UNE CHINE DE TRANSITION ATTEND CHIRAC
Après la mort de Deng, le Président Jiang Zemin tente d'asseoir son pouvoir
par Caroline Puel
Libération, mercredi 14 mai 1997
Qui est, ou quels sont les nouveaux maîtres de la Chine? Trois mois après la mort du »dernier empereur de l'empire communiste, Deng Xiaoping, une transition politique s'opère à Pékin. C'est dans ce contexte que doit partir ce soir pour la Chine la plus importante délégation du gouvernement français jamais déplacée à l'étranger, présidée par Jacques Chirac. Son interlocuteur numéro 1 sera le »dauphin désigné Jiang Zemin, 71 ans, qui cumule les trois fonctions essentielles de chef de l'Etat, du Parti communiste et de l'armée. L'ascension de Jiang Zemin. Installé au pouvoir en octobre 1992, Jiang a été désigné lors du plénum de 1994 comme le nouveau »noyau dur de la troisième génération des dirigeants communistes , après Mao Zedong, fondateur de la Chine communiste(1949-1976), et Deng Xiaoping, père des réformes et de l'ouverture, devenu trop âgé et malade pour rester sur l'avant-scène. C'est cette arrivée aux affaires du vivant de Deng Xiaoping qui a permis à Jiang Zemin de gagner une caution morale qui lui
faisait largement défaut. Propulsé par Deng Xiaoping à la tête du Parti communiste au lendemain de la répression du mouvement démocratique de Tian Anmen en 1989, Jiang ne jouissait alors d'aucune légitimité et était considéré comme une marionnette. Au fil des ans, Jiang s'est pourtant révélé habile manoeuvrier. Pour se faire admettre par l'armée, véritable garante du pouvoir dans le régime communiste, Jiang a multiplié les largesses budgétaires et s'est créé des cercles d'allégeance en nommant des officiers. Au niveau politique, Jiang Zemin s'efforce de gérer ses rivaux potentiels, principalement le Premier ministre, Li Peng, 70 ans, et le président de l'Assemblée nationale, Qiao Shi, 73 ans. Lors de l'hommage funéraire à Deng Xiaoping, le 25 février, Jiang a décoché à la mode chinoise un coup de poignard verbal à l'encontre de Li Peng. Faisant allusion à Tian Anmen en parlant des »bouleversements importants survenus à la fin des années 80 , Jiang a souligné que la décision avait été prise »en accord avec le
Parti et le gouvernement . »Une manière habile d'impliquer de manière irréversible Li Peng, qui cumulait sur cette période précise de juin 1989 les fonctions de secrétaire général du Parti communiste et de chef du gouvernement , explique un journaliste chinois. Un »libéral dans l'ombre. Qiao Shi, ancien chef des services secrets, qui tient une grande partie de la nomenklatura par ses dossiers et ses réseaux, s'est efforcé depuis deux ans de jouer la carte d'un »pseudo-libéralisme en revendiquant notamment le renforcement de l'Etat de droit et le rôle de contrôle de l'Assemblée. Il est soutenu dans cette entreprise par le chef de la Commission consultative Li Ruihuan et entretient toujours, murmure-t-on à Pékin, des liens avec Zhao Ziyang, ancien chef du mouvement réformiste et chef du Parti communiste évincé en mai 1989 pour s'être opposé à la répression de Tian Anmen, ainsi que Yang Shangkun, 90 ans, l'ancien patron de l'armée, toujours influent dans certains cercles militaires et le sud de la Chine. Jia
ng Zemin s'efforce donc de conserver son siège alors que s'ouvre une période d'incertitude. L'année 1997 est en effet marquée par des échéances constitutionnelles incontournables. A la fin de l'année, Li Peng et Qiao Shi doivent arriver à la fin de leurs mandats respectifs. Qui prendra le poste de Premier ministre? Deux noms circulent largement, celui de Li Lanqing, actuel ministre du Commerce extérieur, et celui de Zhu Rongji, vice-Premier ministre, chef de file de la réforme économique. Priorité à la stabilité. Quels postes de remplacement satisferont les deux politiciens sortants? La possibilité de restaurer le poste de président du Parti, fonction abolie en 1982, est évoquée dans les coulisses. En s' octroyant cette nouvelle fonction, Jiang Zemin pourrait attribuer les postes de vice-présidents du Parti à Li Peng et à Qiao Shi, maintenant ainsi l'équilibre des forces actuelles. Mais les conseillers du Président hésitent à un tel chamboulement constitutionnel dans une année ou prime la recherche de stabil
ité. »En tout état de cause, remarque un professeur de sciences politiques, le XVe Congrès du Parti, au mois d'octobre, devra s'achever sur un consensus. Les décisions devraient se boucler début août, lors des »vacances annuelles des hauts dirigeants, dans la station balnéaire de Beidaihe. Prudence à Hong-kong. D'ici là, Jiang Zemin devra faire face à d'autres échéances, en particulier la rétrocession de HongKong à la Chine le 1er juillet. Une opération à haut risque pour le pouvoir chinois qui souhaite une transition sans débordements. Si elle réussit, elle pourra servir l'image du chef de l'Etat. Le moindre faux pas en revanche risque d'être lourd de conséquences pour le régime. D'autres enjeux se posent également en termes critiques, en particulier la réforme des entreprises publiques, qui concerne environ cent millions d'employés, et les tensions séparatistes dans la province musulmane du Xinjiang. Jiang s'efforce de serrer tous les boulons, notamment à l'égard des dissidents dont tout mouvement est tu
é dans ]'oeuf, et de la réforme politique., à peine évoquée. Mais cette extrême rigidité risque à terme d'être sclérosante pour une société qui réclame la poursuite des réformes. L'avenir de Jiang apparaît ainsi suspendu au maintien de la croissance économique inégalée que connaît la Chine depuis bientôt cinq ans et qui a permis jusqu'à présent à l'ensemble de la population d'accepter un régime toujours autoritaire et des inégalités de plus en plus criantes.