LE TRIBUNAL INTERNATIONAL N'ENTEND JUGER QUE DES CAS "EXEMPLAIRES"

de Alain FRANCO (correspondant à La Haye)

Le Monde, Jeudi 13 octobre 1994

Le procureur du Tribunal pénal international chargé de juger les crimes commis en ex-Yougoslavie, Richard Goldstone, a présenté comme un succès, mardi 11 octobre, sa visite de travail d'une semaine en Serbie, Croatie et Bosnie. Les trois gouvernements, serbe compris, ont "reconnu que des crimes de guerre avaient été commis par toutes les parties et ont souscrit à l'idée de juger les criminels", a-t-il indiqué. Ce soutien déclaré à l'action du Tribunal international varie cependant d'une République à l'autre.

La Bosnie et la Croatie se sont engagés à coopérer sans réserve. Les deux gouvernements ont promis de livrer des suspects et d'ouvrir dans leur capitale une antenne du tribunal. La Serbie, en revanche, n'a pas pris d'engagement: "A ses yeux, un tribunal ad hoc n'ayant compétence que pour l'ex-Yougoslavie est un acte discriminatoire", a rappelé M. Goldstone. Néanmoins, a ajouté le procureur sud-africain "le gouvernement a exprimé le souhait de rester en communication avec mon bureau afin d'établir une coopération."

Le tribunal devrait lancer sous peu ses premières mises en accusation. Cela permettra d'y voir plus clair sur la question du partage des compétences entre les juridictions nationales et l'instance créée par le Conseil de Sécurité de l'ONU. En cas de concurrence, l'organisation internationale donne au tribunal une primauté dans trois cas: lorsqu'une procédure nationale apparaît inadéquate, si une qualification du crime est jugée insuffisante, et lorsque l'affaire traitée au niveau national recoupe un procès en cours à La Haye. En pratique, le tribunal n'aura ni le temps ni surtout la possibilité de tout juger. Le critère fondamental sera donc la valeur "exemplaire et représentative" du cas et la priorité sera donnée aux violations "graves et systématiques" du droit humanitaire international, indique-t-on au siège de La Haye.