LE BOUDDHISME MONGOL RENAîT SOUS L'OEIL DU DALAï-LAMA
par Jean-Claude Buhrer
(Le Monde, le 30 août 1995)
Pour sa cinquième visite en Mongolie depuis 1979, la troisième et la plus importante depuis le changement de régime en 1990, le dalaï-lama, qui est aussi le chef spirituel des Mongols, a tenu à préciser le caractère purement religieux de son séjour. En réalité, la cérémonie d'une douzaine de jours qu'il vient de présider avait été initialement prévue en 1993 mais avait été suspendue au dernier moment en raison d'une protestation chinoise.
Cette fois encore, les autorités de Pékin ont haussé le ton, mais sans succès: désireux de manifester son indépendance, le gouvernement d'Oulan-Bator a maintenu sa décision, estimant que la nouvelle liberté religieuse prévue par la Constitution passait par le respect des engagements de la hiérarchie bouddhiste. je ne suis pas ici pour établir des relations avec le gouvernement, a déclaré le chef tibétain en exil. je comprends fort bien qu'entre ses deux grands voisins la Mongolie n'a pas la tâche facile.
Lorsque la Mongolie s'est tranquillement dégagée de la mainmise soviétique, le bouddhisme n'était plus guère qu'un vague souvenir pour l'immense majorité de ces deux millions et demi d'habitants. Les grandes purges staliniennes des années 1930 s'étaient traduites par la destruction des sept cents monastères que comptait alors le pays, à l'exception de trois, tandis que plus de trente mille moines et abbés étaient envoyés au goulag. Les autres furent défroqués de force et certains contraints de s'enrôler sous les drapeaux.
RÉSISTANCE SECRÉTE
Mais quelques-uns, parmi les plus âgés, avouent aujourd'hui n'avoir pas totalement perdu le savoir acquis pendant leurs années de noviciat: ils ont continué
à pratiquer en secret et sont les premiers artisans du renouveau.
Dans son fameux testament, le treizième dalaï-lama déplorait, en 1933, la manière de faire des rouges, qui interdisent la recherche de la réincarnation du grand dalaï-lama d'Ourga (ancien nom d'Oulan-Bator). Son successeur, le quatorzième dalaï-lama, apporte sa contribution à faire renaître la tradition de ses ruines, tandis que Dambajav, l'abbé de Tashichoeling, l'un des deux grands monastères de la capitale, espère que les lignées de savoir seront rétablies. Le bilan de ce retour aux sources ne laisse pas de surprendre: une centaine de sanctuaires reconstruits, dont une dizaine à Oulan-Bator, plus de deux mille cinq cents moines dûment ordonnés et formés et la volonté profonde de rétablir cette dimension spirituelle locale dont plusieurs générations ont été privées.