LA CHINE REFUSE LE CHOIX DU NOUVEAU PANCHEN-LAMA ETABLI PAR LES AUTORITES RELIGIEUSES TIBETAINES

par Francis Deron

(Le Monde, 11 août 1995)

Après avoir entretenu l'ambiguïté sur ses intentions, la Chine semble s'acheminer vers le rejet de la réincarnation du panchen-lama approuvée, depuis son exil, par le dalaï-lama. Nous n'accepterons pas le choix du dalaï-lama pour la réincarnation du dixième panchen-lama , a déclaré, au cours d'une réunion, à Lhassa, un vice-président de la région, Lhaba Puncos, cité par l'agence Chine nouvelle. Le propos n'avait pas encore été aussi net, les autorités de Pékin s'étant bornées à nier au dalaï-lama l'autorité suprême en la matière.

Pékin semble donc refuser toute tentative d'arrangement dans cette querelle de prérogative qui l'oppose au dalaï-lama dans le choix des plus hauts dignitaires du Toit du monde. La Chine insiste en effet pour suivre les rites codifiés par la dynastie mandchoue (1644-1911) dans le processus de sélection des réincarnations de dieux vivants , dont l'autorité dépasse de loin le cadre du temple ou du monastère. Ces rites comprennent notamment un complexe tirage au sort qui devait donner au trône central un pouvoir de manipulation sur le clergé. Les Tibétains en exil affirment que ces règles n'ont pas été observées ou, quand elles l'ont été, ont confirmé le choix mystique des religieux.

QUERELLE DES RITES

Quoi qu'il en soit, le paradoxe veut que, selon l'entourage du dalaï-lama, Gedhun Choekyi Nyima, l'enfant de six ans qui avait été ainsi désigné pour succéder au précédent panchen, mort en 1989, avait précisément l'aval de Pékin. La querelle a éclaté quand, le 14 mai, le dalaï-lama a pris sur lui d'annoncer son choix avant les Chinois, comme, affirme-t-il, la liturgie lui en fait le devoir.

Cette querelle des rites recouvre un différend politique en passe de se durcir à l'approche du trentième anniversaire, en septembre, de l'établissement par les Chinois, au Tibet qu'ils avaient reconquis en 1950, d'une structure gouvernementale intitulée région autonome . Selon les services du dalaï-lama, les autorités font pression sur les religieux du monastère de Tashi Lhunpo, où siège le panchen-lama, afin qu'ils se rétractent et récusent le choix de cet enfant-là.

Un moine au nom chinois de Wangdu, en charge du stupa édifié à la mémoire du précédent panchen, se serait suicidé, le 24 juillet. Quatre-vingts personnes, dont soixante religieux, auraient été emprisonnées après un incident, démenti par Pékin, du 11 juillet en présence de touristes étrangers. Pékin n'a révélé l'endroit où se trouve l'enfant, s'abstenant de démentir les affirmations selon lesquelles il aurait été amené, en compagnie de sa famille, dans la capitale.

Afin de bien marquer sa détermination à ne pas céder à la pression extérieure, Pékin a confié à un dirigeant local le soind'annoncer le rejet de la réincarnation du panchen, dans le cadre d'un symposium réuni à l'occasion du cinquantenaire de la fin de la guerre sino-japonaise en 1945. La participation du peuple tibétain à l'effort de libération nationale y a été mise en exergue pour en arriver à la conclusion, formulée par un participant, qu' une indépendance de Taïwan telle que réclamée par [le président taïwanais] Lee Tenehui et une indépendance du Tibet telle que recherchée par le dalaï-lama sont purement et simplement vouées à la faillite .

Ce regain de tension dans. le Royaume des neiges a lieu alors que le dalaï-lama s'apprête, en septembre, à se rendre de nouveau aux Etats-Unis. L'administration américaine a exclu une rencontre avec le président, l'état-des relations sino-américaines lui semblant nettement moins propice à pareil exercice que lorsque George Bush, à la fin de son mandat, avait accordé une audience privée au dieu-roi, Prix Nobel de la paix 1989.