~~~~~~~~~Journal independant d'informations sur le Tribunal penal international
pour le Rwanda
Arusha - 22 septembre 1997 - No 20
http://persoweb.francenet.fr/~intermed
Dans ce Numero:
* Dernier tiers-temps pour les suspects de "NAKI"
* Le "vingt-deuxieme detenu" est libere
* En bref: Affaire de Temmerman, Faux temoignage, Affaire Ntagerura...
Dernier tiers-temps pour les suspects de "NAKI"
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Nouvelle periode de detention provisoire pour les six suspects arretes
en juillet au Kenya. Le procureur a obtenu gain de cause le 16
septembre, sans apporter d'elements supplementaires justifiant les
circonstances exceptionnelles de la detention prolongee. D'ici un
mois, il devra produire les actes d'accusation. Dans le cas contraire,
les suspects seront remis en liberte.
A quelques details pres, c'est le meme affidavit que celui produit
lors de la premiere demande de prolongation, le 14 aout dernier (voir
Ubutabera No 16), qui est venu appuyer la requete du procureur. James
Stewart a, a nouveau, detaille les circonstances exceptionnelles en
faveur d'une nouvelle - et derniere - periode de detention provisoire.
Il a souligne les conditions de travail d'enquete, les responsabilites
auxquelles les suspects devraient repondre, la crainte de l'evasion ou
de la destruction d'elements de preuve si ceux-ci etaient mis en
liberte provisoire. Navanethem Pillay, seule juge lors de l'audience,
a fait droit a la requete du procureur, prolongeant de trente jours la
detention de cinq suspects et de seulement vingt jours celle d'Hassan
Ngeze. Elle a precise que les motivations de cette decision seraient
rendues dans les prochains jours.
Des circonstances exceptionnelles
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Premier representant de la defense a ouvrir les debats, l'avocat
togolais de Gratien Kabiligi a reproche au procureur de n'apporter
aucun element nouveau a sa requete, elements qui, selon Jean Yaovi
Degli, auraient justifie cette nouvelle demande de detention.
Cependant, James Stewart a precise que l'apport d'elements nouveaux au
soutien de sa requete n'etait pas obligatoire si les circonstances
exceptionnelles etaient toujours justifiees. Puis, il a precise que le
president Kama, en rendant ses decisions sur les premieres demandes de
prolongation, en aout dernier, avait lui-meme pris en consideration
les circonstances exceptionnelles alors evoquees. A l'appui de sa
demande, le representant du procureur a explique que "les enquetes
dans notre bureau poursuivent des elements de preuve se rapportant a
[la] participation directe" de l'officier rwandais, ajoutant qu'"il
existe un certain nombre d'elements identifies, il s'agit la de
personnes qui faisaient partie des forces armees rwandaises dont
certains ont ete eux-memes impliques dans les activites telles que
celles menees par le general Kabiligi". Retrouver ces personnes et
recueillir leurs temoignages demande du temps. Acceder aux archives du
ministere de la Defense rwandais, ouvertes au parquet debut aout, ne
se fait pas sans modalites prealables.
Debats sur l'article 40bis
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Se battant sur les textes et le droit, l'avocat de la defense a
souleve des contradictions entre le statut et le reglement du TPIR. Il
a simultanement fustige les mesures qu'autorise l'article 40bis du
reglement de procedure et de preuve et conteste le fondement de la
requete du procureur quant aux "circonstances particulieres" requises
lors de la demande d'une ultime prolongation de la detention
provisoire, prevue par ce meme article 40bis : "Ce n'est pas l'article
40bis mais l'article 40 qui doit s'appliquer. Nous avons saute une
etape fondamentale de la procedure. Cette procedure a ete bafouee. La
seule disposition applicable a mon client est l'article 40 du
reglement. Le ministere public a commis une erreur, le Tribunal a
commis une erreur, la defense a fait une erreur. Faute de temps, nous
n'avons pas pu la reconnaitre avant. Il faut reconnaitre ses erreurs.
Nous ne pouvons pas faire supporter le poids de nos erreurs aux
personnes illegalement detenues. En [les] reconnaissant, nous allons
permettre a ce tribunal de ne pas s'aligner sur les juridictions
africaines qui ne savent pas quoi faire des textes de droit" a plaide
Jean Degli, avant d'ajouter que "les circonstances particulieres font
desesperement defaut au dossier du ministere public". Tres directe, le
juge Pillay a alors interpelle le representant du procureur :
"Pouvez-vous m'assurer que vous pouvez dresser un acte d'accusation
contre le suspect si vous avez trente jours supplementaires ?"
ajoutant que, dans le cas contraire, a ses yeux, il n'y avait "pas de
fondement a la requete". James Stewart, tout en reconnaissant que
"c'est un pouvoir exceptionnel qui [lui] est donne", a bien affirme
que "le but est d'accuser le general Kabiligi a la fin de cette
periode".
Polemique sur les conditions de detention
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Le conseil de la defense a aussi evoque les conditions de detention du
suspect. Dans le but de prouver au Tribunal que son client est deja
considere comme un accuse, Jean Degli a fait remarquer que "ce matin,
il s'est presente en costume de prisonnier". Selon l'article 21 du
reglement de detention, "les detenus peuvent porter leurs propres
vetements civils si, de l'avis du commandant, ils sont propres et
appropries. Tout detenu indigent recoit un trousseau civil approprie
et suffisant, aux frais du tribunal". Derriere le box des accuses, le
directeur de la prison, Claude Bouchard, sert les poings : depuis
plusieurs mois, les detenus reclamaient l'application de cet article
du reglement et ont regulierement recu des vetements civils. L'avocat
a aussi suspecte l'administration d'enregistrer les conversations
entre la defense et les detenus, violant ainsi le secret des
correspondances. "[Mon client] se plaint que ses conversations avec
son avocat son enregistrees. Je ne lui ai pas telephone depuis la
derniere fois que je suis venu", a-t-il declare. Le directeur de la
prison fulmine. D'une part, l'article 65 du reglement de detention
assure le secret des correspondances entre le client et son defenseur.
D'autre part, jusqu'ici, le Tribunal n'a toujours pas acquis le
materiel necessaire a l'enregistrement des communications des detenus.
Les frasques d'Hassan Ngeze
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Presente devant le Tribunal sans ses avocats, Hassan Ngeze a indique
qu'il souhaitait maintenant etre declare indigent. Depuis plusieurs
semaines deja, les services du greffe enquetent sur le cas Ngeze.
Celui-ci, lors de son inscription a la prison, avait declare vouloir
payer ses avocats. Repondant au juge Pillay, il a explique qu'il ne
souhaitait pas plaider seul sur la requete du procureur et a demande
un report du debat afin que ses avocats kenyans puissent venir
jusqu'au Tribunal. Profitant de sa tribune, l'ex-redacteur en chef de
la revue extremiste hutue Kangura, coiffe aujourd'hui d'un keffie
rouge et blanc, a declare : "J'aimerais vous demander l'autorisation
de vous donner les noms des gens qui ont tue les deux presidents, le
president rwandais Habyarimana et le president burundais Ntaryamira,
afin que vous puissiez les transmettre au procureur pour qu'il puisse
arreter les vrais coupables de la tragedie rwandaise. Nous avons les
noms, les pays qui ont complote et l'adresse ou se trouvent les gens"_
Presents a l'audience, a 14 h 30 le lendemain, les avocats d'Hassan
Ngeze ont souhaite proceder au contre-interrogatoire du chef des
enquetes, Oyvind Olsen. Le juge Pillay a demande a la defense de
concentrer son contre-interrogatoire sur la requete du procureur. Les
questions de l'avocat Wamuti Ndegwa ont essentiellement porte sur les
dates de parution des exemplaires de Kangura, leur traduction et la
periode a laquelle le parquet a debute ses enquetes sur le sujet.
Selon le commandant Olsen, les enquetes auraient commence en juillet
1996. L'avocat a ensuite fait remarquer que deux editions du magazine
etait diffusees, l'une en francais pour l'international et l'autre en
kinyarwanda et qu'en ce cas, les problemes de traduction etaient
attenues. "Dois-je comprendre qu'il n'est pas vrai que vous avez des
difficultes a traduire ?" a-t-il alors demande. Selon les experts, la
version francaise de Kangura - appelee edition internationale - etait,
en fait, differente de celle en kinyarwanda. Le procureur a ensuite
pris la parole pour developper les termes de sa requete. James Stewart
n'a pas souhaite evoquer un affidavit, recu le matin meme, du suspect
Ngeze mais a simplement explique que l'acte d'accusation de ce dernier
etait sur le bureau du procureur Louise Arbour, a La Haye.
Georges Ruggiu a couvert
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Georges Ruggiu arrive devant la cour, le visage integralement
recouvert. A l'ouverture de l'audience, le juge Pillay demande a "voir
le visage du suspect". En vain. Evoquant une precedente reflexion du
procureur lors de l'audience du 14 aout, l'avocat de Georges Ruggiu
declare : "Le procureur a fait une remarque sur le kaffir de mon
client. Il semble qu'il n'ait pas cru qu'il soit musulman. [Mon
client] a droit a sa liberte. On ne peut pas blesser le caractere
sacre du choix religieux de monsieur Ruggiu". Dans la defense de sa
requete, le procureur a explique que l'acte d'accusation de Georges
Ruggiu etait sur le bureau de Louise Arbour a La Haye, laissant le
choix au juge d'ordonner une detention provisoire inferieure a trente
jours.
La derniere prolongation
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Au cours de ces deux jours d'audience, le debat sur le bien-fonde de
la requete du parquet s'est repete a l'occasion de la comparution des
autres suspects arretes lors du coup de filet de juillet dernier. En
l'absence de leurs avocats designes, Sylvain Nsabimana et Aloys
Ntabakuze ont ete respectivement representes par Tiphaine Dickson et
Mohamed Aouini. Dans tous les cas, a l'issue de confrontations ou se
mesuraient le droit international et le caractere exceptionnel de la
juridiction et du contexte politique dans lequel elle ouvre, le juge a
fait droit aux requetes du procureur. A l'exception d'Hassan Ngeze,
pour qui il n'a ete requis que vingt jours de detention supplementaire
au vu de l'avancement de son dossier, tous les suspects voient leur
incarceration prolongee de trente jours. Trente jours au terme
desquels le procureur n'aura plus le choix : la remise en liberte du
suspect ou l'etablissement d'un acte d'accusation contre lui. En fait,
au-dela des difficultes des enquetes mises en avant par le parquet,
c'est le fondement de sa nouvelle strategie qui semble aussi motiver
l'utilisation maximale des delais auxquels il a eu recours. "Nous
avons au maximum quatre-vingt-dix jours, je n'entends pas les
utiliser" avait declare Bernard Muna lors d'un entretien a Ubutabera,
le 22 juillet dernier. Le procureur adjoint n'a pu l'eviter. La
question de l'avancement des dossiers a ete amplement posee lors des
audiences du 15 et 16 septembre. Mais il existe deux autres
difficultes auxquelles le bureau du procureur parait etre confronte.
Quels types d'actes d'accusation ?
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La premiere est conjoncturelle : la maigreur des ressources humaines
disponibles a l'heure actuelle (voir Ubutabera No 18). James Stewart
l'a reconnu lors de l'audience concernant Gratien Kabiligi : "Chaque
personne fait le travail de sept au parquet. Nous n'avons tout
simplement pas les gens pour faire le travail". La seconde tient a la
confection des actes d'accusation. Le parquet souhaite qu'ils soient,
dorenavant, systematiquement collectifs (voir Ubutabera No 15). Or les
jonctions ainsi operees peuvent repondre a differentes logiques que le
procureur doit trancher. Un acte doit-il regrouper les accuses autour
de crimes commis dans une region specifique du Rwanda ? Ou doit-il
refleter la nature et le niveau des responsabilites ? Autrement dit,
doit-il etre, en quelque sorte, "vertical" en integrant l'ensemble des
niveaux d'execution du crime - ce qui semblait, en aout, etre la
perception de Bernard Muna - ou thematique en faisant le proces de
chaque structure de pouvoir isolement ? Ou peut-il encore etre
alternativement l'un et l'autre ? Il est vraisemblable qu'une partie
des prolongations sollicitees cette semaine trouve leur raison d'etre
dans ce choix ineluctable.
Le cas singulier de Jean Kambanda
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Dernier cas decidement original parmi les suspects de "NAKI" : Jean
Kambanda. Depuis son arrestation, le 18 juillet, le sort et la
strategie de defense de ce dernier nourrissent les suspicions et les
demi-mysteres. L'ex-premier ministre du gouvernement interimaire
rwandais a comparu, le 16 septembre, sans avocat. Depuis son
interpellation, il a toujours souhaite presenter seul sa defense. A
l'ouverture de l'audience, le juge Pillay a demande au suspect s'il
avait des objections a la requete du procureur. L'homme a calmement
repondu : "Je n'ai pas d'objection a ce que ma detention puisse etre
poursuivie".
Le "vingt-deuxieme detenu" est libere
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L'operation NAKI, c'est aussi l'histoire d'un jeune Rwandais, arrete
le 18 juillet en lieu et place d'Arsene Shalom Ntahobali. Aucune
charge ne pesant contre lui, celui qu'on surnomme le "faux-Shalom"
devait etre libere immediatement. Il ne l'a ete que le 20 septembre.
Apres deux mois de detention a la prison d'Arusha. Victime d'un
feuilleton politico-judiciaire qui a piege tout le monde.
Ce 18 juillet 1997, a l'aube, les enqueteurs du TPIR tatonnent, se
passent une photographie, hesitent_ Certes, la personne qui se trouve
face a eux n'a pas la corpulence de l'individu recherche : Arsene
Shalom Ntahobali. Mais nul n'ose predire des transformations physiques
qu'entraine l'exil et la clandestinite. Le temps presse et le jeune
homme qui leur fait face ne nie pas l'identite donnee. Il est arrete
et rejoint le convoi qui se dirige dans l'apres-midi vers Arusha.
Arsene Shalom Ntahobali, le vrai, vient d'echapper aux hommes du
parquet. Pas pour longtemps : le fils de l'ex-ministre du bien-etre
familial, Pauline Nyiramasuhuko, sera arrete et transfere une semaine
plus tard, le 25 juillet.
Une meprise vite reconnue
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La meprise est d'ailleurs tres vite etablie. Interroge par Ubutabera
le 22 juillet, le procureur adjoint et maitre d'ouvre de NAKI, Bernard
Muna, explique : "Il y avait six enqueteurs et quatre membres des
forces kenyanes. Ils ont regarde les photos, hesite. Apparemment, nous
sommes en train d'etablir que ce n'est peut-etre pas lui. S'il n'est
pas recherche, il sera libere". Il precise ensuite que le Haut
commissariat aux refugies (HCR) serait saisi du cas, s'il se revelait
que l'homme arrete par erreur ne relevait d'aucune accusation. Une
question demeure : pourquoi le jeune individu s'est-il laisse
embarquer ? Peur, inconscience, complicite ? Sans papiers, sans
statut, clandestin au Kenya comme tant d'autres de ses compatriotes,
il semblerait que le jeune homme souhaitait alors echapper aux
autorites du pays. Seule alternative pour eviter les geoles kenyanes
ou la menace d'expulsion vers le Rwanda : la prison d'Arusha.
Interroge par le bureau du procureur, a son arrivee au siege du
Tribunal, le jeune homme avoue sa reelle identite. Fin juillet, on
chuchote son nom dans les couloirs, son cas est evoque a demi-mot.
Mais personne ne doute, alors, de sa liberation imminente. Pourtant,
le Tribunal et avec lui, en premier lieu, le "faux-Shalom" sont, en
fait, pris dans un piege politico-juridique.
Le precedent au TPY
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En n'ayant pas nie l'identite qui lui etait attribuee, Esdras
Twagirimana - c'est son nom - s'est laisse prendre dans un jeu
dangereux. Il en a paye un lourd tribut, victime d'une situation qui a
depasse et embarasse tout le monde. Un precedent comparable existe. A
La Haye, le Tribunal pour l'ex-Yougoslavie a, en effet, du faire face
a une histoire en partie similaire. Le denomme Goran Lajic est arrete
en Allemagne. Son malheur : etre l'homonyme d'un accuse recherche par
le procureur. Dans son cas, une veritable procedure est engagee, parce
que les enqueteurs ignorent toujours qu'il n'est pas celui sur qui
pesent les charges. Lors de sa comparution initiale, il nie les faits
et declare : "Ce n'est pas moi". Alors que le "vrai-faux Goran Lajic"
est detenu au centre penitentiaire, les juges ordonnent au procureur
de mener des enquetes complementaires. Elles prendront beaucoup de
temps, le vrai Goran Lajic etant recherche en Bosnie. Le procureur
depose finalement une requete pour la mise en liberation de celui
arrete par erreur. En Hollande, il n'a aucun titre de sejour. Mais
l'Allemagne coopere. Il y retourne finalement, ou sa procedure de
demande de statut de refugie suit son cours normal. La cooperation
avec le Tribunal de La Haye est totale. En Afrique de l'Est, la
situation politique differe radicalement. Les Etats rechignent
aussitot a porter le fardeau du "faux Shalom". Finalement, lasse
d'attendre un reglement clair de son sort, Esdras Twagirimana a
demande a rentrer au Kenya. Il est arrive a Nairobi, le 20 septembre,
par avion.
La reticence des Etats
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Des le debut de cette affaire, les negociations sont menees par le
greffe. Les premiers contacts avec les autorites tanzaniennes, avec
pour interlocuteur le premier ministre Frederick Sumaye, echouent. Il
n'est pas question d'accepter que l'homme reste sur le territoire, pas
question non plus qu'il sorte de prison et soit heberge par le
Tribunal, le temps de trouver une solution a sa complexe situation.
Lui-meme refuse un statut de refugie en Tanzanie. Il devra rester au
centre penitentiaire tant qu'une solution annexe n'aura pu etre
negociee. Dans sa cellule, l'homme s'epuise des les premieres
semaines. Il redige des courriers au president du Tribunal, hesite
entre une liberation sans garanties et un statut negocie par le
Tribunal. Certains jours, il demande sa liberation immediate, "j'irai
a pied au Kenya s'il le faut"... D'autres jours, il trompe son
impatience dans l'espoir d'un statut solide. Pour le greffe, les
negociations continuent d'etre longues et ardues. Les autorites
kenyanes refusent ce clandestin sur leur territoire, promettent une
arrestation immediate s'il foule le sol de ce pays. Les autorites
tanzaniennes restent fermes sur leur position. Le Haut commissariat
aux refugies accepte, de son cote, de recevoir le jeune homme et sa
famille, si les autorites kenyanes en donnent l'autorisation. La
boucle est bouclee. Et le jeune homme reste dans le centre de
detention. Il est le vingt-deuxieme detenu. Celui qui ne comparait
jamais devant la cour. Dans les couloirs du Tribunal, ce que certains
prennent pour leur propre revolte grondent a voix basse, servis par
l'opacite un brin maladive du TPIR. Le silence apparemment gene qui
entoure trop longtemps l'affaire nourrit la crainte de l'arbitraire.
La situation, de fait, ne peut qu'inspirer ce malaise : un individu
est incarcere pendant deux mois sans que pese aucune charge contre
lui. Second sujet d'inquietude : il n'a pas d'avocat.
Culture du secret et rumeurs
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Le silence grossit le mystere, qui enfle la rumeur. Des rumeurs qui
provoquent une vraie colere au bureau du greffe : "Ce qui se passe ne
nous fait pas plaisir. Certains se font de la publicite en utilisant
des individus dont ils se moquent pas mal. Dans le monde entier, les
pauvres sont traques et ainsi utilises. Il ne faut pas
instrumentaliser ce garcon. Il s'agit d'un probleme humanitaire
precis". Certes, retorque-t-on de l'autre cote, mais il existe le
souci d'une gestion solitaire et secrete du dossier qui entrainerait
le non-respect des droits de l'individu. Certains propos manifestant
le desir du Tribunal de se delester discretement du cas Twagirimana
ajoutent a la lourdeur du climat. Jusqu'au mois de septembre, la
publicite autour de cette affaire ne filtre guere des couloirs du
TPIR. L'Association des avocats de la defense (Adad) s'inquiete en
coulisses des droits et des recours possibles pour le jeune homme.
D'autres prennent des initiatives individuelles. Henri Leclerc,
president de la ligue des droits de l'homme a Paris, est alerte de la
situation. De leur cote, les detenus ecrivent a leurs avocats pour
leur narrer ce cas exceptionnel. Le 8 septembre, The East African
annonce prematurement la liberation du faux suspect. En fait, les
negociations avec les autorites kenyanes sont toujours en cours. Le
greffe n'a pu encore obtenir la regularisation du statut qu'Esdras
Twagirimana souhaite. Dans un communique de presse, date du 20
septembre, le greffier affirme que le jeune homme "a recemment insiste
aupres du Tribunal en indiquant qu'il ne voulait plus demeurer a
Arusha et qu'il souhaitait retourner a Nairobi". L'homme a donc
retrouve la liberte. Et sa precarite.
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En bref
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. Affaire de Temmerman. Le 29 septembre, la premiere chambre de
premiere instance debattra sur la requete de Georges Rutaganda pour un
changement de conseil. Le 25 aout dernier, l'accuse avait depose une
lettre sur le bureau du Tribunal, demandant a ce que son avocat
principal, Luc de Temmerman, se retire du dossier. Ce dernier avait
declare, lors d'une conference de presse tenue le meme jour, ne pas
s'opposer a la demande de son client. De son cote, le president Laity
Kama aurait demande au bouillant avocat de ne pas troubler l'audience
par les virulentes declarations dont il a l'habitude d'user. Tiphaine
Dickson, aujourd'hui co-conseil, pourrait devenir conseil principal.
. Faux temoignage. La defense de Georges Rutaganda a depose une
requete "afin d'ordonner au procureur d'entreprendre une enquete
relative a un faux temoignage". Cette presomption de faux temoignage
concerne le temoin E dont une partie de l'audience s'etait deroulee a
huis clos. La defense stipule que le temoin, en repondant negativement
a la question "faites-vous l'objet de condamnations criminelles ?",
aurait menti. A l'appui de cette requete, Me Tiphaine Dickson explique
que la reponse du temoin E peut etre mise en doute par "un extrait de
journal qui contiendrait des allegations permettant de mettre
directement en cause l'honnetete du temoin E". En consequence,
l'avocate de Georges Rutaganda demande au Tribunal de produire un acte
d'accusation pour faux temoignage. C'est la seconde fois qu'une telle
requete est deposee sur le bureau du Tribunal. La precedente concerne
l'affaire Akayesu. Deposee le 3 fevrier 1997, aucune decision n'a,
pour l'heure, ete rendue par les juges.
. Affaire Ntagerura. La requete de la defense critiquant l'acte
d'accusation emis a l'encontre d'Andre Ntagerura sera entendue le 8
octobre. Prevue pour le 27 juin dernier, son examen avait ete reporte
une premiere fois, en raison de l'absence de certains juges.
. Comparution initiale. La comparution initiale d'Arsene Shalom
Ntahobali, reportee le 3 septembre dernier, en l'absence de son avocat
Dominique Tricaud, devrait avoir lieu le 16 octobre.
. Violences sexuelles. Le colloque sur les violences sexuelles, prevu
mi-septembre, se tiendra a Arusha du 4 au 6 octobre.
. Salles d'audience. A l'arrache : c'est ainsi que les travaux sur les
salles d'audience se poursuivent, s'achevent, reprennent. La seconde
salle d'audience, necessaire pour la reprise des proces le 29
septembre, devrait etre achevee d'extreme justesse. Simultanement, la
premiere salle - et l'unique jusqu'ici - est en plein reamenagement,
de facon a pouvoir accueillir les "maxi-proces" promis par le
procureur. La salle d'acces au public a ainsi ete reduite, au profit
d'un espace reserve aux avocats de la defense. La encore, ces travaux
doivent imperativement etre acheves pour le 29 de ce mois. Enfin, une
troisieme salle d'audience devrait etre construite a partir du 29
septembre et etre vraisemblablement disponible a l'issue des vacances
judiciaires, prevues de debut decembre a environ mi-janvier.
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