LE CASSE-TETE OUIGHOUR
Emeutes et attentats se multiplient dans la région du Xinjiang
Caroline Puel
Libération, le 28 février 1997
Pékin Le ministère de la Sécurité publique chinois a annoncé hier le lancement d'une campagne nationale sur le contrôle des explosifs. C'est la première réponse aux attentats meurtriers sur-venus mardi dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang, théâtre d'importants mouvements terroristes et séparatistes. Alors même que l'ensemble des dirigeants chinois étaient réunis mardi à Pékin, à l'occasion des funérailles de Deng Xiaoping, trois bombes explosaient dans des autobus à Urumqi, la capitale provinciale du Xinjiang, faisant au moins 7 morts et 70 blessés, selon les forces de sécurité. Les attentats dont pas été revendiqués, mais pourraient avoir été organisés par des groupes séparatistes ouïghours, musulmans turcophones, venus du sud du Xinjiang, notamment des villes de Kashgar et Korla, murmure-ton à Urumqi. Le porte-parole chinois Tang Guoqiang a déclaré hier que les départements concernés étaient en train de mener l'enquête. D'après des résidents arrivés hier à Pékin, la ville d'Urumqi - de facto inter
dite d'accès aux journalistes étrangers est sous le choc: Des barrages de la police armée ont été établis sur la route de l'aéroport et les autobus circulent pratiquement à vide, les habitants préférant reprendre leurs vélos ou des taxis, de peur de nouvelles explosions, ont-ils rapporté. Les actes terroristes se sont multipliés depuis un an au Xinjiang, à l'appui de revendications séparatistes provenant principalement des Ouïghours. Début février, les plus fortes manifestations indépendantistes de l'histoire du régime communiste ont éclaté à Yining, une ville de 300 000 habitants située à 50 km de la frontière avec le Kazakhstan. D'après plusieurs hommes d'affaires revenant de Yining, la situation reste très tendue. Le couvre-feu a été levé le 15 février et l'aéroport a été rouvert, mais personne ne s'aventure dans la ville après la tombée du jour. Aucun Han ne s'enfonce dans le bazar. Des patrouilles de la police armée, portant boucliers et fusils antiémeutes, circulent en permanence dans la ville.
Les émeutes, qui ont duré deux jours, les 5 et 6 février, auraient été initiées par des éléments séparatistes venus du sud de la province. Mais les responsables locaux chinois auraient eu vent de l'affaire à la suite d'une dénonciation. Le bilan s'élèverait à 70 morts (40 Han et 30 Ouïghours). Les manifestants auraient fait circuler des banderoles déclarant: Tuons les Han et les Hui (Chinois musulmans). Hong-kong revient à la Chine, le Xinjiang doit revenir aux Ouïghours. Cet antagonisme antichinois serait avant tout d'origine économique, expliquent les résidents. Les Han, venus des provinces côtières du Zhejiang et de l'Anhui, concurrencent l'agriculture (fruits) traditionnelle et repoussent progressivement les minorités hors du centre-ville. Un nombre croissant d'Ouïghours sont au chômage. Beaucoup ne sont plus à même d'envoyer leurs enfants à l'école. Ces frustrations rendent les Ouïghours plus réceptifs aux idées indépendantistes etreligieuses véhiculées par des agents des pays musulmans voisins. Plusie
urs hommes d'affaires pakistanais, qui s'étaient installés à Yining au début des années 90, ont été expulsés l'an dernier et plus d'un millier de mosquées sont répertoriées dans la préfecture. Les Chinois ont réprimé très durement cette révolte, mais le problème de fond subsiste. Un engrenage dangereux de révoltes et d'actes terroristes, suivis de répression, risque de se développer au Xinjiang, redoutent les résidents. Hier, l'un des vice-présidents de l'Assemblée, Bu He, d'origine mongole, a saisi l'occasion des hommages à Deng Xiaoping pour faire passer un message au nom des minorités. Il faut réellement appliquer l'égalité des peuples et parfaire le système d'autonomie des régions de minorités, a-t-il écrit dans le Quotidien du peuple. La situation explosive du Xinjiang sera l'un des débats clés de la session annuelle de l'Assemblée, qui ouvre le 1er, mars.