209 PARLEMENTAIRES FRANCAIS INVITENT LA CHINE A DECOLONISER LE TERRITOIRE OCCUPE DU TIBET
par Jean-Pierre Clerc
Le Monde, jeudi 11 avril, 1996
Le premier ministre chinois Li Peng est arrivé, mardi 9 avril, à Paris. Il a été accueilli, à Orly, par le ministre de l'industrie, Franck Borotra, puis a gagné l'hôtel de Marigny, résidence d'ordinaire réservée aux chefs d'Etat étrangers. Il y demeurera jusqu'à son départ, samedi, pour Toulouse, où il visitera la chaîne d'assemblage des Airbus. Réserves et protestations marquent ce voyage officiel.
PEU DE TEMPS avant l'atterrissage, mardi 9 avril à 17 heures, à Orly, du premier ministre chinois Li Peng, reçu pour quatre jours en visite officielle en France, deux cent neuf parlementaires français - soit près de un sur quatre - rendaient public, par la voix de deux d'entre eux, à l'Assemblée nationale, un Appel pour le Tibet, officiellement région autonome de la République populaire de Chine, mais en vérité, selon les signataires, territoire occupé depuis l'invasion de 1950 par l'Armée nationale populaire, victorieuse de la guerre civile. Pour Louis de Broissia, député RPR de Côte-d'Or, qui présentait le texte à la presse, il s'agit là d'une initiative assez inhabituelle, les parlementaires n'ayant pas pour mission de mener la diplomatie du pays, mais qui manifeste, expliqua Claude Huriet, sénateur centriste de Meurthe-et-Moselle, la volonté des signataires d'exprimer des sentiments déjà très présents dans l'opinion, et d'éveiller les consciences de ceux qui sont encore insensibles à la situation d'un Ti
bet sous la botte. Les 209 parlementaires, qui représentent tous les partis et toutes les régions de l'Hexagone, proposent notamment que le mandat du comité ad hoc de l'ONU soit étendu à la décolonisation du Tibet, reconnaissent le dalaï-lama, le gouvernement et le Parlement tibétains en exil [en Inde] comme les vrais représentants du peuple tibétain, et demandent que leur soit attribué le statut d'observateurs à l'Assemblée générale de l'ONU.
Des marchés contre des âmes
Les parlementaires ont aussi annoncé une opération spectaculaire: le parrainage du plus jeune prisonnier politique du monde: Gendhun Choekyi Nyima, 7 ans, qui a disparu, avec ses parents, depuis dix mois qu'il a été reconnu par les autorités bouddhistes tibétaines comme réincarnation du 10 Panchem lama. Face à ce kidnapping opéré par un Etat membre de lONU, nous ne nous lasserons pas d'exiger, par tous les canaux des nouvelles et la libération de notre filleul, a dit M. de Broissia. Les signataires de l'Appel pour le Tibet, très au contact de leurs homologues européens, ne désespèrent pas que 3,000 signatures soient recueillies parmi les parlementaires des quinze Etats membres de l'UE. M. de Broissia a rappelé que Jacques Chirac, en sa précédente qualité (de maire de Paris, a reçu plusieurs fois le dalaï lama, et qu'il n'y a aucune raison de penser que sesvues ont changé dans l'exercice de ses nouvelles responsabilités présidentielles. On ne peut troquer des marchés contre des âmes: tel est le slogan utilisé
par les deux groupes parlementaires d'amitié avec le Tibet. Plusieurs organisations ont aussi mis à profit la journée de mardi pour faire connaître leur point de vue sur la situation des droits de l'homme en Chine. Reporters sans frontières (RSF) rappelle ainsi que dix-sept journalistes, sont dans les prisons communistes et y ont déjà passé cent seize ans de détention. Reçu à l'Elysée par Jean-David Lévitte, conseiller diplomatique du chef de l'Etat, RSF demande que la situation de ces prisonniers de conscience soit évoquée lors de l'entretien de jeudi entre MM. Chirac et Li. Enfin, les quelque trente organisations réunies sous l'égide d'un comité Li Peng, on n'oublie pas Tiananmen pour accueillir le premier ministre chinois qui signa, au printemps de 1989, la mise en oeuvre de la loi martiale, prélude au massacre de Pékin, se déclarent scandalisées par l'interdiction qui leur est faite par la préfecture de police de défiler jusqu' aux abords de l'ambassade de Chine. Les protestataires, qui devaient se rass
embler, mercredi, à 18 heures, place du Trocadéro, ne seront autorisés qu'à se rendre place d'Iéna, soit à environ 500 mètres de la chancellerie. Au même moment, Li Peng s'entretiendra avec Alain Juppé, avant que ne soient solennellement signés les grands contrats économiques - une demi-douzaine pour un montant, dit-on officieusement, de 1 à 2 milliards de dollars -, qui sont au coeur de la visite controversée du premier ministre chinois.