LA CONDAMNATION DU DISSIDENT WANG DAN SUSCITE UNE EMOTION INTERNATIONALE
L'ancien dirigeant chinois de Tienanmen était accusé de subversion
par Francis Deron
Le Monde, vendredi 1 novembre 1996
Après la condamnation à onze ans de prison du dissident chinois Wang Dan, les capitales occidentales ont demandé, mercredi 30 octobre, la clémence de Pékin. A Paris, le Quai d'Orsay s'est dit choqué par la lourdeur de la sentence et espère que les autorités chinoises prendront en considération l'émotion (... ) internationale.
Le gouvernement chinois vient d'administrer, avec la peine de onze ans de prison décidée à l'encontre de l'activiste pro-démocratique Wang Dan, une énergique leçon de choses aux partisans étrangers d'une approche conciliante envers Pékin sur la question des droits de l'homme. Alors que la pression des gouvernements occidentaux s'était faite minime à ce sujet, l'ancien étudiant et dirigeant des occupants de la place Tiananmen en 1989 a 'été condamné presque aussi sévèrement, pour la seule expression de vues non conformes à l'orthodoxie officielle, que le prisonnier de conscience Wei Jingsheng (quatorze ans). Le procès de Wang Dan s'est tenu, le mercredi 30 octobre, selon un rituel désormais bien huilé: annonce en catimini de son imminence, convocation à la dernière minute de ses défenseurs - sa mère et un avocat-, tenue des journalistes étrangers et des curieux à distance de l'entrée du tribunal par la police, réunion d'un public présenté comme tel, alors qu'il était trié sur le volet, et faux débat sur une c
ause entendue d'avance. Les délibérations du jury appointé par le régime n'ont pris que dix minutes à la fin des quatre heures de séance. Wang Dan a été jugé coupable de conspiration visant à subvertir le gouvernement, action définie comme le renversement du pouvoir d'Etat et du système socialiste incarnés dans la dictature du prolétariat. L'accusé, précise le communiqué officiel, a reconnu franchement ses activités, ce qui signifie qu'il a en fait revendiqué les actes qui lui étaient reprochés. Ceux-ci allaient de la rédaction d'articles publiés principalement dans la presse de Hongkong et de Taïwan contre la répression politique en Chine à l'organisation de collectes de fonds étrangers en vue de porter assistance aux familles de prisonniers de conscience. Ces activités étaient conduites en collusion avec Wei Jingsheng ainsi qu'avec des groupes d'activistes chinois installés aux Etats-Unis décrits comme forces hostiles d'outremer. Le régime s'est seulement épargné la peine de qualifier sa conduite de contre
-révolutionnaire, catégorie criminelle qui peut mener à la peine capitale, et qui est en passe d'être bientôt remplacée dans le code pénal par la notion équivalente de conspiration contre la sécurité de l'Etat, moins marquée du caractère provisoire découlant d'une révolution. Ce détour juridique vise à éviter de fournir unprétexte à une éventuelle exigence de nouveau jugement à l'avenir.
INQUIÉTUDE A HONGKONG
L'ancien étudiant passe pour avoir l'intention d'introduire une procédure en appel. Aucune procédure de ce type n'a jamais abouti à la moindre réduction de peine pour des affaires politiques. Les intéressés peuvent seulement s'estimer heureux de ne pas voir leur condamnation alourdie pour avoir mis en doute le bien-fondé du jugement initial. Une question, certes ingénue, pourrait paraître légitime : pourquoi le régime éprouve-t-il le besoin d'écraser d'un coup d'aussi volumineux marteau un tel moucheron ouvert au compromis ? D'autant que la peine à laquelle il a été effectivement condamné se montera au total à douze ans et demi si l'on inclut la détention préventive qui a précédé son arrestation formelle le 3 octobre. D'une certaine manière, le régime lui-même apporte une réponse désarmante: Wang Dan, âgé de vingt-sept ans, a, par ses actes, mis en danger le gouvernement légitime de la République populaire de Chine. On savait celui-ci relativement faible et inquiet, mais pas à tel point. Plus concrètement, l
es autocrates de Pékin ont marqué leur refus catégorique du moindre souffle d'impertinence politique, effectivement muselé la dissidence avec cette dernière condamnation spectaculaire et adressé un message qui a été bien compris à Hongkong: l'expression de sentiments hostiles ou revendicatifs, comme ceux que symbolise la frêle silhouette à lunettes de l'ex-étudiant brandie sur les placards des manifestants du territoire, ne sera plus tolérée à l'avenir là-bas non plus. Le chef de la diplomatie continentale, le vice-premier ministre Qian Qichen, l'avait dit voici quelques jours, et aurait pu s'estimer marri de ne pas avoir été franchement cru sur parole. Le chef de file du milieu libéral, Martin Lee, membre élu du mini-Parlement hongkongais, a cette fois commenté le verdict frappant Wang Dan d'une lucide constatation: toute opposition est condamnée d'avance, a-t-il estimé en substance.