par Marco Pannella (*)SOMMAIRE: Dans cet article Marco Pannella rappelle que pour les voltairiens, pour les radicaux la démocratie signifie la garantie, pour tous, du droit de parole et donc - aussi - du droit à la bêtise. Il rappelle aussi que l'important n'est pas tant, comme on se plaît souvent à le croire dans les démocraties européennes, ce que les politiques disent mais bien plus, comme cela a été compris par les démocraties anglosaxones, ce qu'ils produisent. (Exit Le Journal, 15 octobre 1994)
Si nous n'avions pas fait de bordel autour des déclarations homophobes de Piero Buscaroli (Il faut enfermer les homosexuels dans des camps NdlR), il serait resté inconnu. Ses propos ne sont que des foutaises et ne lui ont pas permis de gagner des voix. Il a fait un mauvais score aux élections et a été battu. En ce qui me concerne, je tiens à défendre le droit à la différence de Piero Buscaroli. Le droit à la bêtise. Et je tiens simultanément à lui porter la contradiction. Le droit au débat. C'est cela la démocratie. Et c'est ainsi que triompheront nos idées.
Une société dépourvue de connerie raciste et homophobe n'est pas une société démocratique. C'est pourquoi je trouve plutôt rassurant que des gens comme Piero Buscaroli puissent exprimer leur haine à notre égard. En tant que Voltairien, je milite pour qu'il conserve ce droit. En tant qu'homme, je trouve ses propos stupides.
Le parti radical italien, que je préside, ne participe pas au Gouvernement Berlusconi mais a refusé de s'allier aux Démocrates-chrétiens pour s'opposer à sa constitution. Aux yeux de certains, il se trouve donc dans la majorité parlementaire aux côtés des "post-fascistes". Or il est possible que les insultes de Piero Buscaroli nous aient été adressés ... Cette situation peut paraître incohérente. Elle n'est pourtant pas neuve dans l'Histoire, car on ne peut faire de la politique tout seul. Ainsi, souvenez-vous du parti démocrate de Roosevelt: il comprenait les pires racistes, ceux du Klu Klux Klan, c'était pourtant le parti des libertés. Les européens cherchent la pureté dans les partis politiques, tandis que les anglo-saxons s'accommodent de cette hétérogénéité. Ce sont eux qui ont raison, car leur système n'a jamais accouché des monstres totalitaires de la vieille Europe. Pour ma part, je serais inquiet s'il n'y avait pas, au sein de notre système politique, des gens qui pensent différemment de moi. L'impo
rtant est ailleurs: savoir ce qu'ils produisent.
Depuis trente ans, je refuse de parler à propos du MSI de "néo-fascistes". Je préfère le terme de "paléo-fascistes", d'une part parce que ce sont des fossiles et d'autre part parce qu'ils sont médiocres. En effet le fascisme avait sa grandeur, sans elle il ne nous aurait pas battu. Aujourd'hui la grandeur, la vitalité et le refus des différences sont incarnés par la Démocratie-chrétienne et la Partitocratie. Ce sont eux les vrais héritiers du fascisme. Il ne faut pas s'arrêter aux apparences et faire de l'antifasciste primaire. Il ne suffit pas que le MSI ait la nostalgie de Mussolini pour représenter le fascisme, mais il suffit que la Démocratie-chrétienne confisque le pouvoir pour qu'elle l'incarne à sa manière, sans violences.
Devrais-je soutenir la Démocratie chrétienne contre Berlusconi parce qu'elle est composée de braves gens ? Et alors ? Je n'ai jamais aimé que les mauvais garçons.
(*) Marco Pannella est député européen (Alliance Radicale/ltalie). Dans les années 70, il fut l'un des leaders de Fuori, le Front de libération homosexuelle.