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Conferenza Tibet
Partito Radicale Centro Radicale - 23 novembre 1995
Tibet/hearing du Bundestag: Bauman

VOIE SANS ISSUE: UN CHEMIN DE CROIX TIBETAIN AU NEPAL

Témoignage de Bruno Baumann

(Traduit de l'allemand par Les Amis du Tibet-Belgique)

L'avion se pose brutalement sur la petite piste de Simikot. Il roule en cahotant sur le terrrain et vire en rasant du nez la pente abrupte qui marque la fin de la piste.

Nous sommes début juillet, la mousson est déjà bien avancée, et les pics de l'Himalaya se cachent derrière de lourds nuages.

Nous avons à peine le temps décharger les bagages et de les déposer au bord de la piste que déjà deux policiers népalais surgissent pour contrôler nos passeports et permis de trekking.

Le district de l'Humla Karnali est en effet resté fermé aux étrangers jusqu'à fin 1993: avec le Mustang et le Dolpo, il faisait partie des zones limitrophes du Tibet interdites d'accès depuis l'annexion du Tibet par la Chine. Ce n'est que tout récemment que le Népal ouvre peu à peu ces régions et en autorise l'accès sous certaines conditions, c'est à dire, moyennant une redevance substantielle et une escorte policière pour les visiteurs. Les formalités m'étaient déjà familières, car c'était mon deuxième passage. Au printemps de 1994, juste après l'ouverture, j'avais déjà conduit un groupe de Simikot au Mont Kailash.

Me voici maintenant revenu avec des amis, dont un parlementaire suisse, un éditeur connu et un interniste zürichois, le prof. Rhomberg. Nous avons payé une somme considérable pour obtenir l'autorisation de suivre ce parcours de Simikot vers le nord-ouest, mais nous ne savons toujours pas si les Chinois nous laisseront entrer au Tibet.

L'Himalaya, ce massif "imprégné de spiritualité" comme l'a appelé Herbert Tichy, n'a jamais été, malgré sa hauteur imposante, un mur entre les hommes, mais tout au plus un obstacle que la foi et le commerce permettaient de franchir. Par d'innombrables sentiers, le Bouddhisme est passé de l'Inde au Tibet, et les caravanes franchissaient nombreuses les cols que la montagne ouvrait si généreusement à l'homme. Ce n'est que récemment, depuis l'occupation du Tibet en 1950, que l'Himalaya est devenu une vraie frontière. Aujourd'hui, la frontière politique court le long de sa crête, sur les pics les plus élevés de la planète, une frontière absurde, que seul le Yéti serait capable de suivre. Tous les cols qui jadis reliaient les hommes entre eux, sont maintenant fermés.

Devant nous s'élève le Nara-La - autrefois un point de passage important sur la route du sel - qui sera, du moins nous l'espérons, notre porte d'accès au Tibet. De là part le sentier qui nous mènera au Kailash. Nous nous laissons guider par le ruban argenté de l'Humla Karnali - un des quatre grands fleuves d'Asie qui prennent leur source au Kailash - dont nous suivions la vallée.

Comme je connais bien la route, je marche loin devant le groupe. Au bout de deux heures, j'atteins Dharapani, un village Thakhuri de quelques maisons éparpillées entre des terrasses de riz et de blé étagées en à flanc de montagne. J'y rencontre deux policiers népalais, assis sur une petite élévation au bord de la route. Ils me saluent d'un "Namaste" aimable. Les voyant armés de fusils, je les prends pour une de ces nombreuses patrouilles que l'on croise dans la région.

Mais à un détour du chemin, je tombe sur tout un groupe de gens en uniforme, assis en cercle autour de quelques pauvres hères émaciés qui se reposent à l'ombre des arbres. Et à quelques pas j'aperçois un policier debout, appuyé sur la crosse de son fusil, qui surveille manifestement le sentier.

Je me rends tout de suite compte que les personnages émaciés sont des Tibétains, et je les salue du "Tashi Delek" traditionnel. Ils me répondent de même, et un ou deux visages s'éclairent brièvement d'un triste sourire. Bien qu'ils soient tous vêtus à la chinoise, deux d'entre eux portent des couleurs jaune et bordeaux; je suis sûr qu'ils sont des moines. Tous les Tibétains paraissent épuisés et apathiques. Un des policiers népalais, qui parle bien l'anglais, me demande des médicaments pour traiter deux des réfugiés - car ce sont des réfugiés, j'en suis sûr - qui sont malades au point de ne presque plus pouvoir marcher. J'explique qu'un de mes compagnons est médecin et ne tardera pas à nous rejoindre, mais les policiers décident malgré tout de repartir. Je suis le groupe. Les Tibétains se traînent avec peine. Un moine et le plus jeune réfugié, qui n'arrivent plus à suivre le rythme, restent en arrière avec leurs gardiens.

Même sans armes, les policiers n'auraient aucune peine à maîtriser les fugitifs: ceux-ci n'ont plus la force de se défendre. Alors que les Népalais n'ont pas d'autre charge que leur fusil, les Tibétains doivent porter sur le dos leurs pauvres bagages et les provisions de bouche - du thé et du riz. Les Népalais les font avancer brutalement. Ils les traitent comme de vulgaires marchandises.

Au bout de quelques kilomètres, ils arrivent à l'étape, le poste de police de Dharapani. Il se met à pleuvoir, et je me réfugie sous le toit du poste pour attendre mes compagnons. Les deux Sherpas, Jangbou et Pemba arrivent les premiers. A la vue des réfugiés, leur visage s'assombrit. "Ils vont avoir de gros problèmes" me dit Jangbou. Je demande: "Que va-t-il leur arriver?". "Les Chinois vont tous les exécuter" répond-il sans hésiter.

Jangbou étant de langue maternelle tibétaine, je lui demande de rassembler un maximum d'informations sur les réfugiés: nom, lieu d'origine, raisons de fuir. Mais surtout, je voulais découvrir ce que les Népalais avaient l'intention de faire d'eux et comment nous pouvions les aider. Peut-être pouvions-nous les acheter?

Mes compagnons arrivent enfin, et nous dressons les tentes sur le toit plat d'une maison voisine du poste. La soirée se passe à chercher fébrilement un moyen de secourir les Tibétains. Mon ami Schurle (le professeur Rhomberg), qui est allé examiner les Tibétains malades, m'explique qu'ils sont tous atteints de troubles digestifs et très affaiblis par une gastrite aiguë.

Jangbou et Pemba ont pu s'entretenir en toute tranquillité avec les réfugiés. Ils ne risquaient d'ailleurs pas d'être interrompus, car les policiers ne savent pas un traître mot de tibétain. Cependant, même les deux sherpas d'origine tibétaine ont des problèmes de communication, car tous les réfugiés, sauf un, sont originaires du Kham, au Tibet oriental, et ne parlent que le dialecte de la région. Seul le plus âgé des Khampa, qui est aussi le chef du groupe, Gombu Gyaltsen, un moine cultivé de 45 ans, arrive à se faire comprendre de nos sherpas. Nous apprenons par lui que le groupe compte sept moines au total, tous du monastère de Dargye Jamchen Choe. Ils ont décidé de fuir ensemble pour aller voir le Dalaï Lama. En cours de route, trois Amdowas se sont joints à eux. Près de la garnison chinoise d'Ali (Shiquanhe), au Tibet oriental, ils ont rencontré le jeune Sonam Gyatso, 26 ans, qui connaissait assez bien les lieux pour les conduire au Népal par un col non surveillé à l'ouest du Nara-La. Ils avaient alors

déjà quatre mois de voyage derrière eux. L'ennui, c'était que Sonam Gyatso ne connaissait absolument pas le Népal. Les réfugiés durent donc louer les services d'un guide local qui leur promit -pour une grosse somme - de les conduire en Inde. Mais à proximité de la frontière indienne, il les abandonna à leur sort et les Tibétains furent promptement capturés par les policiers népalais. Ceux-ci les forcèrent ensuite à marcher pendant 7 jours, sous escorte policière, jusqu'à Simikot.

Ils vont maintenant être ramenés au Tibet et remis entre les mains des Chinois: la terreur se lit sur leurs visages.

Plus la frontière approche, et plus nos Tibétains sont terrifiés.

Le lendemain 5 juillet, nous marchons par Kermi jusqu'à la Chunsa Khola. Comme la veille, je marche loin devant les autres. Seul Schurle reste avec les réfugiés et s'occupe d'eux avec la plus grande sollicitude. Le soir, il me raconte, au bord des larmes, que Sonam Gyatso l'a supplié plusieurs fois de lui donner une piqûre mortelle: il préférait mourir au bord d'un sentier népalais plutôt que de tomber entre les mains des Chinois.

Bien que l'étape de Dharapani à la Chumsa Khola, où nous nous arrêtons ce soir-là, soit fort longue, les Népalais forcent les réfugiés à poursuivre leur marche jusqu'au poste de police de Yalbang. Sur les rives de la Chumsa Khola, nous tombons sur un campement de touristes américains en route pour Simikot et Kathmandou. "Voilà enfin", me dis-je "une chance inespérée de sauver les réfugiés!". Armé de la liste des noms, je me rends auprès des Américains. Le guide écoute mon récit sans dire mot, le visage fermé. Il n'accepte qu'à contrecoeur la liste des noms que je le prie de remettre à l'ambassade américaine à Kathmandou.

Je suis révolté par son attitude, par cette mentalité du "rien voir, rien dire", de cette indifférence complice devant une injustice criante.

Jangbou a appris entre-temps que la chasse aux réfugiés tibétains et leur déportation a commencé il y a à peine un an, depuis qu'il y a un nouveau commissaire de police à Simikot. Il semble qu'avant, on laissait les réfugiés tibétains passer sans encombre par cette route.

N'ayant guère d'espoir que les Américains remettront mon document à leur ambassade, je ne vois plus qu'un moyen d'aider nos réfugiés: convaincre les policiers népalais de ne pas les livrer à leurs collègues chinois, mais de laisser partir à la frontière de fait, située en un lieu que je me rappelle parfaitement du voyage précédent. Au printemps 1994, la frontière n'était pas encore gardée à cet endroit, et même le poste-frontière chinois qui surplombe l'Humla Karnali, à l'entrée du village de Shéra, était inoccupé: la borne-frontière se trouve en effet sur la rive de l'Humla Karnali, au point précis où un pont enjambe le fleuve. Je me dis que les réfugiés ont une chance de s'échapper si les Népalais les relâchent à cet endroit.

Le lendemain, Jangbou, que nous avons chargé de négocier avec les Népalais, rapporte de bonnes nouvelles: les Népalais ont promis de relâcher les réfugiés près du pont.

Malheureusement, le même jour, Schurle tombe malade, et son état s'aggravant d'heure en heure, il doit être évacué d'urgence en hélicoptère. Un autre de mes compagnons, Walter, tient à l'accompagner. Cette opération complexe est organisée à Munchu, le dernier poste de police important avant la frontière tibéto-népalaise, où les Tibétains ont également passé la nuit.

Pendant qu'un des officiers de police s'affaire avec nos documents, un autre me montre fièrement la lettre que leur a addressée, en excellent anglais, un de leurs collègues chinois du poste de Burang. A propos d'une précédente affaire, l'officier chinois les remercie vivement de leur excellente collaboration à la "récupération des personnes qui troublent l'ordre aux frontières". Le Népalais me précise que quarante réfugiés tibétains ont déjà été "récupérés" à ce point de passage.

Mes amis sont enfin prêts à regagner Kathmandou. Walter me promet de remettre, dès son retour, la liste des noms à Amnesty International et à TIN-Londres. Le coeur lourd, nous prenons congé de nos amis, et nous repartons. Comme d'habitude, les réfugiés ont quitté le poste bien plus tôt avec leurs gardiens. Nous les rattrappons peu avant Yari, le dernier village népalais avant la frontière, au pied du Nara La. Ce soir-là, nous dressons le camp juste à côté du poste de police.

La montée vers le Nara-La, qui se trouve à 4.500 m., est une effroyable épreuve - physique et psychologique - pour les Tibétains à bout de forces. Je me propose d'arriver avant eux avec mon groupe au village-frontière de Shéra dans l'espoir de détourner l'attention des garde-frontière chinois et donner ainsi leur chance aux Tibétains - à condition que les Népalais les relâchent au bord du fleuve, comme convenu.

Je marche en tête avec Pemba. Le col franchi, nous arrivons au pont-frontière sur l'Humla Karnali, et tout en haut, sur une terrasse naturelle, j'aperçois le drapeau chinois. Je vois aussi que le poste-frontière est maintenant occupé: des silhouettes en vert nous observent à la jumelle. Une dernière montée verticale, et nous voici devant le poste des garde-frontière.

On nous y attendait. L'officier me prie courtoisement, mais fermement d'entrer. A l'intérieur se trouve le même policier népalais qui nous avait promis de libérer les Tibétains. Il sirote tranquillement une tasse de thé. Je lui lance un regard incrédule. Il détourne les yeux avec embarras.

Quels idiots nous sommes! Nous avons vraiement cru, dans notre naïveté, que les Népalais laisseraient repartir les Tibétains! En réalité, tout était déjà arrangé. J'aurais vraiement dû m'en rendre compte en lisant la lettre du policier chinois à Munchu. Maintenant il est trop tard.

Sur ces entrefaites un camion chinois arrive de Burang: même le transport des Tibétains a été organisé d'avance. Les communications doivent fonctionner parfaitement entre les postes de police de Simikot et de Burang! Les garde-frontière chinois ne me prêtent aucune attention; ils arpentent nerveusement la cour et scrutent sans cesse le sentier, bien visible, qui descend du Nara-La. Soudain, ils coiffent leurs casquettes, saisissent leurs fusils et descendent au pas d'oie jusqu'au fleuve.

Mes amis sont arrivés entre-temps avec nos porteurs simikotois, qui ont posé leurs charges à terre et observent les événements.

Au bout de quelques minutes, les Chinois réapparaissent avec leurs Tibétains, suivis des policiers népalais. Le commandant chinois nous fait clarement comprendre qu'il est interdit de prendre des photos.

De toute évidence, la plus cordiale des ententes règne entre Népalais et Chinois: ils se donnent des tapes amicales sur l'épaule, échangent des plaisanteries et prennent le thé ensemble.

Après cela, on force les Tibétains à monter dans le camion en compagnie de trois Chinois armés. Et à ma stupéfaction, tous les Népalais les accompagnent.

J'apprends alors par Jangbou, auprès de qui ils s'en sont vantés, que les Népalais vont toucher à Burang une prime de 1.000 yuan par tête de réfugié et que les Chinois leur offriront en prime une visite au lac Manasrowar, but suprême de tout pélerin hindou pieux.

Gombu Gyaltsen profite de l'inattention momentanée des gardes pour me glisser la plaquette qu'il porte au cou et qui l'identifie comme moine, et pour passer secrètement à un de mes compagnons un petit paquet d'écrits sacrés qu'il portait sur lui.

Enfin, le camion part pour Burang. Nous ne reverrons plus nos Tibétains.

Le lendemain, nous partons nous aussi pour Burang, où Jangbou et Pemba vont tenter d'apprendre ce qu'il est advenu des Tibétains.

Le soir, ils me racontent que les réfugiés ont été battus et expédiés ensuite à Lhassa.

"Comment l'avez-vous appris?" leur demandons-nous. "Par Pasang" répondent-ils en choeur. "Par Pasang, notre guide tibétain de Lhassa?" dis-je, stupéfait. "Mais oui", me font-ils, "lui aussi travaille pour les services de renseignement chinois".

 
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