LES CHINOIS RESERVENT UN TRIOMPHE A DES OUVRAGES VANTANT LE NATIONALISME
Le non à l'occident, en dépit de la ligne diplomatique officielle, fait recette
par Francis Deron
Le Monde, vendredi 1 novembre 1996
Au moins trois grands succès de librairie à Pékin prônent une attitude agressive à l'encontre de l'Occident, des Etats-Unis en particulier, mais aussi du Japon, et dénoncent les influences étrangères dans le pays. Mutisme du pouvoir, qui laisse faire, tout en affirmant qu'il ne s'agit pas là de points de vue partagés par le gouvernement. Serait-ce le début d'une expression semi-libre ?
Les variations sur le thème selon lequel la Chine serait tentée de dire non à l'Occident - EtatsUnis au premier rang - sont en passe de constituer un véritable feuilleton politico-littéraire. Après La Chine peut dire non, succès de l'été à hauteur d'un demi-million d'exemplaires, tirage record, deux nouveaux titres sont venus relancer la polémique, qui commençait à piétiner. On n'était pas habitué, dans un pays où l'édition demeure sous étroit contrôle gouvernemental, à voir paraître autant d'ouvrages exprimant des vues non consonnes à la ligne diplomatique officielle - qui n'est pas, qu'on sache, celle d'un non catégorique à l'Occident. Il n'en faut pas moins pour se demander d'où proviennent ces protestations de fierté nationale modelées sur le célèbre ouvrage de Shinaro Ishihara, l'ancien patron de la firme nippone Sony, Le Japon qui peut dire non, paru à la fin des années 80, en réaction au Japan Bashing (critiques du japon) américain. Le premier ouvrage, publié au printemps par trois jeunes universitair
es pékinois, se voulait un brûlot énergique dénonçant, de la part des Etats-Unis, une volonté dominatrice sur leurs partenaires, que ce soit dans les domaines stratégique, politique, économique ou culturel. Fort peu académique, le texte fustigeait la propension américaine à favoriser l'exportation de biens made in USA, matériels ou spirituels, sans considération pour les susceptibilités, difficultés ou réticences des destinataires. il s'agissait d'une réactualisation de la défunte lutte contre l'impérialisme, avec, pour chapeauter la démonstration, un éloge de Fidel Castro présenté en héros de la résistance.
LES CONDITIONS DU OUI
Tout en assurant à leurs visiteurs étrangers que ce livre ne représentait pas les vues du gouvernement chinois, les dirigeants de Pékin ne se privèrent pas de leur en mentionner l'existence au cours de l'été. Façon de leur faire comprendre qu'il ne fallait pas que la Chine soit poussée dans ses derniers retranchements dans les multiples querelles qui l'opposent aux Occidentaux. Mais voilà que sort à son tour, en octobre, un ouvrage du même ordre, encore que plus policé dans la forme: Pourquoi la Chine dit-elle non ? se présente plutôt comme uneélaboration calculée, posée, des divers commentaires de la presse officielle, par trois spécialistes des relations internationales à qui ne peut, cette fois, être fait le reproche d'être néophytes en la matière. Les auteurs s'interrogent, notamment, quant à savoir si Taïwan est le 51e Etat des Etats-Unis? ou si l'Organisation mondiale du commerce (OMC) sans la Chine peut prétendre à un autre titre que celui d'organisation régionale du commerce. Dans la foulée, enfin, l
es auteurs du premier ouvrage publient la suite: les voilà qui s'attaquent, dans "Là encore, la Chine peut dire non au Japon", qu'ils avaient précédemment oublié - Ces livres et quelques autres, qui, depuis un an environ, remettent en cause une partie de la propagande officielle vantant les bienfaits de la politique menée sous Deng Xiaoping depuis 1978, sont révélateurs d'un malaise qui a tendance à se muter en défi. En privé, nombre de Chinois cultivés, y compris des intellectuels pourtant connus pour leurs positions nationalistes, apportent un bémol au caractère représentatif de ces pamphlets. Leurs auteur seraient les premiers à demande s'ils le pouvaient, une carte verte pour s'installer aux Etats-unis, ironise l'un. Et un autre : Pour 1 plupart d'entre nous, la question es plutôt de savoir à quelles condition la Chine peut dire oui. C'est-à-dire oui à l'ouverture. A tout le moins, le débat, s'il est engagé sur des bases faibles la Chine est loin d'avoir atteint un niveau de développement comparable à ce
japon qui, au demeurant, n'a pas dit non à l'Amérique - présente un aspect nouveau: il n'émane pas directement, en apparence en tout cas, du régime, à la différence de toutes les polémiques politico-littéraires qui ont parcouru l'histoire de la Chine populaire et qui, toutes, étaient entièrement téléguidées par le pouvoir à des fins répressives. Ce débat signifierait alors qu'un début d'expression semi-libre est, désormais, envisageable à la faveur de la loi du marché - d'aucuns soupçonnent ces vaillants auteurs nationalistes de faire un joli coup d'édition avant tout pour les bénéfices financiers qu'ils en retirent. Timide progrès qui n'exclut pas le maintien d'une haute surveillance envers les intellectuels libéraux: l'écrivain Bai Hua, un militaire très respecté, ancienne victime de la vindicte du régime, s'est, durant l'été, retrouvé à nouveau en résidence surveillée. Sans explication.