(Intervention conjointe de Anne Losonczy et de Xavier Ruiz-Portella)
En partant (et en nous éloignant) des différentes interventions apparues ces derniers jours sur la crise du P.R., nous avons développé les réflexions suivantes.
1) Le manque de militants (d'où proviennent les grands problèmes économiques) exprime à l'évidence une inadéquation, un décalage, entre, d'un côté, la partie de la société susceptible de donner son appui à une politique comme la nôtre, et, d'un autre côté, la politique du P.R. (c'est-à-dire aussi bien ses objectifs que son "allure", sa façon d'agir et de se comporter). Nul doute que la politique des mass media (leur manque d'information ou leurs mauvaises informations à notre sujet) aggrave la situation, nous rend difficile d'avoir prise sur les gens, de leur offrir une image correcte de nous-mêmes. C'est vrai, mais peut-on prétendre sérieusement que c'est là la cause ESSENTIELLE de nos problèmes?
2) Face á ce décalage, la tentation est grande de se dire: "il nous faut donc nous mettre sur la même longueur d'ondes que les gens, nous mettre à l'unison de la majoritè, nous ne pouvons pas rester un parti d'éternelles minorités" (c'est en un sens la proposition effectuée dans la lettre adressée à Emma). Avec une telle démarche, nous à la fois d'accord et en désaccord.
3) Nous sommes en désaccord, dans la mesure où elle entraîne un risque très dangereux: celui de "vendre notre âme au diable", à ce diable constitué par ce fameux "51%", par la majorité "silencieuse", conformiste et écrasante qui, subrepticement, impose partout sa loi et à laquelle tout se soumet (et c'est normale, cette soumisssion: c'est la loi même de la démocratie!... ce qui constitue, bien sûr, un de ses profonds paradoxes et contradictions). En d'autres mots: si pour obtenir le soutien majoritaire au sein de la société, il nous fallait cesser d'être le parti anti-conformiste, joyeux, révolté. "excentrique" (par rapport aux centres traditionnels du pouvoir), s'il nous fallait devenir un parti aussi respectable, inoffensif et ennuyeux que la plupart, alors peut-être le P.R. finirait par obtenir un appui plus massif qu'à présent... mais dans ce cas, ce serions nous les premiers à quitter un tel parti.
4) Et pourtant, nous sommes d'accord, disions-nous, avec la nécessité (et la possibilité) d'avoir un large écho auprès des gens: sinon auprès de la plupart, du moins auprès de secteurs infiniment plus larges que ceux qui constituent actuellement notre base sociale. Et si pour l'instant nous n'y parvenons pas, la responsabilité n'incombe pas seulement aux gens (à leur apathie, à leur dépolitisation actuelles). La responsabilité incombe aussi au parti. Elle n'incombe pas à notre politique, à nos objectifs, mais à certains défauts dans la FAÇON de la mener à terme. Pour le dire d'un seul mot: c'est parce que nous sommes et devons être toujours un parti EXCENTRIQUE par rapport aux centres traditionnels du pouvoir, c'est justement pour cela que nous ne pouvons nous permettre des EXCENTRICITES et des bouffoneries dans notre action politique. Et malheureusement nous nous les permettons.
Bien entendu, entre les deux sens du mot "excentrique", la frontière est ténue, il est très facile de passer d'un côté à l'autre. Mais il s'agit à tout prix de ne pas le faire. si nous voulons nous défaire vraiment de cette image de "PETITE BANDE DE RIGOLOS (PARFOIS SYMPATHIQUES)" qui nous colle comme une sangsue à la peau. C'est cette image qui rend difficile, entre autres raisons, que nous puissions avoir un plus grand écho parmi les gens. En tout cas, tant que nous n'aurons pas réussi à nous débarrasser de cette image, nous ne pourrons réussir aucune des autres "excentricités": les seules qui vraiment devraient nous importer.
A qui la faute, si le parti jouit d'une image aussi "folklorique"? Aux mass media? De grâce, laissons tomber une fois pour toutes les boucs émissaires! Bien sûr que les mass media sont une des principales causes de cette image "folklorique" du parti: mais ils ne pourraient jamais la causer si nous ne leur en donnions pas l'occasion. Prenons le cas le plus célèbre, le plus retentissant de ces pitreries dont le parti se voit parfois affligé. Prenons le cas d'une certaine Cicciolina. C'est évident que sans les mass media il n'y aurait jamais eu la moindre affaire Cicciolina: celle-ci est en effet un pur produit de la "civilisation (de la barbarie, plutôt) médiatique". Or, si nous n'avions pas lancé ou toléré (que s'est-il passé, au juste?) le phénomène Cicciolina, si nous ne l'avions pas jeté en pâture à la gueule affamée des media, jamais, au grand jamais, ceux-ci n'auraient pu s'emparer de l'affaire et la gonfler de la façon dont ils l'ont gonflée.
Et si l'affaire Cicciolina est la plus fameuse et grave, ce n'est pas non plus le seul cas où des pitres de différentes sortes se permettent d'agir même si c'est à des niveaux plus limités au nom du Parti Radical. Bien entendu, ces pittoresques personnages sont affiliés au parti et personne ne les désavoue, car tout le monde , on le sait bien, peut entrer dans ce parti... et y mener, au nom du parti, une politique contraire à la sienne.
5) Car, pour en revenir à la Cicciolina, le plus grave ce ne sont même pas ses clowneries (dépourvues d'ailleurs de la moindre drôlerie). Le plus grave c'est que tout le comportement du personnage (que les gens identifient au Parti Radical) constitue la négation même de la politique du Parti Radical, du moins en ce qui concerne les mass media. Comme nous l'avons déjà dit, la Cicciolina est un pur phénomène médiatique, une pure création à partir du néant, ce n'est que de l'air gonflé à partir d'une bêtise aussi plate que vide (vide, certes, mains non moins épaisse et gluante). Et c'est justement contre ce type de bêtise médiatique (bêtise qui va bien au-delà de certaines publications, de certains programmes; bêtise qui d'une façon diffuse tend à constituer tout un "esprit" enveloppant de l'époque), c'est contre cela que le parti est ou il devrait être lorsqu'il dénonce les méfaits du "quatrième pouvoir".
6) Nous ne croyons pas nous tromper en disant que le Parti Radical a l'honneur d'être, encore une fois, le seul parti à dénoncer aussi fermement les méfaits des mass media. Mais cette dénonciation est trop courte. Elle ne concerne que les aspects politiques d'une affaire qui constitue en réalité toute une affaire de société (ou même de civilisation).
La seule chose que le Parti Radical dénonce, c'est que les mass media ne lui accordent (ni à lui, ni aux autres forces minoritaires) la place qui leur appartient: dénonciation évidemment juste, mais qui ne peut en rester là. Car, en-dessous du comportement dénoncé, il y a quelque chose d'autre, quelque chose d'infiniment plus essentiel.
Si les moyens de communciation n'accordent pas au P.R. la place qui lui appartient, ce n'est pas parce qu'il est radical, mais parce qu'il est minoritaire. C'est parce que les moyens de communication s'en tiennent à un seul critère: celui de ce qui constitue "l'événement". Et l'événement n'est constitué que par ce qui a ou est censé avoir un écho massif auprès des gens, auprès de cette audience majoritaire à laquelle ils se soumettent servilement, en même temps qu'ils l'engendrent. "Audience majoritaire, massive"... autant dire: esprit conformiste, timoré, indolent. Et aussi: esprit fait de superficialité et de banalité, de sensationnalisme et de vacuité.
C'est là une des principales plaies de notre époque -une plaie d'autant plus insidieuse qu'elle est presque invisible: on dirait que tous nos contemporains l'acceptent sans plus. Et pourtant non. Par-dessous cette acceptation collective et routinière, par-dessous ces vies faites seulement de travail, de loisirs et de consommation, se trouve obscurément le besoin d'une vie plus inquiète, plus vraie, moins ennuyeuse. Savoir exprimer d'abord un tel malaise, et le canaliser ensuite: voilà un des grands défis qui pourraient agrandir, renforcer et "radicaliser" le parti.