M. CLINTON »INDIGNE PEKIN EN RECEVANT LE DALAI-LAMA
En voie de réchauffement, les relations sino-américaines restent pourtant marquées par l'ambiguïté
par Laurent Zecchini
Le Monde, vendredi 25 avril 1997
Les relations sino-américaines sont par nature cycliques: elles traversent des périodes de réchauffement, suivies de refroidissements diplomatiques. La récente visite à Pékin du vice-président Al Gore s'inscrivait dans le cadre des premières. Celle du dalaï-lama à Washington, mercredi 23 avril, qui suit de près le séjour de Martin Lee, le chef de file des démocrates de Hongkong, aux Etats-Unis, fait partie des secondes. Lorsque le ministre chinois des affaires étrangères, Qian Qichen, arrivera, dimanche 27 avril, à Washington, le balancier devrait de nouveau s'orienter vers le dialogue constructif, d'autant qu'il s'agit de préparer la rencontre entre les président Bill Clinton et Jiang Zemin, prévue pour l'automne prochain. Entre-temps, le Congrès se sera prononcé sur le renouvellement de la clause de la nation la plus favorisée (MFN) à la Chine, et les déclarations de plus en plus critiques des républicains à ce sujet n'inclinent pas à l'optimisme. De son côté, Madeleine Albright, le secrétaire d'Etat améri
cain, se rendra à Hongkong pour les cérémonies de transfert de souveraineté entre la Grande-Bretagne et la Chine, le 30 juin. Ces deux derniers événements sont à porter dans la colonne »refroidissement , tout comme la décision, annoncée mercredi, d'accorder un visa américain de transit au président taïwanais Lee Teng-hui. EUPHÉMISME A suivre ces péripéties de ping-pong diplomatique sino-américain, on serait tenté de croire que les relations bilatérales trouvent une sorte de point d'équilibre. Or ce n'est pas le cas : qu'il s'agisse du déséquilibre croissant des relations commerciales, de l'affirmation des ambitions militaires chinoises, de l'évolution probable des questions de Taïwan et de Hongkong, de la possible intervention du gouvernement chinois dans le financement du Parti démocrate (le scandale dit de l'»Asiagate ), enfin du rapprochement sino-russe, les motifs d'un approfondissement du contentieux bilatéral paraissent nettement l'emporter. La Maison Blanche prend pourtant des gants pour recevoir des
hôtes que Pékin considère comme ses »bêtes noires . Ainsi, pour s'entretenir avec le dalaï-lama et Martin Lee à Washington, Bill Clinton a-t-il eu recours à ce très commode euphémisme du protocole diplomatique connu sous le nom de »drop-by visit . Les intéressés sont reçus par Al Gore, et le chef de l'exécutif »passe (»drop-by ), pour une conversation plus ou moins longue avec l'hôte du vice-président, ce qui est réputé moins compromettant qu'un tête-à-tête formel dans le »bureau ovale . Les autorités chinoises ne s'y sont pas trompées. Pékin, qui avait multiplié les mises en garde avant l'arrivée du dalaï-lama (lequel avait bénéficié d'un traitement identique en 1995), a vivement réagi, en se déclarant »indigné par la rencontre entre le président américain et le chef tibétain. Les Chinois avaient préalablement averti que Washington prenait le risque d'une nouvelle détérioration des relations bilatérales. La Maison Blanche a expliqué que le prix Nobel de la paix est un »leader spirituel respecté , en par
ticulier par les »centaines de milliers de bouddhistes, notamment américains , et Bill Clinton a souhaité qu'un dialogue puisse s'ouvrir entre Pékin et le dalaï-lama. L'ENJEU DE HONGKONG L'intéressé, invité de l'émission vedette de CNN, »Larry King live , a assuré qu'il ne voulait créer d'embarras à quiconque, tout en enfonçant le clou: il a confirmé son intention d'ouvrir bientôt un bureau à Taïwan - déjà annoncée lors de sa visite sur l'île fin mars - et émis le souhait que les habitants de Hongkong puissent conserver leurs droits et leurs libertés après le retour du territoire à la Chine... De cela, les Etats-Unis se sont portés garants, avait assuré Martin Lee à l'issue de son entretien avec Bill Clinton. Le président a en effet affirmé qu'il y aurait »des conséquences si la Chine remettait en cause les libertés économiques et politiques des Hongkongais. C'est ce message que la visite de Mme Albright dans le territoire va souligner. L'annulation, la semaine dernière, du voyage que Tung Cheehwa, le futur
chef de l'exécutif de Hongkong après la rétrocession, devait effectuer à Washington, est Symptomatique : Pékin s'attend que la question de Hongkong devienne une pomme de discorde majeure dans ses relations avec les Etats-Unis. Le Congrès américain fait le même raisonnement, ce qui explique qu'un nombre croissant de parlementaires sont hostiles à un renouvellement de la MFN, ainsi qu'à l'entrée de la Chine au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Pourquoi, insistent-ils, multiplier les gestes de bonne volonté envers Pékin, alors que les autorités chinoises adoptent une attitude à bien des égards anti-américaine ? La coopération militaire de plus en plus étroite entre Moscou et Pékin est l'un des motifs d'inquiétude des républicains, et de nombreux sinologues. Il en est d'autres: les informations se multiplient, qui montrent les efforts systématiques du gouvernement chinois pour se procurer des technologies américaines civiles afin de les reconvertir à des fins militaires. Le Pentagone vient pour
la première fois de le reconnaître: la Chine est probablement engagée dans un vaste effort pour se doter d'une puissance militaire capable de tenir tête à tout »ennemi potentiel régional , ce qui vise en particulier les Etats-Unis.