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Partito Radicale Centro Radicale - 2 settembre 1994
ONU. EX-YOUGOSLAVIE
RETROUVER LE GOUT DU RISQUE

par Victor-Yves Ghebali

(Le Monde des débats, Août 1994)

Depuis la fin de la guerre froide, le renouveau politique de l'ONU s'est notamment manifesté par le déploiement d'un nombre croissant d'opérations de maintien de la paix visant non plus l'interposition d'une force militaire neutre entre deux Etats, mais souvent la promotion du respect des droits de l'homme, la mise en oeuvre du principe de l'autodétermination des peuples, la supervision d'accords de réconciliation entre un gouvernement et une guérilla ou encore la protection (au besoin par la force) d'une aide humanitaire à des populations plongées dans les affres d'une guerre civile.

Si l'organisation mondiale a eu la main plus ou moins heureuse en Namibie, en Amérique centrale ou au Cambodge, elle a connu des échecs incontestables en Angola, au Sahara occidental, en Somalie, au Rwanda et surtout dans l'ex-Yougoslavie où les grandes puissances lui ont fait jouer un rôle aussi ambigu que pervers.

L'ambiguïté tient au fait que l'ONU n'assure pas seule la gestion du conflit yougoslave, mais de concert avec quatre autres institutions internationales : l'OTAN, la CSCE, l'Union européenne et l'Union de l'Europe occidentale (UEO). La perversité découle de ce que cette gestion (qui combine les techniques du maintien de la paix, des sanctions, de la médiation et de la diplomatie préventive) aboutit à pénaliser les victimes et à rétribuer l'agression sans pour autant garantir la paix.

Le maintien de la paix est l'apanage d'une » Force de protection des Nations unies (FORPRONU) largement dépendante des ressources logistiques et militaires de l'OTAN. La Force joue en fait un rôle soit paradoxal, soit indécent. En Croatie, la présence des » casques bleus a empêché la reprise de la guerre serbo-croate mais à quel prix ? En gelant (comme à Chypre) la situation sur le terrain, elle a permis aux milices serbes de consolider leurs conquêtes territoriales (25 % de la Croatie) en attendant l'intégration de celles-ci au sein de la » Grande Serbie . Le cas de la Bosnie est plus grave. La FORPRONU n'y a pas été déployée en vue de garantir l'intégrité territoriale du pays ou de sauver des populations menacées d'extermination, mais tout simplement pour protéger l'aide humanitaire internationale.

Cette fuite en avant dans l'humanitaire remplit une fonction d'alibi et de compensation : elle permet de créer un obstacle matériel bien réel à l'option militaire (la présence sur le terrain de » casques bleus neutres), tout en tempérant la démission morale des gouvernements européens. Quoi qu'il en soit, de par leur mandat les » casques bleus sont censés être à la fois des bons Samaritains et les spectateurs d'un génocide. Leur neutralité a permis aux Serbes de conquérir effrontément 70 % de la Bosnie avec un cortège de 250 000 morts, de 1 million de réfugiés et de 1 300 000 personnes déplacées. Critiqués, intimidés, et humiliés en permanence par toutes les parties, les » casques bleus ont fini par devenir (à leur corps défendant) les gardiens d'un gigantesque abattoir, les otages des seigneurs de la guerre serbes ainsi que les piteux émissaires d'un Conseil de sécurité ordonnant de temps en temps à l'OTAN de bombarder solennellement des... cibles dépourvues de valeur militaire.

Agissant dans le cadre du chapitre VII de la Charte, le Conseil de sécurité a décrété un embargo sur les armes applicable à toutes les parties du conflit yougoslave et un embargo économique total à l'encontre de la seule Yougoslavie (Serbie-Monténégro). Le respect de ce paquet de sanctions est assuré dans l'Adriatique par l'OTAN et l'UEO agissant de concert et sur le Danube, par le tandem CSCE-Union européenne (avec un certain apport de l'UEO).

L'embargo sur les armes a peut-être servi à limiter l'intensité des combats et à éviter l'intervention unilatérale de pays tiers. En réalité, il a pénalisé des victimes peu et mal équipées et facilité la tâche d'agresseurs disposant des armements lourds de l'ex-armée fédérale yougoslave. Ici, la politique de l'ONU a abouti à priver les Musulmans d'user du

» droit naturel de légitime défense (proclamé à l'art. 51 de la Charte) les condamnant ainsi soit à se battre les mains liées derrière le dos, soit à périr plus vite. Quant à l'embargo économique, il relève à bien des égards de l'illusion. D'abord, les sanctions ne font qu'accabler la population de la mini-Yougoslavie et conférer au régime de Milosevic une légitimité interne renforcée. Ensuite, de telles sanctions (qui imposent aux pays voisins un considérable manque à gagner) sont par définition peu respectées dans un monde régi par la loi du profit. Enfin, lorsqu'elles sont conçues comme une fin en soi, en dehors de toute menace crédible de recours à la force, leur potentiel coercitif (ou même dissuasif) est nul.

Après s'être initialement arrogé (sans succès) le rôle de médiateur exclusif, l'Union européenne a par la suite jugé préférable de partager son fardeau avec l'ONU: d'où la conférence internationale sur l'ex-Yougoslavie: ouverte à Genève en septembre 1992, celle-ci est censée siéger jusqu'au règlement final de l'ensemble des problèmes liés au conflit yougoslave. Les propositions de paix élaborées dans ce cadre (plans Vance-Owen, Stoltenberg-Owen), ou ailleurs (Groupe de contact), ont jusqu'à ce jour été un exercice d'indignité morale dans la mesure où elles visent, d'une manière ou d'une autre, une paix injuste au détriment de la victime. Leur logique est d'entériner les conquêtes territoriales réalisées par la force, de légitimer la formation d'Etats-nations éthiquement » purifiés et, surtout, d'acculer tôt ou tard la Bosnie au suicide pour la simple raison que ni Serbes ni Croates n'acceptent sincèrement l'existence d'une nation bosniaque. Quoi qu'il en soit, l'indignité des formules de »compromis

proposées aux Musulmans est de relever du type de règlement autrefois conçu pour le dépeçage de l'Ethiopie au profit de l'Italie mussolinienne (plan Laval-Hoare, 1936) ou de celui de la Tchécoslovaquie au profit de Hitler (Munich). L'ONU semble avoir cyniquement repris à son compte une célèbre maxime giralducienne de La guerre de Troie n'aura pas lieu : » L'anéantissement d'une nation ne modifie en rien l'avantage de sa position morale internationale..

Depuis la fin de 1992, l'ONU et la CSCE ont entrepris chacune séparément un exercice de diplomatie préventive en Macédoine. A l'aide d'un détachement de la FORPRONU (1 200 hommes dont 300 Américains), la première exerce des fonctions d'alerte avancée et de dissuasion aux frontières et de médiation entre les différents groupes ethniques du pays.

Quoique bienvenu dans son principe ce double dispositif n'offre que des demi-mesures dont la fragilité est patente. D'une part, les quelques avantages liés à la présence de l'ONU et de la CSCE risquent sérieusement d'être réduits à néant par la politique irresponsable de la Grèce dans la région ainsi que par la tiédeur des réactions de l'Union européenne et des Etats-Unis vis-à-vis d'une telle politique. D'autre part, et surtout, les » casques bleus de la FORPRONU ne sont dotés ni d'un mandat fort ni de moyens matériels adéquats : en cas de troubles majeurs d'origine extérieure, leurs instructions (secrètes) leur enjoignent de quitter le territoire au plus vite.

Fondée sur » la myopie, la surdité et le bavardage (Edgar Morin), la gestion multilatérale du conflit yougoslave a jeté le discrédit sur l'ONU, la technique des » casques bleus , l'idéal de la sécurité collective, les valeurs fondamentales de l'Occident, l'avenir d'une » identité européenne en matière de politique étrangère et la crédibilité du leadership américain. A la source de la démission de ce que l'on n'ose plus guère appeler la communauté internationale, il y a que les démocraties libérales ont perdu autant le goût de l'effort que du risque. Devenues ventripotentes, elles ne semblent plus capables de sécréter des hommes d'Etat mais des politiciens obsédés par le très court terme (sondages et élections). Bafouant les principes au nom desquels le communisme avait été endigué et vaincu, elles ont visiblement oublié que la sécurité d'un pays ne se résume pas à la défense d'intérêts étroits d'ordre matériel, de même que la maxime politique selon laquelle la paix ne peut être maintenue que par l

a force militaire et morale. Il est consternant que l'ONU (laquelle avait cru trouver un souffle nouveau avec la fin de la guerre froide) puisse aujourd'hui démontrer, par le biais du rôle pervers qui lui a été imparti dans la gestion du conflit yougoslave, qu'elle reste plus que jamais la somme des impuissances de ses grandes puissances.

Victor-Yves GHEBALI *

* Spécialiste des questions relatives à l'ONU et autres organisations universelles, Victor-Yves Ghebali est aussi un expert des problèmes de la sécurité européenne en particulier de la CSCE. Né en 1942, il est professeur à l'Institut universitaire de hautes études internationales de Genève. Il a notamment publié l'Organisation internationale du travail (Genève, Georg, 1987), la Crise du système des Nations unies (Paris, La Documentation française, 1988) et la Diplomatie de la détente ; la CSCE, d'Helsinki à Vienne, 1973-1989 (Bruxelles, Bruylant, 1989).

Il est aussi directeur, aux Editions Bruylant, de la collection

» Axes et de la collection » Organisation internationale et relations internationales .

 
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