stanzani(Il Tempo - Roma - Aprile 1988)
SOMMAIRE: Selon l'auteur la force majeure de King était d'éviter la précipitation dans de tragiques issues de révolte en faisant adopter le méthode non-violent gandhien par le mouvement antiségrégationniste. En Europe, seulement le Pr a approfondi ce thème en posant la non-violence au centre de sa propre praxis militante et en faisant aussi le fondement éthique de ses propres valeurs.
(Nouvelles Radicales N. 2 - mai 1988)
L'Amérique n'est pas seule à devoir beaucoup à Martin Luther King dont on rappelle ces jours-ci la mort tragique à Memphis l'après-midi du 4 avril 1968 des mains d'un fanatique.
Luther King est d'abord le leader historique de la formidable bataille pour les droits civils qui rachetait définitivement une "négritude" offensée par des siècles d'esclavage et de violence subite non moins dans le Coton Belt qu'au coeur de l'Afrique. Quoi qu'il faille encore faire pour assimiler les valeurs (humaines, plus que sociales, ou juridiques) de la parité raciale, la condition des noirs américains d'aujourd'hui - alors que l'un d'entre eux, Jesse Jackson, peut pointer à la Maison Blanche - est radicalement changée eu égard aux années où s'engagea la bataille de Martin Luther King. Notre premier souvenir et hommage va donc à l'apôtre des libertés civiles des "coloured". Toutefois, en dehors des Etats-Unis également et au delà de tant de foyers d'apartheid encore allumés de par le monde, le message du leader disparu revêt un intérêt extraordinaire, en termes non seulement idéaux mais proprement politiques.
La longue marche des noirs d'Amérique à travers les institutions fut possible, sans précipiter dans de tragiques issues de révolte, grâce à la méthodologie non-violente, gandhienne, que Luther King fit adopter au mouvement antiségrégationniste. Mais durant les vingt ans qui suivirent, à maintes occasions le recours à la stratégie non-violente et aux techniques connexes de résistance civile, d'objection de conscience contre les lois et pratiques étatiques oppressives ou inadéquates, a été à la base d'autres batailles, gagnantes ou de toute façon mémorables, dans l'une ou l'autre partie du monde. Batailles pour des problèmes particuliers ou pour des questions de principe de portée générale. Au milieu de tant de commémorations, personne n'a rappelé que durant les journées où mourait Martin Luther King la fin du printemps tchécoslovaque se consumait, avec l'épique de la résistance passive, non-violente, populaire de masse face à l'occupation des chars soviétiques.
Dans le rapprochement des deux tragédies le mythique 68 assume l'aspect d'une année pleine non pas d'élans de libération mais de régression dans l'obscurité d'une violence fratricide. A cette crise de valeur le message de Gandhi et de Luther King s'oppose avec une conscience lucide. C'est le message qui rachète, peut-être, un temps où l'absolutisme de la politique (d'une politique peu attentive aux valeurs) a fait égarer l'antique axiome libéral que chaque institution, chaque loi doit toujours reconnaître comme sa limite infranchissable (comme l'enseignait déjà du reste Thomas More à l'aube de l'Etat moderne) le dialogue avec la conscience, les consciences des personnes singulières: justement et avant tout dans les démocraties formellement constituées, et donc insoupçonnables.
En Amérique, cette intuition s'est enracinée aussi à l'intérieur de la culture politique, grâce à l'incidence des théories "contractualistes" toujours très attentives aux thématiques de la désobéissance civile (qui font partie cependant de l'héritage culturel, populaire également, de ce pays)? Plus difficile et controversée en est par contre l'acquisition en Europe; l'Europe catholique comme celle hégélienne et "historiciste". Ici, le seul Parti radical a approfondi ces thèmes non seulement en posant la non-violence au centre de sa propre praxis militante mais en faisant aussi le fondement éthique de ses propres valeurs: refus de la violence, donc, comme méthode de lutte politique, mais en premier lieu affirmation d'une conception différente de l'associationnisme et du rapport entre le citoyen et l'Etat. Si dans notre pays on faisait de la théorie politique plus limpide et moins de cuisine politologique on reconnaîtrait que le Parti radical, avec son histoire, a mis en évidence des éléments importants pour l
e renouvellement de la culture libérale de l'Etat, la détachant des si nombreuses entraves conservatrices.
Une personnalité communiste de premier ordre, Achile Occhetto (numéro deux du parti communiste italien, ndlt) peut soutenir que son parti accueille aujourd'hui la non-violence comme méthode pour affronter les conflictualités politiques et sociales. C'est un signal éminemment positif. Dans un grand et beau reportage publié ces jours-ci "Il Tempo" a écrit que la non-violence mourait avec Luther King dans ce motel du Tennessee. A nous il ne semble pas qu'il en soit allé ainsi. Comme théorie de l'affirmation de conscience, comme revendication des droits civils du citoyen face aux institutions de l'Etat éthique et social (pour ne pas parler de l'Etat totalitaire), la théorie de la non-violence est encore à approfondir et à faire croître. Le message de Gandhi et de Martin Luther King reste intact, avec sa force lucide et inquiétante.