QUAND CLINTON FLIRTE AVEC LES CHINOIS
Le président américain a inauguré son deuxieme mandat par une chaleureuse ouverture vers Pékin. C'est qu'une place sur le fabuleux marché chinois vaut bien que l'on ferme les yeux sur les violation des droits de l'homme...
par BRUNO BIROLLI
Le Nouvel Observateur 19-25 décembre 1996
Le général Chi Haotian, ministre chinois de la Défense, est aux anges. Le voilà photographié dans le bureau ovale de la Maison-Blanche, comme un vieil ami, aux côtés de Bill Clinton. Il y a neuf mois, ce même général menaçait d'arroser Taïwan avec ses fusées et Clinton déployait d'urgence ses porte-avions dans le détroit de Formose pour l'en dissuader. Chi Haotian, vétéran de la guerre de Corée, est également vice-président de la Commission centrale militaire - la plus haute instance politico-militaire de la nomenclature chinoise. Il représente le clan le plus antioccidental au sein de l'establishment pékinois et c'est lui qui a supervisé, en tant que chef d'état-major de l'Armée de libération populaire, le massacre de la place Tiananmen en juin 1989. En lui réservant un accueil chaleureux à Washington, l'Amérique veut-elle montrer qu'elle a, à son tour - et après d'autres, comme la France - renoncé à brandir face à Pékin le drapeau des droits de l'homme? Pourtant, la Chine vient de condamner à onze ans de p
rison le dissident Wang Dan, un ancien de la place Tiananmen, coupable d'avoir publié des articles critiques à l'égard du régime dans la presse de Hongkong . Et il y a par ailleurs des sujets sur lesquels les positions de Pékin et de Washington paraissent inconciliables, comme par exemple la livraison de missiles balistiques à l'Iran et au Pakistan, ou le statut de Taïwan. Mais aujourd'hui, comme l'explique un diplomate américain, l'essentiel est d'établir avec la République populaire des relations de confiance qui' rendent possible une coopération qu'aucun dossier spécifique, les droits de l'homme inclus, ne puisse perturber. C'est au sommet de l'Apec (Asian Pacifie Economic Cooperation), qui s'est tenu à Manille à la fin du mois de novembre, que la nouvelle politique chinoise des Etats-Unis s'est affirmée pour la première fois de façon spectaculaire. Bill Clinton s'est entretenu pendant une heure et demie avec son homologue chinois, Jiang Zemin. Pendant ce tête-à-tête qualifié par un officiel chinois d'ami
cal et de constructif, le président démocrate a longuement détaillé son désir de partager certains intérêts stratégiques avec une Chine forte et stable. Il n'a pas évoqué le sort de Wang Dan, ni d'ailleurs d'aucun autre dissident. Le seul litige qu'il a abordé est celui de l'adhésion de la République populaire à l'Organisation mondiale du Commerce. Les Etats-Unis soutiennent la candidature de la Chine, mais à condition qu'elle renonce aux privilèges accordés aux pays en voie de développement en matière d'ouverture de leur marché aux produits étrangers. L'objectif de Washington, après quatre années de tensions, n'est donc plus de contenir la Chine, comme pendant la crise de Taïwan du printemps dernier. Il s'agit désormais d'engager avec la futuresuperpuissance un dialogue constructif et bilatéral. Le renouvellement de l'équipe diplomatique de Clinton n'est pas étranger à ce changement de ton. Warren Christopher laisse la place à Madeleine Albright. Née en Tchécoslovaquie, ayant connu le nazisme et le stalinis
me, célèbre pour ses formules à l'emporte-pièce, l'ancienne ambassadrice des Etats-Unis auprès de l'ONU est plus populaire chez les républicains séduits par son sens de la géopolitique qu'auprès de ses amis démocrates. Récemment, elle résumait sa vision du monde en considérant que Cuba était une nuisance et la Chine la puissance du futur. Autrement dit, on peut sans gêne maltraiter la première mais mieux vaut ménager la seconde. Cela ne veut pas dire que la nouvelle mouture de la politique asiatique de Clinton soit parfaitement définie. En fait' les considérations commerciales semblent bénéficier plus que jamais de la priorité sur toute vision à long terme, L'éditorialiste du quotidien Asian Wall Street journal estime que le président américain n'avait pas, pendant son précédent mandat, et n'a toujours pas de conception cohérente de ce que pourrait être une véritable politique chinoise de Washington : Bill Clinton s'est contenté de réagir au coup pa r coup sans imposer à la Chine des règles du jeu claires en
matière de sécurité et de libertés. Et je crains que cela ne soit encore le cas aujourd'hui. La question cruciale est maintenant de savoir si la Républque populaire accepte d'être "engagée" dans le dialogue avec l'Amérique, déclare de son côté David Shambaugh, spécialiste de l'Asie à l'université George-Washington. Si le but est d'ouvrir des canaux de communication au plus haut niveau, entre dirigeants chinois et américains, c'est pour l'instant un succès. Reste à voir si cette stratégie va se traduire par des progrès sur le terrain. Pékin se félicite, évidemment, de ce réchauffement, Au sommet de l'Apec, Clinton et Jiang Zemin se sont mis d'accord sur une série de visites ré-ciproques. Le vice-président AI Gore se rendra au printemps à Pékin, et ce sera la première visite d'un vice-président américain depuis Tiananmen. Aucune date n'a cependant été précisée pour les voyages de Jiang Zemin et Bill Clinton, envisagés pour 1997 et 1998. Il est probable que Jiang Zemin prendra l'initiative : une réception à la
Maison-Blanche ne peut qu'asseoir son autorité avant le congrès du Parti communiste, prévu à la fin de l'année prochaine. Mais pour l'heure, les concessions américaines n'ont pas incité la direction communiste à modérer la rigidité qu'elle manifeste dans les domaines qu'elle considère être des affaires intérieures à la Chine. Le général Chi a refusé d'aborder le problème des exportations de missiles chinois dans le Golfe, jugeant que l'affaire avait été gonflée par les médias. Il a aussi tranquillement déclaré à Washington qu'il n'y avait pas eu un seul mort sur la place Tiananmen. Pélkin exerce des pressions massives contre Disney, le producteur de Kundun, le film de Martin Scorsese qui retrace la vie du dalaïlama. Et pour finir, le Vatican, qui demandait à Pékin de respecter la liberté religieuse des 3 millions de catholiques chinois, a été prié, pas trop Poliment, de s'occuper de ses propres affaires. La souplesse américaine n'est guère payée de retour.