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Conferenza Tibet
Partito Radicale Centro Radicale - 23 novembre 1995
Tibet/hearing du Bundestag: Barnett

PRISE DE POSITION DE M. ROBERT BARNETT, DIRECTEUR DU TIBET INFORMATION NETWORK-LONDRES DEVANT LA COMMISSION DES AFFAIRES ETRANGERES DU BUNDESTAG DE LA RFA

Audition sur le Tibet, Bonn, le 19 juin 1995

(traduit de l'anglais en français par Les Amis du Tibet-Belgique et le CSPT-France)

1.1. Statut international du Tibet

Je ne suis pas spécialiste du droit international, mais je soumettrai quelques remarques d'ordre historique:

a. Les autorités chinoises n'ont produit, pour la période antérieure à 1951, aucun document d'origine tibétaine par lesquel les autorités tibétaines auraient reconnu que le Tibet faisait partie de la Chine. De ce fait, les preuves présentées par les Chinois ont toutes un caractère allusif, ambigu ou culturellement spécifique et ne sont donc pas transposables en termes de droit contemporain.

b. Les autorités chinoises n'ont pas été en mesure de prouver que les Tibétains aient jamais reconnu que les titres, déclarations et dons des divers empereurs chinois signifiaient que le Tibet faisait partie de la Chine. Ces titres, déclarations et dons peuvent ne pas avoir été interprétés dans ce sens par les Tibétains.

c. Si la Chine estimait, avant 1951, que le Tibet faisait partie de la Chine, elle n'a néanmoins pas pu considérer le Tibet comme complètement intégré à la Chine, étant donné que le Tibet était doté d'organes gouvernementaux propres tout à fait distincts ceux qui administraient les provinces chinoises intérieures.

L'actuel gouvernement chinois n'a jamais expliqué cette séparation. En language contemporain, une telle séparation reflète la différence existant entre le territoire propre et un territoire colonial. Cela fonde à croire que les Chinois voyaient le Tibet de la même façon qu'un Etat moderne verrait une colonie ou un protectorat voisin.

d. Le Tibet a été internationalement reconnu comme jouissant de facto de l'indépendance au moins pendant la période 1911-1950.

e. Des documents prouvent que la Mongolie et le Népal considéraient le Tibet comme indépendant avant 1949.

f. La Grande-Bretagne et l'administration britannique en Inde ont traité le Tibet comme un Etat indépendant au moins pendant la période 1911-1950. L'administration britannique en Inde a maintenu, sans le déclarer publiquement, que le Tibet était indépendant de facto, et le Viceroi d'Inde, Lord Curzon, a qualifié les prétentions chinoises de "pure fabrication".

g. Il n'est pas exact que tous les pays considèrent actuellement le Tibet comme faisant partie de la Chine. Le gouvernement britannique considère le Tibet comme "autonome". Cette expression n'a pas été définie avant 1959 par les autorités britanniques comme incluant la maîtrise des relations extérieures. Le sens n'en a pas été précisé depuis. La position officielle du gouvernement britannique est aujourd'hui que la Chine a "une position spéciale" au Tibet, mais cette "position spéciale" est subordonnée à la condition que le Tibet reste "autonome". Pour des raisons politiques, le gouvernement britannique s'abstient d'aller jusqu'au bout des conclusions qu'appelle cette forme inusitée de reconnaissance conditionnelle. La Grande-Bretagne a été la seule grande puissance à traiter avec le Tibet avant 1950, et elle a entretenu d'amples relations diplomatiques avec ce pays. Cependant, elle a choisi de ne jamais traduire en termes juridiques précis sa position concernant le Tibet, et elle n'a apparemment pas non plu

s informé d'autres gouvernements des implications de la position britannique. Depuis la fin des années soixante, la Grande-Bretagne s'abstient en outre de se référer expressément à la conditionalité de sa reconnaissance de la "position spéciale" de la Chine au Tibet. C'est pourquoi la Grande-Bretagne ne dit pas à l'heure actuelle: "le Tibet fait partie de la Chine", mais bien: "le Tibet est autonome et la Chine y a une position spéciale". Telle reste sa position.

h. A certains moments de l'Histoire, la Chine a exercé une influence considérable au Tibet par l'entremise de ses "commissaires" (les ambans). A plusieurs reprises, le Tibet a fait appel à l'aide militaire de la Chine pour sa défense, et la Chine a donné suite à ces demandes. Un grand nombre de personnalités officielles et de dirigeants du Tibet ont porté, et mentionné, des titres et distinctions honorifiques qui leur avaient été accordés par des Empereurs chinois, et ils ont aussi demandé conseil et aide à la Chine pour des questions importantes. Il n'est pas clair que ces actions aient une valeur juridique, ni de quel ordre elle pourrait être. Ils ne prouvent cependant pas, en tant que tels, que le Tibet faisait partie de la Chine.

i. Il y a lieu de tenir compte de la perception subjective: il n'existe aucune preuve du fait que les Tibétains autochtones, même ceux des régions frontalières contestées, se considéraient comme Chinois ou comme vivant en Chine.

j. Il ne faut pas non plus oublier la réalité des conditions de vie et de travail des historiens chinois et tibétains. Tout citoyen chinois qui affirmerait que le Tibet ne fait pas partie de la Chine ou que le Tibet n'a pas fait partie de la Chine pendant au moins 300 ans, commettrait un acte de trahison. Eu égard au caractère répressif de l'Etat chinois, les documents sur le Tibet rédigés depuis 1949 par des Chinois ou des Tibétains dans la RPC, ne sauraient être jugés sur les apparences, mais doivent être traités comme des pamphlets politiques et non comme des documents ayant quelque valeur scientifique.

En bref, il apparaît que

A. La thèse actuelle de la RPC selon laquelle le Tibet fait partie de la Chine reflète peut-être l'opinion des Chinois, mais est en réalité une réécriture grossière de la vérité historique. De plus, la menace permanente de sanctions sous laquelle vivent les universitaires en Chine exclut toute discussion réelle de la question en Chine comme au Tibet.

B. Avant le XXe siècle, la Chine se prévalait, à tort ou à raison, d'une "position spéciale" ou hégémonique au Tibet, c'est à dire, autre que la souveraineté totale, position que les Britanniques ont reconnue à titre strictement conditionnel, et qui semble correspondre grosso modo à la notion contemporaine de "colonie" ou de "protectorat".

C. Les Tibétains, en tant que peuple et en tant qu'Etat, ont entretenu à certains moments des relations très étroites avec la Chine. Rien ne prouve cependant qu'ils aient jamais cru pour autant que le Tibet faisait partie de la Chine ou même qu'il était une colonie de la Chine. Il n'existe aucun acte représentatif d'origine tibétaine antérieur à 1951 qui reconnaisse la souveraineté de la Chine. En termes de processus démocratique ou de perception populaire, la Chine n'a pas prouvé avoir le moindre droit d'être au Tibet.

1.2. Situation des droits de l'homme au Tibet

Libertés politiques

La RPC a pour tactique de montrer que ses lois font une large place aux droits les plus divers de l'homme et de restreindre ces droits à l'extrême dans la pratique. Il est sans doute utile de rappeler que, d'un point de vue juridique, les Chinois ne considèrent pas les droits fondamentaux de la personne comme des droits allant de soi ou donnés a priori, mais bien comme des privilèges accordés sous condition par l'Etat. Les prétendus "droits" (désignés dans la Constitution par le terme de "libertés") ne sont qu'une concession faite par l'Etat et que celui-ci peut abroger ou modifier à sa guise.

Le caractère des restrictions qui contrebalancent les droits constitutionnels de la personne humaine en Chine varie avec l'alternance des factions dominantes au sein du Parti communiste. La Chine et le Tibet ont connu depuis 1979 une libéralisation sans doute appréciable, mais strictement limitée à des domaines précis, et ces dernières années, la libéralisation opérée dans certains domaines (tels le commerce et la liberté de circulation intérieure des personnes) a été contrebalancée par des restrictions croissantes dans d'autres (tels la religion et la sûreté de l'Etat). Cette politique a pour effet de créer à l'extérieur l'impression que la Chine est un pays relativement ouvert et décontracté, mais les Tibétains ou Chinois ordinaires risquent d'en avoir une toute autre perception.

Cette libéralisation apparaît dans toute sa superficialité dès qu'elle est replacée dans le contexte de l'idéologie de l'Etat chinois. Cette idéologie est articulée sur les "Quatre Principes Cardinaux" tels qu'ils sont définis dans le Préambule de la Constitution de la RPC (1982):

- la suprématie du système socialiste;

- la dictature du prolétariat;

- la suprématie du Parti communiste;

- la supériorité de la pensée marxiste-léniniste-Mao-Tsetung.

Tout acte contraire à ces principes est considéré comme "contre-révolutionnaire" et peut, dans certaines circonstances, entraîner la peine de mort. Dans un Etat régi par une telle constitution, les violations des droits fondamentaux de la personne sont une fatalité.

S'agissant des droits de l'homme, on notera que les Quatre Principes Cardinaux ont pour effet direct d'exclure a priori tout débat politique libre et toute participation du peuple au processus politique au sens de l'article 21 de la Déclaration Universelle de 1948. L'interdit frappant la libre participation au processus politique et la démocratie pluraliste est un des aspects clés du régime politique en Chine et au Tibet.

Il s'agit bien en l'occurence d'une violation flagrante des droits de la personne, mais que peu d'observateurs extérieurs mettent en evidence.

Il s'y ajoute encore au Tibet, mais non en Chine, une catégorie de violations constantes des droits de l'homme qui résultent de l'engagement de l'Etat de veiller, outre à l'application des Quatre Principes, à l'observation d'un cinquième dogme, celui de "l'unification de la mère-patrie", tel qu'il est formulé dans la définition de "contre-révolution" du code pénal chinois (1980). Toute atteinte au dogme de l'unité et toute critique du système socialiste valent "crime contre-révolutionnaire". Or, étant donné que la plupart des Tibétains estiment que la thèse voulant que le Tibet fait partie de la Chine est une pure invention, voire une tromperie grossière, c'est ce cinquième dogme ou principe constitutionnel qui menace le plus leurs droits et les expose le plus au risque de sanctions graves. Du reste, plus de 95% des prisonniers de conscience au Tibet sont accusés de contester ou menacer "l'unité de la mère-patrie".

Liberté religieuse

La RPC considère la religion comme un mode de pensée retardataire qui est voué à "dépérir" au fur et à mesure des progrès du socialisme. Si la RPC n'essaie plus de faire disparaître la religion par la violence, elle reste cependant équivoque quant à son avenir. La Constitution chinoise accorde "la liberté de croyance" aux termes de son article 36, mais elle n'autorise que les pratiques religieuses "normales". Le gouvernement n'ayant pas défini ce qu'il faut entendre par "normal" en l'espèce, il a toute latitude pour frapper les pratiques religieuses de restrictions. Les restrictions de cet ordre visent, en général, les contacts avec des organisations religieuses étrangères, l'enseignement de la religion, l'entrée dans la vie monastique ou la tenue de grandes cérémonies ou assemblées. Pour ces dernières, la permission des autorités est requise.

A l'heure actuelle, les pratiques religieuses privées sont tolérées au Tibet, encore que la politique ait changé depuis août 1994 et que de nouvelles restrictions aient été instaurées. Il a éte décrété que dorénavant, les moines et nonnes "officieux" (= non enregistrés) seraient expulsés des monastères et couvents; que nulle communauté monastique ne devait dépasser un nombre-limite de membres; qu'il était interdit, en tout cas sans permission, d'édifier de nouveaux monastères, couvents et temples; qu'il était interdit de vendre des photos du Dalaï Lama; qu'il était interdit aux fonctionnaires de l'Etat de garder des objets religieux dans leurs logements (et peut-être aussi de se livrer à des pratiques religieuses). Il a été ordonné aux moines et nonnes de signer des déclarations d'opposition au mouvement indépendantiste et à la "clique du Dalaï". De surcroît, seuls les sympathisants "patriotiques" du Parti communiste peuvent siéger au comité de gestion de chaque monastère, couvent ou temple.

Il y a également ingérence massive de l'Etat dans la recherche et nomination des chefs religieux, tels le Panchen Lama. De plus, une fois reconnus, les chefs religieux sont contraints d'accomplir d'humiliants actes d'obédience à l'idéologie communiste. C'est ce qui a, par exemple, été exigé du Karmapa, un enfant de 11 ans, en 1994. Tous les moines ou moniales accusés d'une quelconque transgression politique sont impitoyablement expulsés de leur monastère ou couvent.

Le Rapporteur spécial de l'ONU sur l'intolérance religieuse a traité de ces questions dans le rapport qu'il a fait de sa visite en Chine et au Tibet en novembre 1994. Le jour de son arrivée au Tibet, les autorités chinoises ont promulgué un avis annonçant que le développement de la religion au Tibet serait sujet à restrictions.

Liberté de presse

La liberté de presse n'existe ni Chine ni au Tibet. En Chine, plusieurs journalistes purgent actuellement de longues peines en prison pour avoir fait ce qui passerait ailleurs pour un travail d'information tout à fait normal. Depuis 1992, de nouvelles restrictions ont été introduites dans la législation sur la sûreté de l'Etat afin de rendre la tâche des journalistes encore plus difficile et plus dangereuse. L'Etat contrôle directement ou indirectement toutes les publications et toutes les émissions radiodiffusées et télévisées, et la population est tenue de n'écouter ou regarder que l'information censurée. Il est interdit de diffuser certains types d'information, et notamment, les noms de prisonniers et les nouvelles de la dissidence. On sait qu'un médecin tibétain, Jampa Ngodrup, purge actuellement une peine de 13 ans pour avoir inclus une liste de prisonniers politiques dans une lettre en 1989.

Liberté d'opinion

Les Tibétains peuvent critiquer certains aspects non essentiels de la politique chinoise, à condition toutefois de ne pas porter atteinte aux Quatre Principes Cardinaux ou au dogme de "l'unité de la mère-patrie". Ils peuvent critiquer les services éducatifs ou sociaux et dénoncer la pauvreté, les hausses de prix, l'inflation, la corruption et quelques autres aspects de la politique sociale. Ils peuvent, dans une certaine mesure, attaquer la politique culturelle et linguistique. Il est également toléré que des dirigeants tibétains expriment de telles critiques au sein de la "Conférence politique consultative du Peuple chinois", assemblée sans pouvoir qui borne à prendre acte des décisions du gouvernement.

En principe, les autres formes de critique sont interdites et sont passibles de lourdes peines. Ainsi, un ancien moine, Yulo Dawa Tsering a été condamné à 10 ans de prison en 1987 pour avoir parlé de l'indépendance du Tibet au cours d'un repas privé avec un touriste italien à Lhassa. D'innombrables Tibétains sont en prison pour avoir publié des tracts ou pamflets critiquant le gouvernement. Parmi eux se trouvent 10 moines de Drepung, condamnés à 19 ans pour avoir produit un tract sur la démocratie et une traduction tibétaine de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme; Tanak Jigme Sangpo, condamné à 28 ans pour avoir, trois fois de suite, enfreint la loi en clamant des slogans politiques; un Tibétain condamné à 12 ans pour avoir exhorté des jeunes à chanter "des chants contre-révolutionnaires".

Liberté de réunion et d'association

Il y a eu, depuis septembre 1987, 214 tentatives documentées des Tibétains pour organiser des manifestations indépendantistes au Tibet. Dans chacun des ces 214 cas, la police chinoise a arrêté tous les manifestants Tibétains sur lesquels elle a pu mettre la main, et les a expédiés dans les camps de travail. Pratiquement tous les manifestants -et au moins 600 depuis 1990- ont été condamnés à des peines allant d'environ 3 ans pour ceux "coupables d'offenses mineures" à environ 6 ans pour les "meneurs".

Il y a également eu une quinzaine d'autres manifestations contre les hausses de prix, les droits d'incription scolaires et d'autres questions du même ordre, mais elles n'ont pas été interrompues par la police.

Le système judiciaire

Le système judidicaire est contrôlé par le Parti communiste en Chine et au Tibet. L'indépendance du judiciaire est inexistante. Les fonctionnaires du Parti organisent, par exemple, des répétitions de procès avant tout procès important. Il y a présomption de culpabilité. En 1993, 0,44% seulement des accusés ont été acquittés en Chine. Il n'y a aucun cas connu d'acquittement de Tibétains accusés de crimes politiques. L'extorsion d'aveux par la torture et la violence sont pratique courante. Les peines sont extrêmement lourdes. Seul point positif: depuis 1990, les Chinois évitent d'user de la peine de mort au Tibet, peut-être à cause des pressions internationales ou par crainte de troubles du côté des Tibétains.

1.3. Preuves manifestes d'une discrimination systématique dans les domaines socio-économique, éducatif et sanitaire

Il existe des preuves convaincantes de l'existence d'une discrimination sociale au Tibet, mais il est difficile d'établir s'il s'agit d'une discrimination systématique ou délibérée résultant de la politique du gouvernement.

Il n'a pas été possible à des sociologues qualifiés et indépendants d'effectuer une recherche adéquate sur ce problème. Les autorités chinoises limitent très strictement l'accès des chercheurs au Tibet, ce qui gêne considérablement l'étude de la question.

Cependant, tout porte à croire que les autorités chinoises ont délibérément laissé disparaître les mesures de discrimination positive du début des années quatre-vingt. En 1992, les autorités chinoises ont supprimé un certain nombre de conditions idéologiques permettant aux dirigeants tibétains d'invoquer "les conditions spéciales du Tibet". Le concept de "conditions spéciales" représentait une clause d'exception offrant aux dirigeants tibétains la possibilité d'une modeste discrimination positive en faveur des Tibétains sous forme d'actions d'aide à leur développement social et politique.

Ces concessions ont été annulées de fait lors de la campagne lancée dans toute la Chine par Deng Xiaoping sous le nom de "grande marée de printemps" pour accélérer la mise en place d'une économie de marché. Les factions conservatrices ou anti-tibétaines au sein de la direction chinoise au Tibet ont saisi l'occasion pour introduire au plus vite l'économie de marché au Tibet et pour éliminer pratiquement tous les vestiges de discrimination positive dans le commerce, dans la fonction publique et ailleurs. La disparition des concessions d'action positive (du moins dans le commerce et les services publics) a été symbolisée par l'annonce, en décembre 1992, de l'élimination des postes de contrôle sur les routes reliant le Tibet et les provinces chinoises. Cette mesure a été comprise comme indiquant que les entrepreneurs et migrants chinois étaient désormais libres de se rendre au Tibet.

En théorie, la loi chinoise donne aux dirigeants tibétains de la prétendue "Région Autonome" le droit de limiter de tels mouvements migratoires, mais il est clair qu'en dépit de leurs instances documentées, ils n'ont plus été autorisés à le faire. Vers la même époque, en avril 1992, l'administration tibétaine a reçu l'ordre de construire des centaines de boutiques de location pour les petits commerçants; 5.000 nouvelles entreprises privées se sont créées en 1993 dans la seule ville de Lhassa.

Cette décision a également été comprise comme une invitation aux entrepreneurs chinois à venir au Tibet, et elle a encore été renforcée par une réglementation qui simplifie considérablement l'obtention de licences commerciales. Ces mesures ont eu pour effet de favoriser l'immigration chinoise au Tibet central.

Tout indique donc que les autorités souscrivent à l'encouragement effectif du mouvement migratoire chinois vers le Tibet.

L'immigration chinoise se traduit par la marginalisation économique et sociale des Tibétains. Bien entendu, quelques Tibétains profitent de la réforme économique, surtout ceux qui ont de l'argent ou des relations influentes, mais en général, le chômage, l'alcoolisme, la prostitution et le crime s'aggravent parmi les Tibétains. La lutte pour les ressources s'est exacerbée dans tous les domaines, et ce sont presque toujours les Tibétains qui sont perdants.

Les soins de santé sont devenus plus coûteux et donc d'autant plus difficiles d'accès pour les pauvres, et ceux-ci sont pratiquement tous tibétains.

Dans le domaine de l'éducation, les Tibétains sont défavorisés parce que l'afflux de Chinois a provoqué une concurrence féroce pour les places des cycles moyen et supérieur, où les cours se donnent en chinois, ce qui constitue un handicap de plus pour les Tibétains. Ainsi, la moitié des étudiants de l'Université du Tibet et la moitié des candidats aux postes de la fonction publique sont chinois, bien que le gouvernement prétende que les Chinois représentent seulement 4% de la population au Tibet.

Il subsiste quelques mécanismes de discrimination positive en faveur des Tibétains dans l'enseignement supérieur, et quelques Tibétains tentent aussi de rassembler des fonds pour imprimer des manuels en tibétain à l'intention des écoles secondaires dans l'espoir de faire admettre la langue tibétaine dans l'enseignement supérieur. Toutefois, les Tibétains sortent d'écoles d'un niveau beaucoup trop faible pour qu'ils puissent soutenir la compétition avec les Chinois, venus s'installer au Tibet grâce aux incitations officielles à l'immigration.

On s'accorde à reconnaître que les Tibétains sont nettement désavantagés dans les domaines de l'éducation et du développement social, et que cet handicap, encore aggravé par la nécessité de s'adapter à un système complètement chinois, contrarie le développement et la modernisation de l'éducation et la culture tibétaines.

Il apparaît donc que les politiques chinoises actuelles favorisent encore la discrimination au détriment des Tibétains.

De surcroît, la discrimination existant dans l'éducation et la société n'a pas seulement un caractère raciste: elle a aussi un caractère politique, qui est systématique et bien documenté. Cette discrimination politique signifie que les Tibétains suspects de sympathies pour le Dalaï Lama ne peuvent pas occuper certaines fonctions et que leurs enfants ne sont pas admis dans les écoles publiques. Du reste, les enfants nés "hors quota" -c.à.d. sans autorisation officielle- ne sont pas non plus admis dans les écoles publiques. Les bases idéologiques de la discrimination éducative ont été récapitulées en ces termes par le Secrétaire du Parti de la RAT en novembre 1994:

"L'éducation des nationalités [=minorités nationales] n'est pas un succès si elle réussit à sauvegarder la culture et les traditions du passé mais ne répond pas aux besoins de développement social du présent. Le but essentiel du travail éducatif est de former des bâtisseurs et successeurs qualifiés pour la cause socialiste, et c'est aussi la première mission de l'éducation des nationalités [....] L'homme qui reçoit simplement une éducation, n'est sûrement pas un bâtisseur et successeur de la cause socialiste. Il peut aussi bien adhérer au socialisme que le combattre. Il peut aussi bien choisir de défendre l'unification de la mère-patrie et l'unité nationale que de perturber l'unité nationale et agir pour diviser la mère-patrie. Il est essentiel que les masses des camarades actifs dans le domaine de l'éducation comprennent bien cette réalité.".

Cette directive du Secrétaire du Parti implique, concrètement, que quiconque est soupçonné de soutenir le nationalisme tibétain, fût-ce sur le plan culturel, s'expose à la discrimination dans le domaine de l'éducation.

1.4. L'écologie et son impact sur les pays voisins

Cette matière appelle une étude approfondie d'experts indépendants; je ne peux donc pas commenter ce point en détail.

Une foule de données confirment que l'abattage de la forêt primaire au Tibet est un problème très grave et représente une menace considérable pour l'environnement tibétain dans certaines régions. En août 1987, j'ai vu moi-même des centaines de poids lourds transporter du bois primaire du Tibet en Chine, et en mai 1995, la BBC a diffusé un film tourné par une équipe britannique, montrant des colonnes de poids lourds descendant toujours du bois primaire du Tibet vers la Chine.

Je rappelle que par "Tibet", je n'entends pas la RAT, mais bien le Tibet historique et ethnique avec ses anciennes provinces orientales de l'Amdo et du Kham. Le déboisement le plus intense a lieu dans les régions orientales du Tibet historique, qui comprennent les hautes vallées où prennent leur source les principaux fleuves de l'Asie du Sud, de l'Asie du Sud-Est et de la Chine elle-même. On a constaté que ces fleuves charriaient énormément de sédiments, ce qui peut s'expliquer par le déboisement et l'érosion des sols en amont. Les spécialistes sont divisés quant à l'impact de l'engorgement des fleuves sur les régions en aval.

D'une manière générale, la main-mise croissante des autorités et des agriculteurs chinois sur les terres arables tibétaines met l'écosystème tibétain en péril. Les autorités chinoises sont résolument favorables aux cultures à haut rendement et à l'utilisation intensive d'engrais chimiques. La mise en oeuvre de cette orientation, pour laquelle les Chinois ont récemment sollicité l'assistance de l'ONU et de l'Union Européenne, devrait être suivie de très près si l'on ne veut pas infliger d'immenses dégâts à l'agriculture et l'écologie tibétaines.

1.5. Prisonniers de conscience

J'ai traité de ce point sous 1.2.

D'après les estimations actuelles, il y aurait entre 450 et 620 prisonniers de conscience au Tibet. Les autorités chinoises admettent que 20% des prisonniers de la principale prison de Lhassa sont détenus pour crimes "contre-révolutionnaires". On pense que le nombre des prisonniers politiques se monte à 3.500 pour la période 1987-1995. La peine moyenne est 6,5 ans. Les peines les plus longues -entre 12 et 19 ans- sont infligées aux personnes occupant des fonctions d'autorité (p. ex. les enseignants) et celles qui diffusent des idées par la parole ou l'écrit. Ceux qui participent à des manifestations reçoivent généralement une peine de 3 ans, et les meneurs, une peine de 6 ou 7 ans. Le fait que la plupart des manifestations durent moins de 3 minutes et réunissent 4 ou 5 personnes est sans influence sur la sentence.

Avant 1993, la plupart des prisonniers de conscience étaient des personnes soupçonnées d'avoir participé à des manifestations indépendantistes, possédant des ouvrages traitant de l'indépendance ou ayant posé des affiches indépendantistes. Depuis 1993, époque où une délégation de l'union Européenne a visité Lhassa, les autorités ont emprisonné un nombre croissant de Tibétains soupçonnés d'appartenir à des organisations indépendantistes clandestines ainsi que des Tibétains ayant rassemblé des informations ou diffusé des informations non officielles.

Tous ces détenus sont accusés d'actes "contre-révolutionnaires". La plupart sont expédiés sans procès pour 2 ou 3 ans de détention administrative dans les camps de rééducation par le travail. Ce faisant, les autorités n'invoquent aucune disposition pénale (et ne défèrent pas les prisonniers devant un tribunal), mais se bornent à déclarer que tel ou tel s'est rendu coupable d'actes ou d'intentions contre-révolutionnaires, sans qu'il y ait eu le moindre procès. Ainsi, un Tibétain s'est vu infliger 3 ans de détention pour avoir recommandé à ses amis de porter des vêtements tibétains traditionnels pendant un festival: cela traduisait une "intention contre-révolutionnaire".

Un petit nombre de détenus ont été déférés devant les tribunaux. Ils ont pratiquement tous été condamnés en vertu de l'article 102, paragraphe 2, du Code pénal chinois de 1980. Ledit parapgraphe vise les personnes coupables de:

"avoir, par des slogans, tracts ou autres moyens contre-révolutionnaires milité pour, et incité au renversement du pouvoir politique de la dictature du prolétariat et du système socialiste".

Quelques-uns ont été condamnés en vertu de l'article 98 pour avoir formé des groupes contre-révolutionnaires, enfreint la législation sur la sécurité de l'Etat, ou traversé la frontière sans autorisation. Des 600 condamnés examinés par TIN, 16 seulement sont accusés d'actes de violence. Ainsi, par exemple, 6 Tibétains ont été condamnés en 1989 pour avoir participé à l'assassinat d'un policier, mais l'accusation se fondait sur des aveux extorqués par la torture, et de l'avis des Tibétains, les six doivent être considérés comme prisonniers politiques.

Les procès sont des procès-bidons, et ils ne sont donc pas conformes aux normes internationales. La plupart sont précédés de tortures. Les sentences sont décidées d'avance par des fonctionnaires du parti et il n'existe pas de corps indépendant d'avocats pour assurer la défense. Les accusés sont présumés coupables a priori; à notre connaissance, il n'y a jamais eu d'acquittements.

Avant 1992, le recours à la torture était pratique courante dans les prisons tibétaines: TIN a recueilli et documenté des centaines de témoignages directs. Il y a eu plusieurs cas de lésions graves, de défiguration ou de paralysie parmi les prisonniers tibétains. Depuis 1989, 13 prisonniers sont morts en prison ou peu de temps après leur remise en liberté, et il y a de fortes chances pour que ces décès soient dus aux mauvais traitements subis en prison. Depuis 1992, il est devenu beaucoup plus difficile de rassembler des renseignements sur la torture, mais en 1995, les cas de torture signalés sont de nouveau en progression. D'après les nouvelles qui nous sont parvenues, les autorités expérimenteraient de nouvelles formes de torture qui ne laissent plus de traces visibles, telles que l'exposition prolongée à la chaleur ou au froid.

1.6. Accès aux prisons des organisations de droits de l'homme et de la Croix Rouge Internationale

Aucune organisation de droits de l'homme n'a accès à un quelconque prisonnier au Tibet. Le 27 janvier 1995, un fonctionnaire chinois a déclaré que les autorités chinoises ne permettraient pas au Comité International de la Croix Rouge de visiter librement les prisons, et ceci, au bout de 18 mois de négociations.

Les seuls groupes à avoir été admis dans un prison au Tibet sont des délégations diplomatiques de Scandinavie, des Etats-Unis, d'Australie et d'une association américaine pour les relations avec la Chine ainsi que des journalistes prochinois de Hong Kong. Ils n'ont pu visiter que la prison de Drapchi, à l'exclusion de toute autre. Certaines de délégations étaient venues sans la moindre préparation et ne comprenaient aucun expert, et la plupart ont été incapables de découvrir quoi que ce soit de significatif au cours de leur visite. A plusieurs occasions, des prisonniers ont été férocement battus et ont reçu un prolongement de peine pour avoir tenté de contacter les délégués.

1.7. Présence militaire chinoise au Tibet

Si l'appellation de "Tibet" est prise dans son sens historique et ethnographique large comme incluant les régions du Tibet oriental en plus de ce qu'on appelle la Région Autonome du Tibet, la présence militaire chinoise peut être chiffrée à 200.000 hommes au moins. Il s'agit d'une estimation car nous n'avons pas de données sur ce point.

Toutefois, nous avons lieu de croire que la grande masse des troupes chargées de la sûreté au Tibet ne sont pas stationnées dans la RAT, pour des raisons logistiques évidentes: elles sont stationnées dans les régions plus chaudes, à plus basse altitude, d'où elles peuvent être transférées très rapidement en cas de besoin. C'est ce qui ressort de la création par la Chine d'unités de réaction rapide et de l'amélioration considérable des infrastructures militaires depuis 1989: meilleures routes et pistes d'atterrissage, plus grande sophistication des centres de commande et de contrôle avancés. Depuis 1989, les Chinois ont fait de nombreux exercices de déploiement rapide de troupes aéroportées, entre autres avec le concours de l'aviation civile.

En d'autres termes, les effectifs réels des troupes stationnées dans la RAT sont relativement peu nombreux. La RAT est divisée en 2 districts militaires ressortissant au secteur militaire de Chengdu (commandement du Sud-Ouest) pour l'un, et au secteur militaire de Lanzhou (commandement du Nord-Ouest), pour l'autre. On ne connaît pas l'effectif des troupes du secteur militaire de Lanzhou, mais on sait qu'en 1990, l'effectif du secteur militaire de Chengdu comptait 40.000 hommes, dont 8.000 officiers, et qu'il comprenait 2 brigades de chasseurs montagnards et 13 régiments de support logistique et du génie, ainsi que 65 sections de police populaire armée. Environ 8.400 de ces soldats étaient stationnés par petites unités le long de la frontière. Les 31.000 autres se trouvaient à l'intérieur du Tibet, dont deux brigades à Nyingtri, à 350 km. à l'est de Lhassa, et 1 régiment d'infantrie motorisée ainsi que 4 "régiments spéciaux" à Lhassa même.

Les Chinois ont construit en 1992 dans le voisinage immédiat de Lhassa une garnison ou un poste de commandement et de contrôle majeur, capable d'accueillir au moins 5.000 personnes. En avril 1994, de nouvelles troupes, estimées à 20.000 hommes, sont arrivées en renfort, ce qui donne à penser que le secteur militaire de Chengdu dispose actuellement de 50-60.000 hommes dans la RAT. Il n'est pas exclu que 30-40.000 hommes du secteur militaire de Lanzhou soient également stationnés dans la RAT, mais c'est seulement une hypothèse.

1.8. Situation des Tibétains en exil

Je n'ai pas étudié ce problème.

2.1 Transfert de population

Je donne déjà un début de réponse au point 1.3 en disant que les autorités chinoises prennent, surtout depuis 1993, des mesures d'incitation active à l'immigration de Chinois au Tibet. Ces migrants sont pour la plupart de petits commerçants et des travailleurs occasionnels. Beaucoup travaillent comme maraîchers, mais peu sont des agriculteurs établis. Les Chinois prétendent que ces gens viennent enseigner des techniques indispensables aux Tibétains, pour les aider à améliorer leur niveau de vie. Depuis 1992, les Chinois considèrent "le sens des biens", c'est à dire, la capacité de gérer un commerce et de réaliser un bénéfice, comme un savoir-faire nécessaire. Ainsi que l'explique le Secrétaire du Parti de la RAT dans un discours de novembre 1994, les Tibétains devraient être contents que les Chinois gagnent de l'argent:

"Toutes les localités doivent faire preuve d'ouverture d'esprit et accueillir a bras ouverts les restaurants et magasins créés par les gens de l'arrière-pays. [...] Ils ne doivent pas craindre de se faire prendre leur argent ou leur emploi par ces gens. Dans une économie de marché socialiste, le Tibet développe son économie et les Tibétains acquièrent le savoir-faire nécessaire pour gagner de l'argent lorsqu'une personne de l'arrière-pays fait des affaires au Tibet; ces gens ont besoin de lieux pour vivre et manger, et le marché tibétain en profitera."

En 1995, dans le cadre de la campagne "Apprendre par Kong Fansen", les Chinois ont entrepris de transférer au Tibet une foule de marchands et de cadres, fonctionnaires et techniciens, dont beaucoup d'anciens soldats et policiers. Certains sont transférés contre leur gré, et en mai 1995, un fonctionnaire chinois à Zhejiang a été renvoyé pour avoir refusé d'aller volontairement au Tibet, ce qui trahit une certaine méfiance à l'égard des cadres et fonctionnaires tibétains.

2.2. Incompatibilité du transfert de population chinoise avec le droit international

En droit international, le transfert de population est interdit en vertu de la Convention de Genève lorsqu'il vise un pays sous occupation étrangère. Selon la pratique développée dans le cadre des procédures spéciales de la Commission des Droits de l'Homme de l'ONU et des groupes de détection précoce du Secrétaire Général de l'ONU, les transferts de population et tous autres mouvements massifs de population sont considérés comme une menace potentielle pour la paix et la sécurité internationale, et ceci, sans qu'il soit nécessaire de prouver que le transfert de population est délibéré ou forcé, ou même qu'il constitue une menace pour la paix et la sécurité internationales. Il convient de noter qu'en droit international, tous les peuples ont droit à la maîtrise et à l'utilisation de leurs ressources naturelles.

2.3. Destruction de monuments et bâtiments au Tibet, et à Lhassa en particulier

Dans des rapports de 1990 et de 1993, TIN a rendu compte en détail des destructions subies par les monuments et bâtiments de Lhassa. Ces rapports sont disponibles pour consultation. Il en ressort que les nouvelles constructions n'offrent généralement pas plus de confort, et parfois moins, que celles qui ont été démolies. Ils montrent à l'évidence que les Chinois mettent en oeuvre une politique ciblée visant à détruire plutôt qu'à restaurer les constructions anciennes de Lhassa, et que rien n'indique que les occupants des bâtiments détruits aient été consultés. Les rapports montrent en outre que la conception et les matériaux des nouveaux logements ne sont pas adaptés aux conditions climatiques. Il a toutefois été difficile de se faire une idée de l'opinion des Tibétains sur la question.

3. Moyens d'action au niveau de l'Allemagne et au niveau international

3.1. Eléments et moyens existant au niveau international pour améliorer la situation des droits de l'homme

Il est évident que les pressions internationales ont conduit à une révision de la politique chinoise en matière de droits de l'homme depuis 1989, et notamment, à la décision de cesser les exécutions de manifestants indépendantistes, dont quelque 200 ont été tués par la police entre 1987 et 1989. De même, la libération des observateurs des droits de l'homme, Gendun Rinchen et Lobsang Yonten, en 1995, ainsi que la remise en liberté provisoire de l'ancien moine Yulo Dawa Tsering, en 1994, sont probablement le résultat des pressions internationales.

Dans tous ces cas, des résultats ont été obtenus grâce à aux efforts conjugués de gouvernements, d'ONG, de Tibétains en exil et, ce qui est le plus significatif, de Tibétains de l'intérieur. Ces différents groupes de pression ont réclamé avec une certaine cohérence l'arrêt des exécutions systématiques et la libération des prisonniers politiques. Il ne faut cependant pas se faire d'illusions: les rares libérations qui ont eu lieu, sont purement symboliques, et des centaines de prisonniers croupissent toujours en prison.

Il n'est pas certain que la RPC soit encore aussi sensible à l'heure actuelle aux pressions discrètes concernant les droits de l'homme qu'elle l'était dans les années quatre-vingt. Depuis mai 1994, après que les Etats-unis eurent découplé les avantages commerciaux des droits de l'homme, la Chine a repris confiance et se montre beaucoup plus agressive à propos des droits de l'homme et des questions stratégiques, et il y a eu plus de violations et moins de concessions.

La RPC a découvert qu'en fait, les protestations américaines contre les violations des droits de la personne n'étaient que du bluff et que les Etats-Unis n'avaient nulle intention de mettre leurs menaces de représailles à exécution. Lors de la visite du Premier français Balladur, qui coïncidait avec une nouvelle incarcération du dissident Wei Jingsheng, il est apparu que le gouvernement français n'avait, lui non plus, aucune intention de défendre par l'action ses principes déclarés en matière de droits de l'homme. Le refus de Chirac, en juin 1995, d'assister à la cérémonie en l'honneur de la journaliste chinoise emprisonnée Gao Yu, contient un message similaire. Les autres gouvernements ne se comportent pas autrement.

L'abandon public par les Etats-Unis et la France de leur politique des droits de l'homme à l'égard de la RPC a considérablement réduit les possibilités d'action internationale dans ce domaine. Ces pays prétendent maintenant que l'ouverture progressive des marchés conduira immanquablement à plus de tolérance en matière de droits de l'homme. Non seulement cette thèse est contredite par les faits, mais Pékin fait tout pour empêcher une telle évolution.

En ce qui concerne les droits de l'homme au Tibet, les Chinois ont réussi à diviser l'opinion internationale en mêlant astucieusement droits de l'homme et politique. Auprès des Etats-Unis et de l'Inde, ils ont troqué avec succès les droits de l'homme contre la reconnaissance de leurs revendications territoriales sur le Tibet. Bref, par ses réactions hystériques aux critiques contre sa politique des droits de l'homme au Tibet, stigmatisées comme attaques contre son intégrité territoriale, la RPC a su convaincre certains gouvernements de reconnaître expressément son droit souverain sur le Tibet. De telles déclarations, qui ne sont autres qu'un bradage pur et simple des droits de l'homme, contreviennent au principe de l'universalité et l'inaliénabilité des droits de la personne humaine.

Il y a fort à parier que l'obtention d'appuis de ce genre soit le premier et véritable but de la politique chinoise des droits de l'homme, et que, dans leurs répliques aux remontrances des gouvernements étrangers au sujet des droits de l'homme, les diplomates chinois pratiquent le jeu du marchandage à titre purement tactique. Les étrangers qui ne percent pas cette stratégie à jour, sont des naïfs malléables aux yeux des Chinois.

Il ne faut pas oublier qu'aux yeux des dirigeants chinois, la question des droits de l'homme ne compte pour rien à côté de leur survie politique et de l'intégrité de leur territoire.

La reconnaissance internationale de la revendication chinoise sur le Tibet est aussi parfois accordée indirectement, et peut-être involontairement, par tel ou tel gouvernement, lorsqu'il utilise, par exemple, le terme de "minorité" à propos des Tibétains, l'expression de "Han" à propos des Chinois, ou le qualificatif d'"autochtone" à propos des problèmes du Tibet. De telles expressions impliquent un biais prochinois sur la question de la souveraineté, et les diplomates chinois en font avidement collection.

Les actions en faveur des droits de l'homme manquent leur but si elles s'appuient sur des menaces qui ne peuvent pas être mises à exécution ou si elles font des concessions, voulues ou non, à la stratégie politique secrète de la RPC. De plus, elles doivent éviter le piège des concessions de pure forme, comme par exemple, la libération d'une douzaine de prisonniers, alors que des centaines restent en prison.

Certaines visites de diplomates ou hommes politiques au Tibet ont tourné au désastre parce que les visiteurs n'avaient pas pris la précaution de bien s'informer avant le départ ou d'assurer le suivi de violations commises pendant leur visite ou à la suite de celle-ci. Les visites de l'ambassadeur américain James Lilley et de l'ambassadeur suisse Erwin Schurtenberger en sont un bon exemple. Pendant l'une et l'autre visite, les droits des prisonneurs ont été violés pratiquement en présence des ambassadeurs, sans que ceux-ci s'interposent sur le moment ou les dénoncent au retour, avant d'être confrontés, des mois plus tard, aux informations des ONG occidentales.

Les visites officielles au Tibet ne valent que ce que valent le savoir-faire et l'engagement des visiteurs, et ceux-ci sont largement fonction du niveau d'information des délégations avant le départ.

Les initiatives en matière de droits de l'homme se sont révélées efficaces lorsqu'elles étaient bien coordonnées, formulées avec fermeté, soutenues par l'action, fondées sur une information exacte, cohérentes et encadrées par une stratégie à long terme. La condition principale de la réussite est de savoir déjouer les manoeuvres des autorités chinoises, que celles-ci cherchent à diviser la communauté internationale, offrent des concessions factices ou tentent d'arracher des concessions de contepartie. Il faut à cette fin assurer le suivi des propositions chinoises, refuser courtoisement les gestes symboliques et vérifier le bien-fondé des allégations chinoises: ainsi par exemple, l'annonce de la libération d'un prisonnier ne concerne souvent en réalité qu'une libération provisoire, à moins qu'elle ne soit une fabrication pure et simple. Pourtant, il ne s'est encore trouvé aucune délégation pour exiger une rencontre avec le prisonnier intéressé afin de vérifier sa prétendue libération.

Il est frappant que les initiatives en matière de droits de l'homme se concentrent presque toujours sur le problème des prisonniers de conscience. Il serait au moins aussi utile de s'attacher à des questions plus fondamentales telles que l'accès des Tibétains à une pleine participation au processus politique. On pourrait, p. ex., demander à savoir pourquoi les partis d'opposition ne sont pas tolérés, pourquoi le véritable maître de la RAT, le Secrétaire du Parti communiste, est toujours un Chinois, ou encore poser d'autres questions sur le système, et notamment, demander pourquoi les Tibétains ne sont pas autorisés à prendre des mesures pour limiter l'afflux d'immigrants, alors que la législation chinoise sur l'autonomie leur en donne expressément le droit.

Autre question de fond qui n'est presque jamais évoquée: l'absence de liberté de communication par lettres ou par la presse.

De même, les "Quatre Principes Cardinaux" ont rarement été mis en cause jusqu'ici, alors qu'ils sont la base même de toutes les violations des droits de l'homme.

Les initiatives d'action positive méritent également d'être encouragées. On pourrait, par exemple, inviter des Tibétains à venir étudier en Occident, mais à condition d'examiner d'abord avec soin les dossiers des candidats. Cependant, l'éducation dans le pays d'origine reste plus importante qu'une formation à l'étranger. Il serait tout aussi utile de créer au Tibet une formation journalistique ou juridique, notamment, en de droits de l'homme, peut-être en collaboration avec les services consultatifs de l'ONU, ou encore d'organiser la traduction des documents sur les droits de l'homme de lONU, toutes activités protégées par le droit international. La création d'un programme "Droits de l'Homme" au Tibet et la traduction en tibétain des documents de l'ONU sur les droits de l'homme sont conformes au programme actuel de l'ONU - approuvé par la RPC - qui a décrété les années quatre-vingt-dix "Décennie de la Formation aux Droits de l'Homme", et l'année 1995, "Année de la Tolérance".

Les possibilités offertes par ces programmes sont restées totalement méconnues.

En outre, la protection des observateurs des droits de l'homme doit être assurée par les garanties les plus sûres, et ces personnes - si elles se font connaître - doivent être parrainées et soutenues.

3.2. Moyens dont dispose la République fédérale d'Allemagne pour oeuvrer, au niveaux national et international -en particulier, dans le cadre de l'Union européenne- en faveur d'une amélioration du respect des droits de l'homme au Tibet

En tant que principal partenaire commercial de la RPC en Europe, l'Allemagne dispose d'atouts appréciables pour agir en faveur d'une amélioration des droits de l'homme au Tibet. Outre les actions suggérées (au point 3.1), l'Allemagne pourrait informer ses partenaires occidentaux et les encourager à agir, étant donné que certains n'ont jamais eu de contacts avec le Tibet dans le passé, et que d'autres font mine de ne plus se souvenir, probablement pour ne pas irriter Pékin. Il serait donc utile d'organiser des séminaires et des initiatives communes avec ses partenaires au niveau gouvernemental, parlementaire et universitaire en vue de développer et de diffuser l'information sur le Tibet.

L'Allemagne et les autres pays devraient financer et encourager la recherche sur la situation au Tibet, l'étude de la langue tibétaine ainsi que la recherche sur la société et la culture tibétaines.

Des contacts devraient être pris avec les entreprises pour étudier un couplage entre commerce et droits de l'homme, qui s'exprimerait peut-être davantage par la collecte d'informations que par la condition l'exigence de changement de politique.

Un tel couplage pourrait également être prévu pour les projets de développement. Ceux-ci pourraient être assortis d'un volet "observation des droits de l'homme" et comporter la publication périodique d'évaluations des indicateurs de développement, dont font partie les indicateurs de droits de l'homme d'après la définition donnée par l'UNDP (Programme de l'ONU pour le développement) dans son "Plan pour le Développement", document formellement adopté par l'Assemblée Générale de l'ONU, y compris la RPC.

Il convient de décourager les gros projets bilatéraux au Tibet et d'opter plutôt pour de petits projets proches de la population tibétaine qui mettent l'accent sur la consultation, la formation et la participation.

Il serait utile de promouvoir les contacts entre chercheurs et juristes occidentaux et tibétains et de financer des actions éducatives au profit des Tibétains tant de l'intérieur qu'en exil.

Aucune délégation ne devrait être autorisée à partir au Tibet avant d'avoir été informée à fond par des experts indépendants et de s'être engagée à visiter aussi la communauté tibétaine en exil.

3.3. Contribution de la RFA à la sauvegarde de l'identité nationale du peuple tibétain ainsi que de la religion et la culture tibétaines

Ce sont la perte de l'indépendance nationale et les atteintes à l'identité tibétaine que les Tibétains du Tibet dénoncent avec le plus d'insistance. Les violations des droits de l'homme ne sont pas le principal problème à leurs yeux. L'importance donnée par l'Occident aux droits de l'homme reflète des perceptions et des intérêts purement occidentaux. Du reste, l'amélioration de la situation des droits de l'homme n'entraînerait pas forcément une amélioration de la situation politique au Tibet.

La question de l'identité nationale concerne en partie la sauvegarde de la culture spécifique d'un peuple. Cependant, la notion de sauvegarde de la culture peut être source d'erreurs si la culture est vue comme une chose figée qui n'évolue ni ne change. Dans le cas du Tibet, il conviendrait d'étudier les moyens de permettre à la culture tibétaine d'évoluer conformément aux aspirations et traditions des Tibétains, et non celles de l'actuel occupant chinois. Le meilleur moyen d'y parvenir est de mettre davantage de ressources culturelles à la disposition des Tibétainsen en leur proposant des bourses d'études qui leur donneront accès à une éducation de haut niveau au Tibet ainsi qu'à l'étranger.

Un autre moyen important consiste à financer des traductions et publications en tibétain de littérature étrangère ainsi que la publication en tibétain d'informations provenant de sources indépendantes, à l'exemple de ce que fait actuellement l'Institut Amnye Machen de Dharamsala.

La culture tibétaine est sérieusement menancée parce que les autorités chinoises lui appliquent une forme de modernisation purement chinoise. La modernisation à la chinoise est peut-être préférable à d'autres formes de modernisation, mais elle a le défaut de s'accompagner de répression politique et d'exclure tout autre choix de développement. De plus, elle vise à éliminer certains aspects essentiels de la culture tibétaine, tels l'Histoire du Tibet.

Il serait donc utile de promouvoir l'étude de l'histoire tibétaine, d'une part, en soutenant la publication d'ouvrages en tibétain et les séjours de chercheurs et étudiants tibétains à l'étranger, où ils auront accès à de plus amples ressources documentaires, et d'autre part, en encourageant l'étude de la culture tibétaine en Europe et ailleurs.

La question de l'identité nationale est étroitement liée aux problèmes économiques et écologiques. L'assimilation rapide de l'économie tibétaine au mode de production chinois est un des plus grands dangers pour l'identité tibétaine. En effet, Pékin a décidé que, dans l'intérêt de l'économie chinoise, le Tibet devait être développé d'une manière qui convient à la Chine plutôt qu'au Tibet. Cela implique, par exemple, que la RPC concentre ses efforts sur l'industrie extractive en vue d'assurer à long terme l'approvisionnement de la Chine métropolitaine en matières premières; sur l'énergie hydraulique; sur les équipements locaux d'infrastructure; sur le ravitaillement local en céréales et produits laitiers; sur l'exploitation d'industries à rotation rapide telles que le tourisme, qui fournissent les fonds à court terme nécessaires pour financer l'installation d'immigrants et de cadres administratifs. Il se crée de la sorte une économie coloniale classique, fondée sur le pillage des ressources et incapable de sur

vivre sans les apports de la métropole.

Le gouvernement allemand pourrait donc utilement financer des recherches sur la mise en place au Tibet d'une économie autosuffisante - en conformité avec les objectifs déclarés de Pékin pour le Tibet - qui corresponde aux véritables intérêts à long terme des Tibétains, et non à ceux des Chinois.

L'identité nationale est évidemment aussi une question politique, et pas seulement une question culturelle ou économique. Le développement d'institutions civiles au Tibet contribuerait à la sauvegarde de cette identité, et les institutions étrangères pourraient soutenir ce processus en nouant des relations avec les institutions tibétaines au Tibet et en dehors.

Quant au choix des initiatives politiques à prendre - établissement de relations avec le gouvernement tibétain en exil; refus de parler de questions tibétaines avec des représentants chinois; offre d'intermédiation pour l'ouverture de négociations sino-tibétaines - il relève de la stratégie et des objectifs politiques du gouvernement et du parlement de la RFA, et il n'est donc pas de mon ressort.

 
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