LE COMBAT DES FEMMES TIBETAINES
Par Guy Leroy
Femmes d'aujourd'hui, 22 février 1996
Namgyal Phala, présidente de la section suisse de la "Tibetan Women Association", a quitté le Tibet en 1958, juste avant la révolte contre les Chinois. Après un séjour au Népal et en Grande-Bretagne, où elle fait la connaissance de son mari, elle s'établit en Suisse qui compte une colonie de quelque 2 000 Tibétains vivant en exil, tout comme leur chef d'Etat, le dalaï-lama, vivant lui aussi en exil depuis 1959 à Dharamsala (Inde).
Ce qui frappe chez cette femme éprouvée par près de 40 ans d'exil, c'est une foi inébranlable, mais qui, jamais, ne se traduit par une animosité que l'on estimerait presque légitime dans notre logique de pensée : en effet, avortements et stérilisations forcés sont le lot de milliers de femmes au Tibet, au nom d'une politique imposée de contrôle des naissances. Parmi les objectifs de cette association, outre l'amélioration des conditions de vie des Tibétaines, il est révélateur de voir figurer la préservation et la promotion de l'héritage culturel du Tibet. Il est vrai que le peuple tibétain manifeste une curiosité intellectuelle remarquable et est un exemple incroyable de tolérance. Chez Namgyal Phala, on sent une force intérieure que rien ne saurait venir perturber.
D'où vous vient cette vitalité.," Le bouddhisme nous apprend à éviter tout ce qui pourrait faire du mal aux autres. Je sais ce que je suis supposée faire et ne pas faire. Le plus important, c'est déplacer les autres avant soi-même. Le fondement de notre croyance, c'est la non-violence, la tolérance, soyez patients, La
religion est le ciment du peuple tibétain, le garant de notre stabilité, elle donne un sens à notre vie. C'est pourquoi les Chinois ont rejeté notre religion, ils ont détruit des monastères et arrêté des moines. Ils ont introduit des idées communistes, en ne respectant aucunement nos sentiments. Nous pensons par exemple que les femmes devraient avoir les pleins droits sur leur corps.
Cette absence d'actions violentes vous prive d'office d'une certaine couverture des médias ?
C'est vrai, nous en sommes très conscients, mais nous ne pouvons approuver une solution nonpacifique pour le règlement du problème tibétain. Si vous détournez un avion, tout le monde va parler de vous, si vous organisez une manifestation pour la paix, personne ne s'intéressera à vous. Et honnêtement, certains Tibétainsmanifestent de l'impatience face à cette situation.
Quand je parcours le monde, je n'essaye pas de convaincre, ce serait une solution à court terme. Je suis là pour exposer le problème du Tibet. Si, après
m'avoir entendue, les gens sont décidés à nous supporter, alors ils le feront de manière spontanée et leur soutien sera plus durable. Le but de ma venue est de conscientiser des parlementaires belges en vue de l'adoption d'une résolution sur le Tibet.
Nous fondons aussi de grands espoirs dans les changements qui pourraient provenir de l'intérieur de la Chine. A certains points de vue, le peuple chinois n'est pas mieux loti que nous et nous comptons beaucoup sur un changement en profondeur de la société chinoise.
Le 12 mars 1959, deux jours seulement après la révolte contre l'emprise militaire de la Chine au Tibet, les femmes tibétaines ont organisé une grande manifestation dans la capitale Lhassa. Comment expliquer cette réaction si rapide ?
De nombreuses femmes étaient présentes pour une fête religieuse. Mais en outre, les relations hommes-femmes au Tibet ont toujours été très souples et basées sur l'égalité. C'est pourquoi les femmes tibétaines ont toujours réussi à se faire entendre.
Cette égalité des sexes découle probablement aussi de notre rapport à la religion que nous considérons plus comme une philosophie.
Comment faites-vous pour transmettre la mémoire du Tibet aux jeunes qui n'ont encore jamais vu leur pays ?
Les jeunes sont très volontaires, plusieurs soirées par semaine, ils se rendent dans des écoles tibétaines. Nous leur racontons tout simplement comment est leur pays, la vie au Tibet avant l'invasion par la Chine, la raison de, notre exil. Mais généralement, ils n'attendent pas que nous le leur disions, ils nous questionnent avant. Ils sont très curieux. Mais nous constatons que les jeunes Tibétains ont leur pays dans le, sang. Même s'ils parlent la langue du pays d'accueil avec leurs copains, ils parlent le tibétain avec leurs parents. Au Tibet, malgré tous les efforts des Chinois pour décourager l'esprit tibétain, ce sont les jeunes qui font le plus pour la cause tibétaine, ils aiment chanter des chants tibétains.
La route sera encore longue, mais la détermination intacte. "We will keep on fighting" nous a dit Namgyal Phala avant de s'en retourner en Suisse. Son combat continuera, c'est sûr !
Avec photo et didascalie:"Femmes tibétaines au Ladakh et à Darjeeling. Le 10 mars aura lieu une manifestation à Bruxelles pour les soutenir. Rens. 02/217 02 83 ou 02/230 41 21.