New strategies for developing countries debt relief (2)
Jean-Claude Berthélemy
OCDE centre de développement
Eric Girardin
Université de Bordeaux 1 LARE
Revue d'Economie Politique 101
(Les opinions exprimees par Ics auteurs le sont sous Ieur seulc responsabilité, et n'engagent en aucune maniere les institutions auxquelles ils appartiennent.
Cet article a bénéflcié de discussions aux Journées AFSE-GRECO EFIQ de mai 1990 à Bordeaux et au CESEFI Université de Paris 1, dont les participants sont ici remerciés.)
SOMMAIRE: Alors que de progrès semblent avoir été faits depuis le plan Brady en matière de résolution de la crise de la dette, il est bon de passer en revue la mesure dans laquelle les progrès de l'analyse économique ont participé à ce mouvement.
Cet article resitue dans un premier temps les nouvelles stratégies d'allègement de la dette dans leur contexte historique, empirique et analytique. La notion de surendettement des pays en voie de développement joue un rôle central dans ce contexte. L'examen des solutions de marché montre ensuite qu'un rachat peut engendrer un gain pour le débiteur au détriment des créanciers et ne peut être Pareto-améliorant que dans des situations de surendettement prononcé. Des stratégies concertées sont également étudiées dans cet article qui débouche ainsi sur une analyse des menus d'options mis en place dans le cadre du plan Brady.
ABSTRACT: While progress seems to have been made with the Brady plan concerning a solution to the debt crisis, it is useful to review the extent to which progress in economic analysis has shared in this move.
This paper first puts the new debt relief strategies in their historical, empirical and analytical context. The debt overhang of developing countries plays a major role here. The study of market solutions shows that a buy-back can generate a gain for the debtor at the expense of the creditors and can only be Pareto-improving in sharp debt-overhang situations. Concerted strategies are also examined in this paper which thus leads to an analysis of option-menus established within the Brady plan.
TABLE DES MATIERES
Introduction
1. Le contexte historique et empirique
1.1 Historique
1.2 Les nouveaux instruments de marché
1.3 Les solutions d'allègement concerté
2. Les fondements analytiques de la littérature récente
2.1 Les modèles de répudiation
2.2 La prévention du défaut et l'opportunité d'apport de
nouveaux prets
2.3 La notion de surendettement
2.3.1 L'intuition de départ: l'analyse de Sachs
2.3.2 L'effet du surendettement sur les efforts
d'ajustement: l'analyse de Corden
2.3.3 L'effet du surendettement sur l'investissement:
l'analyse de Helpman
2.3.4 La courbe de Laffer de la dette
3. Les solutions de marché
3.1 Le rachat de la dette au marché secondaire dans un jeu à
somme nulle
3.1.1 La thèse de Bulow et Rogoff: un effet négatif pur le
débiteur
3.1.2 La critique de l'hypothèse de Bulow et Rogoff sur le
coefficient de captation
3.1.3 L'application de la thèse de Bulow et Rogoff au cas
bolivien
3.2 Les rachats dans des modèles de jeu à somme variable
3.2.1 L'introduction de gains d'efficacité liés à la
réduction de la dette
3.2.2 Les gains d'efficacité en l'absence de problèmes
d'information
3.2.3 Introduction d'une asymétrie d'information
3.2.4 Introduction de l'aversion pour le risque
3.3 Echange de dette contre actifs
3.3.1 Le principe d'équivalence avec un rachat
3.3.2 Le prix de rachat de la dette dans une opération
d'échange contre actifs
3.3.3 Les effets sur la structure des paiements futurs
3.3.4 Les effets maaoéconomiques
3.4 La titrisation (bons de sortie)
3.4.1 Les gains potentiels de la titrisation pour le
débiteur
3.4.2 Les difficultés de mise en oeuvre
4. L'allégement concerté
4.1 L'équivalence réduction volontaire solution de marché
4.2 Allégement de la dette et nouveaux prets
4.2.1 L'argument de la capacité d'investissement
4.2.2 La combinaison optimale: apport de liquidités et
remise de dette
4.3 L'approche des menus d'options
4.3.1 L'analyse de la mécanique des menus
4.3.2 La clause de novation
4.3.3 Application à l'évaluation de l'accord mexicain de
1990
4.4 Une facilité internationale
4.4.1 L'analyse de Corden
4.4.2 La critique de la facilité par Bulow et Rogoff
4.5 La modification des règles du jeu
4.5.1 La transformation de la nature des contrats
4.5.2 L'indexation des contrats
Annexe 1: les incitations réglementaires et fiscales
Conclusion
Bibliographie
2 LES FONDEMENTS ANALYTIQUES DE LA LITTERATURE RECENTE
Depuis le début des années quatre vingt, la littérature sur les problèmes d'endettement international est centrée sur la notion de répudiation volontaire de la part du pays débiteur. Le point essentiel de cette littérature est que, face à des débiteurs qui sont des Etats souverains, les banques disposent de peu de moyens légaux de forcer ceux ci à respecter leurs engagements. Dans ces conditions, on peut s'intéresser à la question de savoir dans quelle mesure il est intéressant pour le débiteur de respecter ses engagements: si ce n'est pas dans son intéret, il choisira plutot la voie de la répudiation. Cette éventualité a été considérée dans la littérature jusqu'en 1986 comme un élément déterminant pour comprendre la crise d'endettement international (Eaton, Gersovitz et Stiglitz, 1986). Par la suite, ce thème n'a pas disparu, mais l'on a pris en compte le fait que lorsqu'un défaut de la part du débiteur apparait comme une possibilité sérieuse, les créanciers peuvent avoir intéret à augmenter le montan
t de leurs prêts aux pays lourdement endettés. Dans les années récentes, on s'est beaucoup plus orienté vers des réflexions, plus pragmatiques, sur les conséquences pour les pays endettés de l'existence d'une dette "héritée" du passé (Krugman,1988) qui se révèle impossible ou difficile à rembourser quelle que soit leur volonté ou leur "moralité" économique (au sens de la théorie des aléas de moralité). Ces nouvelles réflexions ont en particulier conduit à déflnir une intéressante notion de surendettement. L'ensemble de ces analyses n'est toutefois en l'état actuel que partiellement satisfaisant car, ainsi que le soulignent Hofman et Reisen (1989), la littérature sur la théorie du surendettement n'a pas réussi à intégrer complètement les apports de la théorie du risque de répudiation.
2.1. Les modèles de répudiation
Le point de départ de la littérature sur les modèles de répudiation de la dette est le travail de Eaton et Gersovitz (1981). Dans cet article, les deux auteurs montrent que le système d'endettement international ne peut fonctionner que si les banques sont en mesure d'imposer à leurs débiteurs des sanctions en cas de défaillance. L'élément principal avancé par Eaton et Gersovitz à cet égard est le fait que, en cas de répudiation, le pays débiteur se verra exclu dans l'avenir de toute possibilité de prêts internationaux.
Pour que la sanction imposée par les banques constitue un cout pour les débiteurs, il faut que ceux ci estiment à tout moment qu'ils pourront dans l'avenir avoir besoin de disposer d'un accès au marché international des capitaux. Eaton et Gersovitz justifient cela en considérant que le revenu futur du pays endetté est aléatoire. L'accès au financement international sert alors à répartir dans le temps les coûts apparaissant du fait d'états de la nature défavorables. Ce modèle suppose aussi que l'horizon de décision est infini: si l'horizon est fini, le coût d'etre exclu du marché des capitaux dans la dernière période est nul et le débiteur a à coup sûr intérêt à répudier sa dette. Par induction arrière, il a alors aussi intéret à la répudier à la période précédente, et ainsi de suite jusqu'à la période initiale.
Cette approche peut etre qualifiée d'approche en termes de réputation du débiteur. Le coût de la répudiation est en effet pour lui de perdre sa réputation d'emprunteur sérieux et, jusqu'à un certain point, il aura intéret à chercher à respecter ses engagements pour éviter cette perte de réputation. Dans le même ordre d'idées, il se pose un problème de réputation pour le créancier. Dans le contexte d'un marché de crédit national, cette idée avait déjà été avancée par Hellwig (1977), qui a montré que la menace d'exclusion de tout nouveau crédit peut n'être pas crédible, si le créancier a intéret à étendre son crédit plutat que de perdre définitivement ses avoirs. Comme on le verra dans la suite de cette partie, un argument similaire est apparu plus récemment dans les analyses sur les négociations de reechelonnement et sur l'opportunité, pour les créanciers, de continuer à prêter à un débiteur incapable de faire face à ses engagements.
Armendariz et Reisen (1990) ont montré par ailleurs qu'il fallait prendre en compte des effets de réputation sur le marché financier interne du crédit, tels qu'introduits par Calvo (1988). En répudiant sa dette internationale, un gouvernement perd également sa réputation sur le marché flnancier interne, et provoque de la sorte une hausse des taux d'intéret sur la dette publique interne. Dans le cas des pays latinoaméricains, où les problèmes d'endettement sont en grande partie des problèmes d'équilibre des finances publiques, cet effet secondaire peut jouer un rôle important pour inciter le gouvernement à ne pas répudier sa dette internationale.
Bulow et Rogoff (1989) ont remis en cause récemment l'approche par des modèles fondés uniquement sur les effets de réputation sur le marché international des capitaux. Ils ont montré que, si le pays endetté peut négocier des contrats d'assurance avec paiement à l'avance, (1) un équilibre de réputation n'est pas réalisable. En effet, dans ces circonstances, il sera avantageux pour les deux parties que le pays endetté souscrive des contrats
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(1) "Cash in advance contracts".
d'assurance pour se prémunir contre les aléas futurs. Par conséquent, il se prémunira aussi contre les coûts associés à son éviction éventuelle du marché financier.
Cette critique de Bulow et Rogoff reste cependant à un niveau très théorique et mérite d'être discutée. En premier lieu, il n'est pas évident que de tels contrats d'assurance puissent être organisés dans la pratique, ne serait ce que parce qu'ils poseraient immédiatement un problème d'aléa de moralité: les états de la nature qui peuvent influencer de manière exogène la capacité de paiement d'une économie ne sont pas vraiment observable. En second lieu, si de tels contrats étaient souscrits, cela voudrait dire que le pays débiteur mettrait entre les mains du système financier des actifs (le paiement à l'avance de la prime d'assurance) qui pourraient éventuellement être saisis en cas de défaut de paiement.
Cette dernière remarque nous amène directement aux autres modèles de répudiation, qui sont fondés sur des sanctions plus tangibles de la part des créanciers. Ces sanctions peuvent prendre la forme de la saisie d'actifs financiers internationaux détenus par ailleurs par le débiteur, tels que ses réserves de change, ou une forme plus diffuse de sanctions affectant ses relations extérieures commerciales. Sachs (1984) et Cohen et Sachs (1986) considèrent des modèles où la sanction prend la forme d'une proportion du revenu du pays endetté au moment de la répudiation de sa dette.
La raison principale pour laquelle la répudiation peut avoir de tels effets réside dans le fait que l'organisation du commerce international repose sur la mise en place de financements à court terme, sous forme de délais de paiement. En s'excluant du système financier international, un pays endetté peut s'exclure aussi de ce genre de procédure de financement du commerce extérieur, et se retrouver dans ces conditions obligé de réduire ses activités de commerce avec l'extérieur. Par ailleurs, si les avoirs extérieurs peuvent être saisis par les créanciers internationaux, un pays qui a répudié sa dette se trouvera confronté à de grandes difflcultés pour se faire payer effectivement ses exportations, et ses échanges internationaux risquent d'être réduits à un commerce de troc.
En règle générale, la sanction imposée par les créanciers se décomposera en deux parties. La première partie repose sur la saisie d'avoirs à l'étranger du débiteur défaillant, et représente un gain à peu près équivalent pour les créanciers. La seconde partie, qui repose sur des pertes d'efficacité économique imposées au pays défaillant, sous forme d'exclusion partielle ou totale des échanges internationaux, ne représente aucun gain pour le créancier. Il apparaît ainsi que le coût de la pénalité en cas de défaillance du débiteur n'est pas le même selon qu'on le considère du point de vue du débiteur ou de son créancier. Comme on le verra dans la troisième partie, cette asymétrie fondamentale joue un rôle non négligeable dans l'analyse des stratégies de réduction de la dette.
Un trait original de ces modèles est qu'ils montrent que les pénalités imposées par les créanciers en cas de défaillance ont un effet sur les comportements d'investissement du pays débiteur. Sachs et Cohen (1982) et Cooper et Sachs (1985) ont montré qu'une condition nécessaire pour résoudre le problème d'aléa de moralité posé par la possibilité d'une répudiation réside dans un engagement préalable du débiteur à réaliser un certain montant d'investissement. En effet, plus les dépenses d'investissement sont importantes et plus la pénalité en cas de défaillance est coûteuse pour le débiteur, ce qui réduit d'autant le risque de répudiation. Une forme de conditionalité de la part des créanciers peut ainsi être un élément déterminant pour le bon fonctionnement du marché du crédit. Ainsi, et l'on va retrouver ce thème dans la théorie du surendettement, le fait de savoir que les paiements futurs du pays endetté seront liés à son revenu peut constituer une désincitation à l'investissement particulièrement domma
geable pour le bon fonctionnement du financement international des pays en développement. A l'inverse, comme le note Gersovitz (1985), une pénalité crédible liée à l'exclusion du marché du crédit pourrait plutôt conduire le pays endetté à investir plus, pour se prémunir contre les effets de cette pénalité.
2.2. La prévention du défaut et l'opportunité d'apport de nouveaux prêts
Lorsqu'un défaut de la part du débiteur apparait comme une possibilité sérieuse, les créanciers peuvent avoir intéret à augmenter le montant de leurs prêts aux pays lourdement endettés. Pour justifier ce résultat paradoxal, Krugman (1988) met en oeuvre un modèle à deux périodes en présence d'incertitude. (2) Celle ci porte sur l'état de la nature qui conditionne l'ampleur de la capacité à payer du pays. Si l'état de la nature est défavorable à la seconde période, la valeur actualisée des transferts potentiels sera inférieure à la dette initiale, mais si l'état de la nature est favorable, la dette initiale pourra être remboursée. Dans un tel cadre, les créanciers devraient fournir de nouveaux prêts à un pays qui n'est pas en
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(2) Les gains potentiels de teis prêts involontaires ou concertés en présence d'incertitude ont été démontrés formellement par Sachs (1984) et Krugman (1985).
mesure de faire face à ses charges courantes du service de la dette parce que si dans le futur le défaut de remboursement est possible, il n'est en aucun cas certain. Il peut alors être dans leur intéret de repousser au moins une partie des engagements du pays en fournissant de nouveaux prêts pour couvrir les charges d'intéret courantes, afin d'éviter un défaut immédiat et de préserver les chances de remboursement futur. C'est l'argument de la prévention du défaut.
Dans une telle situation, des créanciers nouveaux ne fourniraient pas de liquidités car la valeur actualisée de leurs recettes anticipées sera plus faible que les nouvelles liquidités fournies: les nouveaux prêts subiront immédiatement une décote sur le marché secondaire. Toutefois, du point de vue des créanciers existants, l'apport d'argent frais leur permet de recevoir dans tous les états de la nature l'intégralité des tranferts potentiels de ressources de la seconde période, au lieu de faire face à un défaut immédiat de la part du débiteur.
L'intuition majeure des enchainements à l'oeuvre a été présentée dans un article plus récent par Krugman (1989) où à l'aide de la notion de décote subjective de la dette, c'est à dire le pourcentage duquel les créanciers s'attendent à ce que les remboursements effectifs soient inférieurs aux remboursements contractuels. Les créanciers sont supposés considérer qu'en l'absence de prêts concertés, le pays endetté sera contraint au défaut et ils ne recevront qu'une proportion (1 d) de la valeur faciale de la dette. Pour ces mêmes créanciers des prêts concertés d'un montant L réduiront la perte anticipée de [d] à [d*]. Dès lors, chaque dollar supplémentaire prêté subira une perte anticipée de [d*]. Cependant les prêts concertés élèvent en même temps la valeur de la dette existante de (d d*) D, où D représente la valeur faciale initiale de la dette héritée du passé. Il est facile de voir que les gains retirés par les créanciers des prêts concertés seront supérieurs aux pertes tant que:
(L/D) < [(d-d*)/d*]
Si l'introduction de prêts concertés induit par exemple les créanciers à s'attendre à recevoir les trois quart au lieu de la moitié de ce qu'on leur doit (la décote subjective tombe de 0,5 à 0,25). Il sera alors dans l'intéret de ces créanciers d'accorder de nouveaux prêts tant que (L/D) < 1; autrement dit aussi longtemps que l'accroissement de leur exposition n'est pas supérieur à 100%.
Ce raisonnement indique que la seule existence d'une décote sur le marché secondaire qui est sans doute proche de la décote subjective n'est pas un argument à l'encontre de l'apport d'argent frais de la part des créanciers existants, motivé par le souci de prévenir la défaillance immédiate du pays endetté.
2.3. La notion de surendettement
23.1 L'intuition de départ: l'analyse de Sachs
La notion de surendettement a été présentée pour la première fois par Sachs en 1986 (Sachs, 1989). Le point de départ de son analyse consiste en une analogie entre la situation d'une entreprise insolvable et celle d'un pays surendetté. Dans le cas d'insolvabilité d'une entreprise, il existe en général une protection par les lois sur les faillites, qui évite que les actions antagoniques entreprises par les différents créanciers réduisent à néant la valeur des actifs de l'entreprise: faute d'une telle protection, chaque créancier essaiera individuellement de retirer de l'entreprise un maximum de paiements, ce qui conduira à une détérioration supplémentaire de sa situation financière. Il en résulte une désorganisation de l'entreprise, qui réduit d'autant sa valeur. De plus, il n'est pas possible dans ces circonstances d'envisager un quelconque projet d'investissement dans l'entreprise, même si celle ci possède par ailleurs des opportunités d'investissement rentable.
Un débiteur souverain surendetté est à certains égards dans une situation analogue à celle d'une entreprise insolvable qui ne serait pas protégée par une loi sur les faillites. Les comportements de ses créanciers conduisent à une aggravation de sa situation financière, ce qui est en fin de compte préjudiciable aux créanciers eux mêmes, puisque cela fait diminuer la valeur de leurs créances. Ceci se manifeste en premier lieu par i'impossibilité de financer de nouveaux projets d'investissement, fussent ils très rentables économiquement. En second lieu, la pression exercée par les différents créanciers pour se faire rembourser par le débiteur devient équivalente à une confiscation de tout gain éventuel de croissance économique, que ces gains résultent d'événement favorable exogènes ou d'un effort d'investissement ou d'assainissement supplémentaire de la part du débiteur. Par conséquent, si l'économie est surendettée, toute incitation à investir pour l'avenir disparaît pour le pays débiteur, ce qui conduit
bien entendu à une situation sous optimale au sens de Pareto. En conséquence, selon Sachs, une réduction de dette pourrait se révéler collectivement avantageuse, ce qui est à la base de l'essentiel des analyses postérieures sur les stratégies de réduction de dette.
Sachs montre ce dernier point dans un petit modèle à deux périodes (que nous appellerons dans la suite période présente et période future), où l'économie endettée est représentée par un agent optimisateur unique, et où les charges effectivement payées par celui ci, en situation d'incapacité d'honorer la totalité de ses engagements, sont proportionnelles à son revenu national. Ce service effectif de la dette agit alors comme une taxe désincitative sur la production. Dans un tel cadre, on peut montrer qu'il existe un seuil d'endettement au delà duquel tout supplément marginal de dette conduit à une réduction importante de l'investissement, ce qui réduit la capacité future de remboursement, alors que dans la situation normale (pour un endettement plus faible), l'accroissement de la dette incite le débiteur à investir plus àujourd'hui, pour pouvoir servir dans le futur les charges de la dette tout en réalisant un arbitrage intertemporel entre consommation présente et consommation future.
En pratique, ces effets désincitatifs peuvent prendre plusieurs formes: réduction de l'effort de stabilisation et d'ajustement de la part du gouvernement, diminution de l'épargne privée nationale, aggravation des fuites de capitaux. Différents travaux analytiques, dont notamment ceux de Corden et de Helpman, ont permis de préciser certains de ces aspects.
2.3.2 L'effet du surendettement sur les efforts d'ajustement:
l'analyse de Corden
Corden (1989) analyse la stratégie d'allégement de la dette, pour montrer dans quelle mesure il est dans l'intéret des créanciers d'accorder une remise de la dette et surtout de l'accorder volontairement plutôt que sous la menace. En règle générale, tout dépend si la réduction volontaire de la valeur faciale de la dette est ou non associée à une probabilité accrue d'un remboursement intégral ou substantiel de la dette restante. Autrement dit, la question est de savoir si la remise de la dette va ou non inciter l'Etat du pays endetté à procéder aujourd'hui à un ajustement qui augmente les possibilités de remboursement du pays dans le futur.
Initialement, l'analyse se situe dans un cadre où il n'y a pas de liberté des mouvements de capitaux. Le relachement de cette hypothèse permet de mettre en évidence des effets supplémentaires de la remise de la dette.
En absence de mobilité internationale des capitaux, deux effets opposés sont à l'oeuvre quant au caractère favorable à l'ajustement d'un allégement de la dette pour les créanciers: un effet de plafonnement des charges de la dette qui sont dues par le débiteur, et un effet d'incitation de celui ci à les payer effectivement.
Du point de vue collectif des créanciers, dans un monde où règne l'incertitude, l'effet de plafonnement peut constituer un argument solide à l'encontre de la réduction de la valeur contractuelle de la dette qui est préconisée par Sachs. Considérons pour cela qu'il existe une distribution de probabilité bimodale sur la capacité à payer future du débiteur, telle que celui-ci puisse payer l'intégralité de ses charges en cas d'aléa favorable, mais ne puisse rien rembourser en cas d'aléa défavorable (le fait que la "capacité à payer" anticipée soit nulle en situation défavorable est associé à l'hypothèse d'une production future égale au seuil minimum de consommation). Le plafond aux remboursements anticipés est déterminé par la valeur contractuelle de la dette, alors que le plancher aux remboursements effectifs est nul. La remise de la dette exercerait alors des effets négatifs sur les créanciers car elle réduirait la valeur actualisée des paiements futurs anticipés, en abaissant le plafond des remboursemen
ts sans que le plancher ne remonte. Si la capacité à payer se révélait supérieure au nouveau plafond, des remboursements seraient perdus. Ainsi, les créanciers renonceraient sans contrepartie à leurs chances de proflter des états de la nature favorables, aussi faible que puisse être la probabilité de leur apparition.
Il peut au contraire être dans l'intéret des créanciers d'accorder volontairement une remise de la dette dés le début (remise exogène), si cet allégement accroît l'investissement aux dépends de la consommation (c'est l'effort d'ajustement), de manière à élever la capacité à payer future. La remise exogène doit être suffisante pour que le débiteur soit incité à rembourser l'intégralité de sa dette restante tout en profltant de son effort d'ajustement par un accroissement de sa consommation à la seconde période. En effet, en présence d'une dette trop importante (situation de surendettement), tout accroissement de la capacité à payer ne profiterait qu'aux créanciers, se traduisant par un taux de prélèvement marginal de 100% sur les gains de la croissance, jusqu'à ce que la dette ait été intégralement remboursée, c'est à dire jusqu'à ce que le défaut ait été évité. Ce surendettement constitue une désincitation à procéder à un effort d'ajustement en vue d'améliorer la capacité future à payer. Une réduction
de la valeur contractuelle de la dette permettrait par contre au pays endetté de faire face à ses obligations (réduites) et, au delà d'un certain niveau, de proflter à la marge de la totalité de l'augmentation de sa capacité à payer. Autrement dit, le taux d'"imposition" marginal implicite qui est créé par le charges de la dette deviendrait nul. Le pays serait ainsi incité
à augmenter son épargne et donc son investissement (absence de mobilité du capital) maintenant pour accroître sa capacité à payer future. La réduction initiale des remboursements contractuels permettrait ainsi aux créanciers d'obtenir davantage par la suite.
L'analyse est étendue par Callier (1989) à une économie financièrement ouverte, c'est-à-dire avec liberté des mouvements de capitaux. Dans ce cadre, l'investissement interne n'est pas nécessairement égal à l'épargne nationale. Une remise de la dette exerce alors des effets supplémentaires qui font intervenir le "crédit" international du pays endetté. En effet, en ramenant les obligations de service de la dette au niveau de la capacité à payer du pays, l'allégement exogène sauvegarde le "crédit" international de l'économie endettée. Il en résulte deux effets positifs pour les créanciers qui viennent renforcer l'intérêt d'un allégement exogène.
En tant qu'épargnant nets, les créanciers ont intérêt à un fonctionnement efficace des marchés internationaux des capitaux. L'allégement exogène débarrasse le système du fardeau excessif qui conduirait autrement le pays à privilégier l'autarcie financière, et contribue à maintenir l'unité du marché des capitaux nécessaire pour une allocation efficiente de l'épargne à travers le monde. Par contraste, le défaut engendrerait une segmentation du marché international des capitaux qui empêcherait que les capitaux se dirigent vers les rendements les plus élevés.
Mais plus fondamentalement, le maintient du crédit international du pays endetté est important pour les créanciers en tant que détenteurs de la dette. En effet, la possibilité pour le pays endetté de continuer à lever des ressources sur les marchés internationaux des capitaux pour financer des opportunités d'investissement (dont le taux de rendement est supérieur au taux d'intérêt du marché) augmente la capacité à payer du pays et donc réduit le montant d'allégement exogène nécessaire pour empêcher le défaut. Cet effet va donc au-delà de l'effet incitatif de la dette.
2.3.3- L'effet du surendettement sur l'investissement:
l'analyse de Helpman
L'article de Helpman (1989) examine lui aussi de façon rigoureuse les conditions dans lesquelles il est collectivement avantageux pour les créanciers de faire une réduction volontaire de dette, à travers une analyse de l'effet du surendettement sur les décisions internes d'investissement. Intuitivement, une réduction de dette sera collectivement avantageuse si elle permet un accroissement sufflsamment important de l'investissement.
Dans un modèle avec mobilité des capitaux, l'investissement privé est stimulé par une réduction de dette. Cela vient du fait que plus la dette est élevée et plus la taxation anticipée sur les revenus de l'investissement le sera. Il en résulte, par substitution intertemporelle, une augmentation de l'investissement quand la dette diminue, pour peu que les conditions de rentabilité permettent d'observer un investissement strictement positif.
A ce prernier effet, qui permet de retracer une liaison décroissante continue entre dette et investissement, vient éventuellement s'ajouter un effet de discontinuité, car il peut y avoir des équilibres multiples. Dans le modèle présenté par Helpman, on peut mettre en évidence la possibilité d'un équilibre stable à investissement nul, en plus de l'équilibre stable à investissement positif. L'existence de ce deuxième équilibre stable vient du fait que, si l'investissement est trop faible, cela accroît de nouveau la pression flscale nécessaire pour rembourser les charges de la dette, ce qui réduit encore les incitations à investir, jusqu'à disparition complète de l'investissement. Des équilibres multiples sur l'investissement apparaissent aussi chez Eaton (1987) et Calvo (1988), qui étudient le problème posé par une dette publique interne trop élevée.
En l'absence de mobilité internationale du capital, une remise de dette a deux effets de sens contraire l'un de l'autre, qui doivent être comparés. L'effet de substitution intertemporelle qui passe par l'allégement de la pression fiscale sur les revenus futurs des investissements présents reste pertinent, mais il vient s'y ajouter un effet revenu de sens contraire, par l'intermédiaire duquel l'allégement de la dette réduit le prix des actions et fait baisser l'investissement. En effet, cet allégement élève le revenu futur provenant des détentions d'actions existantes, réduisant par là l'utilité marginale de la consommation future. Avec l'accroissement du revenu, la demande d'actions se contracte du fait de la baisse de l'épargne désirée. Il en résulte toutes choses égales par ailleurs une baisse du prix des actions et donc de l'investissement.
Cherchant à évaluer l'ampleur de ces deux effets, Helpman (1989) montre que l'effet revenu est plus important que l'effet de substitution lorsque l'aversion relative pour le risque est supérieure à un. Il en résulte que la remise de la dette stimule l'investissement du pays endetté si celui ci a une faible aversion pour le risque alors qu'elle handicape l'investissement lorsque son aversion pour le risque est élevée. Cette analyse s'applique aussi à la mise en évidence d'équilibres multiples.
Empiriquement, un certain nombre de travaux notamment FMI (1989), Fry (1989), Borensztein (1990) et Morrisset (1991) ont mis en évidence une telle liaison négative entre dette et investissement. Ces résultats ont toutefois été discutés et remis en cause par Hofman et Reisen (1991), auxquels le lecteur pourra utilement se reporter.
2.3.4 La courbe de Laffer de la dette
Le résultat des comportements de réaction au surendettement est synthétisé par Krugman (1989) dans ce qu'il appelle la courbe de Laffer de la dette. Dans la perspective proposée par Kruzman, le surendettement affecte la relation que l'on peut retracer entre les charges de la dette effectivement payées par le pays endetté et le fardeau théorique représenté par cette dette. Il y a un effet secondaire négatif de la valeur faciale de la dette sur son prix, en présence d'un surendettement, qui tient au fait que plus la dette externe d'un pays est élevée, plus faible sont les incitations à se comporter de telle sorte que l'on puisse rembourser, et donc plus forte est la probabilité de non remboursement.
Ceci permet de retracer un lien entre la décote de la dette sur le marché secondaire (ou ce que Krugman appelle la décote subjective) et la valeur faciale de cette dette. En effet, la valeur subjective de la dette (égale à un moins la décote) est déterminée par l'espérance des flux actualisés de paiements futurs de service de la dette, et dépend donc de la probabilité de remboursement. De la sorte, l'apparition d'un surendettement se manifeste par une incurvation de plus en plus prononcée vers le bas de la courbe reliant valeur faciale et valeur subjective de la dette.
On peut représenter graphiquement une telle relation entre la valeur faciale de la dette et les remboursements anticipés. Pour de faibles niveaux du stock de dette il est probable qu'on s'attende à un remboursement intégral. La relation se situe donc sur la première bissectrice. Cependant, lorsque le montant du stock de dette s'élève, la probabilité de non remboursement augmente également. La relation entre le montant des remboursements anticipés et la valeur faciale de la dette est alors donnée par une courbe qui s'écarte de plus en plus de la première bissectrice vers le bas. Au point A par exemple, le rapport des remboursements anticipés à la valeur faciale de la dette est donné par la pente d'un rayon issu de l'origine. Ce rapport représente le prix de la dette sur le marché secondaire, hors considérations d'aversion pour le risque et de coûts de transaction.
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SEGUE UN GRAFICO, CHE NON E' POSSIBILE RIPRODURRE CON QUESTO PROGRAMMA DI SCRITTURA
Graphique 2.1. La courbe de Laffer de l'allègement de la dette.
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Lorsque la dette augmente au delà du montant correspondant à l'abscisse du point A, la valeur des remboursements anticipés augmente également dans un premier temps bien que le prix sur le marché secondaire baisse. Cependant, quand la dette atteint un niveau très élevé, les effets désincitatifs sur le pays endetté sont si importants que la pente de la courbe devient négative.
Cette analyse indique que l'existence d'une décote de la dette sur le marché secondaire n'implique pas nécessairement que les créanciers doivent réduire la valeur faciale de leurs créances. En effet si l'économie considérée se situe au point A, malgré l'existence d'une décote sur le marché secondaire, une réduction de la valeur faciale de la dette ferait encore baisser les remboursements anticipés, puisqu'elle priverait les créanciers de la possibilité de bénéficier d'états de la nature favorables. Cependant il est possible que cet effet soit plus que compensé par l'amélioration des incitations induite par la réduction de la dette. Si le montant de la dette est très élevé (point C), le fait que les créanciers fassent bénéficier les débiteurs de la décote du marché secondaire exerce des effets incitatifs si importants que la valeur anticipée des remboursements augmente.
La courbe CLAD est la "courbe de LAFFER de l'allègement de la dette" (Krugman (1989)). Tout comme l'Etat peut parfois effectivement augmenter ses recettes fiscales en réduisant le taux d'imposition, les créanciers peuvent parfois accroître les remboursements anticipés en allégeant une partie de la dette d'un pays. Dans les deux cas la proposition selon laquelle "moins est plus" dépend de l'existence d'une situation initiale extrême soit sous la forme d'impôts qui découragent l'offre, soit d'un fardeau de la dette qui handicape l'ajustement en vue de la croissance économique. Affirmer que la réduction de la dette est dans l'intérêt de tout le monde équivaut alors à dire que les pays endettés sont du mauvais coté de la courbe de Laffer d'allégement des dettes.
Krugman (1989) reconnait qu'il est bien difflcile en pratique de déterminer avec précision de quel côté de la courbe de Laffer se trouve un pays lourdement endetté. Cependant cette courbe montre clairement que sur le plan des principes, la thèse d'après laquelle ia dette ne devrait jamais être allégée est erronée. Elle constitue également une manière utile d'aborder l'analyse des schémas de réduction de la dette fondés sur le marché. Les perspectives de succès de ces plans sont en effet fortement liées à l'endroit de la courbe où se trouvent les pays endettés qui les mettent en oeuvre.
L'approche de la courbe de Laffer a un contenu empirique immédiat (Sachs et Huizinga (1987), Cohen (1989), Claessens (1990), Boehmer et Megginson (1990)). Si le prix sur le marché secondaire reflète la valeur de marché de la dette, il faut rechercher si l'élasticité prix de la valeur faciale de la dette est supérieure ou inférieure à l'unité en valeur absolue. Lorsque la valeur absolue de l'élasticité est supérieure à l'unité, les preteurs peuvent accroître la valeur de leurs créances en réduisant la valeur faciale de la dette.
Les estimations de l'élasticité prix de la dette par rapport à sa valeur nominale effectuées à diverses reprises ont en commun une valeur nettement inférieure à l'unité lorsqu'on raisonne sur l'ensemble des pays endettés. Ainsi, d'après les tests qui ont été effectués, seul un sous ensemble très minoritaire de pays aurait été du mauvais côté de la courbe de Laffer de la dette, ce qui peut conduire à relativiser l'intérêt pour les créanciers de solutions d'allégement volontaire de la dette.
Cependant, on peut douter de la capacité de telles estimations à discriminer quant à la situation des différents pays sur la courbe de Laffer. Les seules observations du prix de la dette sur le marché secondaire semblent constituer une base insuffisante pour établir des conclusions robustes sur la courbe de Laffer de la réduction des dettes. Comme le souligne Borensztein (1989), la faible taille de l'échantillon rend nécessaire d'utiliser des prix et des niveaux de dette en coupe afin d'essayer de mettre en évidence une relation fonctionnelle entre ces deux variables pour un pays donné. En toute rigueur, cela implique que les coefficients qui seraient obtenus par des régressions sur des séries temporelles individuelles seraient les mêmes pour chaque pays pris isolément. Une telle hypothèse est très peu séduisante. Elle ne tient le plus souvent compte que de façon très partielle de l'existence de variables spécifiques à certains pays telles que le montant de liquidités disponibles (Claessens et Diwan (1
989). Il est par exemple difficile de croire que la dette mexicaine tomberait à 6 cents par dollar (le prix de la dette péruvienne) si le rapport dettes/exportations du Mexique passait de 4,5 à 6 (c'est à-dire du niveau mexicain au niveau péruvien). Il est donc peu surprenant que les résultats obtenus ne soient robustes ni aux changements d'échantillons ni aux modifications des spécifications.