de Jean-Luc RobertSOMMAIRE: Il y a quelques années que Marco Pannella et le Pr étaient les seuls en Europe à parler de la légalisation des drogues. Mais aujourd'hui on constate qu'il existe une réflexion très riche en matière, ainsi que des études très avancées faites par des experts scientifiques de très haut niveau. L'auteur parle des opinions et des idées concernant les effets du prohibitionnisme, exprimées par des experts en matières différentes qui étaient présents au colloque de Bruxelles. En plus il constate l'absence d'information à cause du divorce entre science e pouvoir.
(Nouvelles Radicales N. 6 - octobre 1988)
Les radicaux voudraient-ils la libéralisation des drogues ? "Nous voulons réglementer le commerce des drogues, répond Marco Pannella. C'est exactement le contraire de ce qui se passe aujourd'hui, à savoir, la liberté absolue d'acheter sa dose au coin de la rue ou à la sortie du lycée".
En fait, lorsqu'il y a quelques années, Pannella eut l'intuition que c'était le prohibitionnisme, bien plus que la drogue elle-même qui était cause du désastre, il était complètement seul en Europe et personne hors du Parti radical n'eût osé soutenir une telle idée tant cela se serait avéré impopulaire.
Mais le Colloque international sur l'Antiprohibitionnisme des drogues, qui s'est tenu à Bruxelles du 29 septembre au 1· octobre derniers, a prouvé qu'il n'en était plus ainsi aujourd'hui et qu'à tout le moins il était possible de réunir une brochette d'experts scientifiques de très haut niveau provenant du monde entier pour étudier un stratégie antiprohibitionniste.
Ce premier rendez-vous a permis de constater qu'il existait en matière d'antiprohibitionnisme une réflexion riche, multiforme ainsi que des études avancées en ce qui concerne les mesures à prendre.
Ainsi Georges Apap, Procureur de la République à Valence qui n'avait plus eu l'occasion de développer publiquement ses thèses depuis sa prise de position en janvier 1987 lors de la rentrée judiciaire, a exposé de manière circonstanciée les dommages provoqués sur la société tout entière et la justice en particulier par la prohibition (nous publions dans ce numéro l'intégralité de son intervention). Pour lui le prohibitionnisme c'est en toile de fond, une réduction substantielle des libertés. Et d'argumenter: les mafias disposent d'un pouvoir financier sans pareil. Plus qu'hors la loi, elles sont plus exactement au-dessus des lois. Elles entretiennent des milices privées, possèdent leurs propres aéroports, corrompent les institutions de la plupart des Etats, "rachètent" littéralement des pays comme la Colombie.
Ce qui se traduit pour les simples citoyens par des violations répétées des droits de l'homme et une législation d'exception. La délation est encouragée. Un délit qui n'entraîne qu'une peine maximale de 5 ans en France, devient de l'ordre du crime lorsqu'il est lié à la drogue et peut même être sanctionné par 20 ans de prison.
Malgré ce tableau sans concession d'une réalité extrêmement sombre le Procureur Apap conclut sur une note teintée d'optimisme: "les abolitionnistes ont toujours triomphé, chacun de ces triomphes a contribué, lentement mais sûrement, au progrès de l'humanité".
Marie-Andrée Bertrand, criminologue à l'Université de Montréal affronte elle aussi la thématique du droit. "L'utilisation du droit pénal contre les crimes sans victimes est inefficace et entraîne le recours à des procédés qui vont contre le droit des personnes". Et d'ajouter que les coûts sociaux, moraux et économiques de la prohibition sont énormes et sont sans proportion aucune avec leur degré d'efficacité. C'est depuis 1973 que Marie-Andrée Bertrand prône l'abolition de la prohibition. Cette intuition s'est argumentée au fil des années pour devenir un proposition finement élaborée. Il faut instaurer, dit-elle, en lieu et place de la prohibition un système étatique à grande échelle de licence qui contrôle l'approvisionnement, la qualité, la circulation des drogues.
Analysant les chaînes et les ramifications du prohibitionnisme, le Docteur Luigi Del Gatto démonte le mécanisme selon lequel l'interdiction de certaines drogues se traduit de facto pour le médecin par l'interdiction de soigner le toxicomane au moyen de traitements adéquats. La reconnaissance de la liberté thérapeutique dans ce domaine ne manquerait pas selon lui de se traduire immédiatement par un abaissement du taux de mortalité, par la réduction de la contamination et des comportements criminels. En d'autres termes "mettre des menottes au médecin soulève plus de contradictions et de problèmes que cela n'en résout et ferme une des voies d'expérimentation pour sortir du prohibitionnisme".
Juristes et médecins, par des chemins d'analyses différents arrivent aux mêmes conclusions: la prohibition qui est née de la volonté d'endiguer le fléau de la drogue a manqué son objectif. La consommation des drogues illicites loin de diminuer prend des proportions de plus en plus alarmantes. Si l'on ajoute à ce constat celui des multiples effets pervers que le système entraîne: développement d'un mafia internationale ultra-puissante qui engendre un criminalité organisée à même de déstabiliser des régions entières du globe, obligation pour le consommateur de se transformer lui même en vendeur, de se prostituer, de recourir à la délinquance pour financer son vice, l'on a déjà un aperçu évocateur de l'étendue du drame.
Il s'agit donc "d'en finir avec la guerre la plus longue de ce siècle, la guerre à la drogue". C'est Thomas Szasz, père de l'antipsychiatrie, qui lance cet appel. Il prétend en effet que la drogue joue dans notre société le rôle du bouc émissaire, autrement dit le rôle d'un mal qui par définition ne doit être ni compris, ni maîtrisé mais haï. Ce sont les Etats qui mènent les guerres, ce sont eux qui choisissent leur ennemi. C'est de la même façon que de par le passé l'on entreprit les guerres saintes contre des peuples qui professaient une autre foi, et que plus récemment, l'Europe fut le témoin et l'acteur d'une guerre raciale sans précédent dans l'horreur et la dimension. Il fallait purifier l'Allemagne du danger juif. Ainsi a-t-on vu un peuple entier, ses savants, ses médecins, y compris ses juristes les plus éminents, croire et étudier le problème de l'extermination d'une race.
"Je désapprouve ce que tu prends, mais je défendrai jusqu'à la mort ton droit de le faire." Voilà, pour paraphraser Voltaire, le cadre qui englobe la perspective antiprohibitionniste. L'Etat n'a pas à définir ce qui est bon pour l'homme, cela relève de ce même obscurantisme qui a permis par le passé aux autorités, religieuses ou politiques, d'imposer ce qui était beau, ce qui était vrai, ce qui était juste.
Il ne suffit pas de faire le constat d'une situation et de désapprouver le statu quo, encore faut-il y trouver des solutions qui puissent permettre de résoudre les problèmes sans en créer d'autres. D'où l'intérêt des expériences pilotes. Le hic, c'est qu'à l'intérieur du système prohibitionniste, il n'existe aucun espace pour de telles initiatives. A part quelques pays comme l'Italie ou l'Espagne où la possession de petites doses de haschich et de marijuana a été dépénalisée, seuls les Pays-Bas ont mené une expérience moins frileuse, abordant même la problématique des drogues dites "dures".
Peter Cohen, directeur du centre de recherches sur les drogues pour la ville d'Amsterdam, nous explique que son pays n'est pas enclin à criminaliser les marginaux. Qu'ils soient toxicomanes, homosexuel(le)s ou prostitué(e)s. Cette attitude a permis de réaliser des programmes sociaux et sanitaires pour venir en aide aux drogués. "Tant qu'un comportement de groupe ne crée pas de dommages, il doit être aidé au moyen de structures adaptées". Résultat, la consommation s'est stabilisée, alors qu'aux Etats-Unis, la consommation des drogues illégales augmente proportionnellement au renforcement de la "guerre à la drogue".
Il va sans dire que l'expérience hollandaise est forcément limitée, en ce sens qu'elle s'applique à un petit pays, voire à une ville, Amsterdam, et qu'elle s'inscrit dans le cadre du respect des accords internationaux signés par ce pays.
Dans une perspective globale de réglementation du commerce des drogues à l'échelle internationale, nous trouvons l'ébauche d'une solution dans les études du professeur Stevenson, économiste à l'Université de Liverpool, développant les arguments économiques en faveur de la légalisation des drogues. Si les uns estiment qu'une légalisation des drogues douces s'impose avant de passer aux drogues plus dures, d'autres proposent une première phase consistant à dépénaliser la possession et la consommation de drogues pour poursuivre par un processus de réglementation de la production et du commerce.
S'il est vrai que le problème numéro un est celui de la criminalité organisée, les travaux de Lester Grinspoon sont riches en perspectives. Ils plaident pour la prise en charge par les Etats d'un tel commerce, fixant un taux de taxation suffisamment haut pour dissuader tant le consommateur habituel qu'occasionnel à acquérir sa dose et suffisamment bas pour ne pas engendrer un nouveau marché noir. Cette taxation permettrait aux Etats de récupérer des sommes d'argent non négligeables que l'on pourrait confier à des programmes d'information et de dissuasion quant à l'usage des drogues et à des programmes sociaux et sanitaires pour venir en aide aux toxicomanes.
La légalisation ne va-t-elle pas provoquer une augmentation de la consommation? Il est probable que si, du moins dans un premier temps. Sachons en tout cas que poursuivre dans la voie prohibitionniste garantit à coup sûr la progression de l'augmentation de la consommation mondiale des drogues.
Les travaux du Colloque ont démontré qu'une fois de plus, le monde est confronté encore maintenant, à "l'ère de l'information" au même divorce entre science et pouvoir qui frappa Copernic en son temps. Pour permettre "à la clairvoyance, comme l'augure Georges Apap, de faire son chemin et d'affronter l'obscurantisme à armes égales", le projet s'impose de mener une campagne d'information, le Colloque de Bruxelles s'est conclu sur un engagement des experts à se réunir à nouveau, pour une conférence grand public qui sanctionnerait le lancement d'une ligue internationale antiprohibitionniste composée de Prix-Nobel, de Parlementaire, d'hommes et de femmes de science ...
Le mouvement est encore tout à créer. Il s'avère, une fois encore que seul le Parti radical sera à même d'y donner toute la force nécessaire, s'il en a les moyens et donc, si vous le voulez, si vous décidez de vous inscrire.