Ami du pays des neiges, visiteur curieux ou simple passant, ce texte a été écrit pour vous interpeller en faisant l'économie des usages conventionnels et c'est pour cette raison que le tutoiement a été utilisé afin de rester sur le plan fondamental d'égalité de notre condition humaine commune.

***

»Eh, Papa, c'est loin le TIBET libre?

»Parle et jeûne!

***

Eh, petit frère, petite soeur, ces océans vertigineux de sang répandu, n'y en a-t-il pas assez? Aujourd'hui, dans notre monde, pour attirer ton attention, l'intérêt de toi, mon semblable, de vous, élu du peuple qui nous representez, faut-il toujours se résoudre à crier, à se faire entendre avec véhémence, faudrait-il vous interpeller toujours selon les mêmes règles archaïques et cyniques du rapport de forces favorable?

Non, ici, en ce lieu à la fois clos et ouvert, à Marseille appelée encore au début du siècle »Porte de l'Orient , nous ne sommes pas là pour lancer des invectives stériles qui n'auraient d'autres effets que de renforcer le mur (ou la grande muraille) du refus de dialogue des représentants chinois, de raidir nos interlocuteurs du gouvernement (français) ou d'amuser la suffisance d'Alain Peyrefitte. Ce serait comme répéter un scénario surréaliste qui mettrait aux prises un sourd excité faisant des gestes à un aveugle vociférant!

Non, simplement, nous voulons rappeler que toutes les meilleures raisons économiques, politiques, sécuritaires, pèsent de rien face aux aspirations fondamentales de l'être humain: vivre libre selon ses choix en harmonie (autant que possible) avec ses voisins.

Ce peuple tibétain sur le sort duquel nous vous invitons à vous pencher a prétendument été »pacifiquement libéré de l'esclavage en 1950. Rappelez-vous ce que valent parfois les explications officielles: pendant l'occupation allemande en 1943 les nazis ont rasé le plus vieux quartier de Marseille (patrimoine inestimable) sous prétexte de... »salubrité publique !

La réalité qui pourra vous la donner, si légitimement vous pensez que notre version n'est pas forcément la bonne? Pour cela il faudrait que dans ce vaste pays qu'est la Chine, qui fascine tous les Etats en mal de débouchés pour leurs produits, la liberté de presse ait un sens, que la liberté d'expression soit autre chose qu'un mot creux. Pour pouvoir donner bonne conscience aux sceptiques qui pourraient nous soupçonner d'exagération, encore faudrait-il que des investigations honnêtes et indépendantes soient possibles. Quand cette république qui se dit »populaire donne-t-elle la parole au peuple? Jamais comme vous le savez: il n'y a jamais d'élections ni en Chine ni au Tibet. En Chine, un seul droit: courber l'échine!

Aujourd'hui au Tibet (amputé d'une bonne part de sa surface originelle) la moindre photo du Dalaï-Lama, Prix Nobel de la paix, est traquée y compris dans les foyers. Lhassa, la capitale, dominée par le Potala, l'un des plus grands édifices du monde, est habitée par plus de colons et de militaires chinois que de Tibétains. Si ce n'est pas du colonialisme, comment appelez-vous ça? Le béton et ses laideurs ont rendu méconnaissable cette Mecque du bouddhisme. En réalité les nouvelles constructions doivent servir à un machiavélique plan de »submersion ethnique qui diluera définitivement les Tibétains sur leur propre terre dans un océan d'immigrants chinois. Qui plus est, les Tibétains sont regardés dans leur propre pays avec mépris, tels des barbares irrécupérables, par les nouveaux occupants!

Regarde l'écriture tibétaine: elle ressemble comme une jumelle à la langue de l'Inde ancienne et absolument pas aux idéogrammes chinois!

Au siècle dernier on a laissé se rétrécir comme peau de chagrin les territoires des Amérindiens dont nul ne conteste qu'ils furent les premiers occupants de l'Amérique. Aujourd'hui, refoulés dans des réserves, qui les écoute?

Dis, petit frère, petite soeur du village planétaire, l'autre est comme toi, avec les mêmes espoirs, la même volonté de vivre.

Te vois-tu toi et tes descendants dans un réserve en habits folkloriques (une paire de boules, un barril de pastis, un galoubet et une représentation de la Bonne mère) digne d'intérêt pour les seuls touristes ou publicitaires? Même l'imposer à des chimpanzés ce ne serait pas correct!

Si l'indignation n'est pas sélective comment pourrait-on s'en accomoder?!

Petit frère, petite soeur du village planétaire, il fallait que cela soit soit dit: avec la force de notre refus de cet asservissement colonialiste, de ce génocide déguisé, mais sans haine.

TIBET or not TIBET?... voilà la question!

Tu es libre de passer ton chemin déjà suffisamment rempli des problèmes de tous les jours mais rappelle-toi que cette situation évoquée, en apparence si lointaine, peut nous concerner un jour. La vie est une roue qui tourne sans cesse. Demain le compagnon d'infortune ce peut être toi, ce peut être ton pays, ta ville, demain ou dans 50 ans ou plus loin dans le futur.

Et rien n'est alors plus beau et important que la compassion de l'autre.

Donne à ton prochain ce que tu voudrais que l'on te donne. Donne la main, à ta mesure.

Mon bonheur c'est aussi le tien, et le tien c'est aussi le mien. Nous sommes tous interdépendants. C'est folie de cultiver la concurrence sans freins si elle engendre encore et toujours plus d'exclus! (*)

***

Le TIBET, c'est une chance pour nous tous parce que, dans ce cas précis que l'on vient de décrire, personne aujourd'hui malgré la situation catastrophique n'appelle à la guerre sainte contre le régime »communiste chinois, que le peuple tibétain malgré les horreurs endurées accepte de suivre les conseils de nonviolence du Dalaï-Lama et qu'il ne pratique ni les attentats, ni la guerre de libération nationale, ni la prise d'otages, ni la guérilla (pendant quelques années, dans le passé, oui) et que les partisans de la cause tibétaine n'utilisent pas de mots haineux ou vengeurs contre les vexations sans fin pratiquées par les occupants chinois.

Au contraire, pendant ces 3 jours, nous allons essayer de tenir humblement mais fermement la lanterne de la NONVIOLENCE à la suite d'éclaireurs d'humanité comme GANDHI, LANZA DEL VASTO et MARTIN LUTHER KING.

Nous ne sommes pas des héros, seulement des citoyens qui veillons ... et peut-être même qui réveillons.

Martin Luther King dans une très belle allocution avait dit dans les années 60 »I have a dream! (»J'ai un rêve... ). Martin Luther King rêvait et marchait tout à la fois. Il avançait et il illuminait un chemin.

Avec vous, passant ou visiteur fidèle, petite soeur, petit frère, les choses peuvent changer dès aujourd'hui, en douceur. Pour cela il faut y croire, avoir l'espoir tellement enraciné que la bonté doit triompher, que l'on voit les obstacles comme des péripéties inévitables qui n'empêchent pas l'essentiel.

Par une signature, par une présence, par un peu plus demain, vous tendez la main.

Si vous vous demandez comment aider plus précisément, veuillez retenir qu'établir un contact avec nous, en nous laissant vos coordonnées, est le premier pas qui compte le plus. Comme nous nous inscrivons dans un vaste et dynamique réseau mondial d'initiative nonviolente, sous la lumière attentive du Dalaï-Lama, vous saurez alors comment par un engagement simple (participation à des campagnes de lettres ou de pétitions, par le don de votre présence lors de nécessaires rassemblements sur la voie publique car il est bien connu que l'union fait la force, par des démarches personnelles auprès d'un élu à l'aide d'idées fortes mais simples et avec votre coeur, et pourquoi pas par des jeûnes car celui-ci n'est que le premier d'une série qui ira crescendo...). La force et la dynamique de notre mouvement tiennent à la spontanéité, à la liberté d'initiative laissée à chacun, hors de tout formalisme organisationnel susceptible d'étouffer l'esprit donc la joie d'agir ensemble. C'est du moins notre profond souhait. L'ense

mble est nécessairement le reflet de ses parties, d'où une vigilance certaine accordée à cet aspect de la dimension collective de nos actions.

Par ce don de votre personne, même minimal, par cet encouragement, par cette indifférence que vous avez décidé d'abandonner, vous soutenez un peuple à l'agonie qui ne veut pas renier ses valeurs pour un hypothétique combat d'autodéfense où tous les moyens sont bons.

S'il y a beaucoup de mains tendues, l'effet sera grand et c'est ainsi que le monde change pour le meilleur. Et l'éléphant laisse en paix la souris!

Petit frère, petite soeur, voilà pourquoi nous disons: »Ça ne peut pas durer, il faut s'occuper du Tibet! .

Comme l'apartheid a pris fin un jour, il faut rendre sa liberté au Tibet!

Le TIBET futur ne désire pas devenir une énième puissance économique ou militaire, il ne désire pas se montrer plus fort que ses voisins... NON! ...il souhaite revenir à sa vocation de Toit du monde. En haut la vision est plus large, il y régnait (nous sommes obligés de parler au passé) un air plus pur, propice à l'élévation de l'esprit. De ces facteurs naturels ont découlé grâce à ce peuple un formidable patrimoine de sagesse vivante.

Pour prier l'on va dans une église et non dans un musée (»... il était une fois jadis un pays de hautes montagnes, un pays à la sagesse exemplaire, il y a très longtemps...).

Si nous ne réussissons pas à intervenir avec suffisamment de force (intérieure) et suffisamment nombreux le Tibet peut bientôt mourir de façon irréversible.

MAIS LE TIBET NE VEUT PAS MOURIR!

Le TIBET a des projets, le TIBET a créé des institutions démocratiques en exil (un parlement notamment), le TIBET veut vivre et refuse le lavage de cerveau que veut lui imposer la Chine.

Comme Martin Luther King, il a un rêve: faire de son territoire une zone d'AHIMSA, une zone démilitarisée, dénucléarisée, tampon naturel entre 3 grands pays (la Russie, l'Inde et la Chine), devenir un laboratoire pour un homme nouveau, plus... humain(!), où les chercheurs se proposeraient non pas d'aller coloniser la lune, à gagner encore et toujours plus de marchés mais à résoudre les complexes problèmes de notre cohabitation dans la grande (et seule!) maison de notre mère la Terre, à élever le PFB, ...le Produit de Fraternité Brute, à faire en sorte que la richesse et l'abondance des uns ne se paie pas par l'exclusion et le dénuement des autres.

Vaste programme, direz-vous!

Vaste certes, mais si vaste soit-il, il est à la mesure du potentiel du genre humain.

Ce défi mérite d'être relevé: car comment abdiquer devant le cercle vicieux - exclusion - haine - violence - loi du marché - ajustement - chômage - profits - pauvreté - corruption - intégrismes ...

Pas de solution miracle à vous proposer pas de sortilège tibétain, pas de troisième oeil ni de lévitation simplement nous vous demandons de nous aider à éviter que l'on présente bientôt à l'humanité (qui mériterait si peu son nom, en ce cas) le faire-part de décés duTIBET.

TIBET SAUF, TIBET SAUVE: c'est parvenir simplement à ce que soit préservée, pour ton bien et celui des générations futures, avec ses trésors d'humanité, une terre d'accueil pour fabriquer l'espoir, quelque part dans les hautes crêtes d'une poussière d'étoile nommée TERRE.

(*) En son temps, déjà, Montaigne disait »Science sans conscience n'est que ruine de l'âme .

Marseille, mardi 1er octobre 1996