LA COMEDIE DE PéKIN
Quelle idée d'aller débattre du sort de femmes dans un pays, la Chine, ou leur droits élémentaires sont bafoués!
par Françoise Giroud
(Le Figaro, le 31 août 1995)
Cela fait très chic d'aller en Chine et de pouvoir ensuite raconter comment l'on a marché sur la Grande Muraille.
Bon appétit, donc, aux trente-cinq mille femmes que l'on va y trimbaler à l'occasion de la 4, Conférence sur les femmes, organisée sous l'égide de l'ONU.
Nul doute qu'on les gardera d'avoir d'autres curiosités. Parquées à 50' kilomètres de, la capitale, elles verront ce qu'on leur permettra de voir, et rien d'autre.
On dira qu'elles ne sont pas à Pékin pour faire du reportage. Précisément, c'est dommage. Ainsi serait levée une formidable imposture, celle qui consiste à débattre du sort des femmes dans un pays, la Chine, où leurs droits élémentaires sont bafoués.
On sait que la loi chinoise impose aux couples de n'avoir qu'un enfant. Un autre serait-il en route, l'avortement est obligatoire, puis la stérilisation. La femme cherche-telle à se dérober ? D'abord, on l'enferme et on la baratine jusqu'à ce que, épuisée, elle se déclare convaincue qu'elle veut avorter. Résiste-t-elle encore ? on emploie la force. Des pratiques barbares. Ici et là, on procède à des rafles de femmes enceintes. Partout, on pratique l'infanticide des bébés filles, parfois en les laissant mourir de faim.
Qui en parlera à Pékin ? Personne, cela va de soi. Ou bien y aura-t-il une héroïne ? Improbable. Or tout cela est su, connu, a été dénoncé. Seule l'ONU, toujours à la pointe du progrès, ne doit pas , être au courant, puisqu'elle a choisi délibérément Pékin comme lieu de colloque international. C'est que la Chine est un grand marché, qu'elle était affligée de n'avoir pas été choisie comme site pour les derniers Jeux olympiques, et qu'elle attendait qu'on lui fasse une politesse. Il faut être bien avec la Chine, n'est-ce pas, Mme Clinton ?
Il ne s'agit pas de faire la leçon à un pays qui n'en a que faire, mais simplement de s'interroger faut-il aller à Pékin ? Faut-il accepter de collaborer, qu'on le veuille ou non, à la propagande de la Chine. Faut-il passer le Tibet par pertes et profits et tolérer que les Tibétaines dissidentes soient exclues de la Conférence ? Faut-il fermer pudiquement les yeux sur le goulag chinois et les horreurs dénoncées par Harry Wu ? Faut-il admettre que, pour là première fois dans l'histoire d'une conférence internationale, le pays invitant récuse certaines délégations (Taïwan, les Iraniennes qui refusent l'application de la charia) ? Faut-il accepter d'être complice d'une énorme manipulation politique dont les femmes ne seront que le prétexte?
Une abstention motivée de délégations françaises n'aurait assurément qu'un caractère symbolique. Elle n'en aurait pas moins de poids.
Mais il ne faut pas rêver, la machine est en route, la course auxvisas et à la chambre d'hôtel aussi, l'un n'allant pas sans l'autre et l'autre étant introuvable, élégante manière de procéder à une sélection... La comédie de Pékin est en bonne voie.