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Sartori Claudia - 2 dicembre 1994
DISCOURS DE ANTONIO CASSESE,
PRESIDENT DU TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL

POUR L'EX-YOUGOSLAVIE

A L'ASSEMBLEE GENERALE DES NATIONS UNIES

LE 14 NOVEMBRE 1994

Monsieur le Président,

Je suis très reconnaissant de l'insigne honneur que vous me faites en m'invitant à prendre la parole devant cette Assemblée.

Je ne vais pas, bien entendu, essayer de résumer le Premier Rapport annuel du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (A/49/342; S/1994/1007). Je veux simplement attirer votre attention sur certaines questions concernant la mise en place et le fonctionnement de ce tribunal qui, à mon avis, méritent réflexion.

Monsieur le Président, avec votre permission, je diviserai mon exposé en quatre parties. Après avoir rappelé en quelques mots le caractére unique en son genre de ce tribunal, je mettrai en lumière certains des nombreux et divers problémes qui ont jusqu'à présent gêné la bonne marche du tribunal. Ensuite, après avoir présenté une mise à jour de notre Rapport annuel, je conclurai par un certain nombre de réflexions.

Le caractère original et l'importance décisive du tribunal ne sont plus à démontrer. il est indéniable que nous assistons actuellement à une escalade de la violence à l'échelle nationale et mondiale. Cette escalade n'est pas seulement quantitative. Elle est également qualitative. Autrefois, lorsque des individus ou des Etats commettaient des crimes, ils s'empressaient de les camoufler, ou bien niaient y avoir participé. Ces subtergufes, certes hypocrites, démontraient néanmoins que les individus comme les Etats s'efforcaient de laver leur conscience en affirmant qu'ils n'avaient rien fait de mal. Or, derniérement, ce semblant de bonne conduite n'a même plus cours: les individus comme les Etats ne prennent même plus la peine d'essayer de se couvrir. Ils commettent les pires atrocités sans se soucier d'une condamnation morale et politique de la communauté internationale. Ils massacrent, mutilent, violent et tuent sans même essayer de dissimuler leur forfait.

La nature de la violence a également changé d'un autre point de vue. Les conflits, l'hostilité, les tensions ethniques, raciales et sociales tendent à se radicaliser de facon inqueétante et à ne pouvoir plus s'exprimer que par la violence physique. Nous assistons à la funeste mise à exécution de l'idée selon laquelle l'univers politique tiendrait en deux catégories, ami ou ennemi: soit vous êtes ,m emme,o. et aòprs ke serao sams èotoé. Cette vision manichéenne de la vie et de la société ne laisse aucune place à la compréhension mutuelle, au compromis, au réglement amiable des différends. leprincipe du dialogue, prône par des penseurs tels que Gandhi et Martin Bubr, est foulé aux pieds.

Confrontée à cette dangereuse flambée de violence, la réaction de la communauté internationale -- du moins vis-à-vis d'une première et, aujourd'hui, d'une deuxième zone de conflit: l'ex-Yougoslavie et le Rwanda -- a été radicale: ceux présumés responsables de crimes contre l'humanité seront poursuivis en justice; s'ils son jugés coupables, ils seront sévrèment punis en toute impartielité par un organe véritablement international, sous les yeux de la communauté internationale toute entiére.

Il est évident qu'en créant ces nouvelles institutions, les Nations Unies avaient deux autres objectifs. Tout d'abord, que, grâce à la justice internationale, de nouveaux crimes soient évités. Ensuite que toute personne, que ce soit en ex-Yougoslavie ou au Rwanda, ayant l'intention de nuire à autrui se le tienne pour dit: la communauté internationale lui infligera inexorablement la sanction quìelle mérite.

L'autre mission que ces deux tribunaux sont appelés à remplir est de faire régner un véritable climat de réconciliation une fois que les armes se seront tues. Mêmr après un règlement pacifique, comment un homme peut-il s'empêcher de ourrir des dentiments de haine et de méfiance s'il croit -- même à tort -- qu'un voisin a violé sa femme, a tu» ses entants, a pillé son bien? Comment peut-on empêcher quelqu'un de nourrir une haine instinctive envers un groupe ethnique, avec le risque

que ce ferment ne ranime le conflit, si lemembre du groupe qui a réduit cet homme ou cette femme à néant demeure impuni? La responsabilité collective doit être remplacée par la responsabilité individuelle. Seule la justice internationale peut éliminer les ferments dehaine et de suspicion et éteindre la soif de vengeance.

Si, Monsieur le Président, telle est la raison profonde de l'instauration du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie et dorénavant du tribunal international pour le Rwanda, il est clair que la création de ces institutions, que la communauté internationale a appelée de tous ses voeux, fera date dans l'histoire des relations internationales. Non seulement, les Nations Unies ont établi une formidable tête de pont dans la lutte contre la barbarie mais, de plus, cette position a été consolidée à la prémiere occasion. Le progrès ainsi accompli est indéniable: les règles internationales sur le respect de la dignité de l'homme dans les conflits armés, cette partie du droit qu'un juriste émminent, Sir Hersch Lauterpacht, décrivait en 1952 comme étant "sur le point de fuite du droit international", sont désormais assorties d'une sanction judiciaire internationale. Ces résultats importants permettent de nourrir l'espoir que les Nations Unies créeront un jour une juridiction pénale à caractère permanent

chargée de punir les crimes contre l'humanité, quel que soit l'endroit où ils ont été perpétrés.

Voyons maintenant, Monsieur le Président, mon deuxième point. Il peut s'énoncer ainsi: comment se fait-il que, douze mois après sa création, cette institution novatrice qu'est le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, n'ait encore tenu aucun procès à la Haye?

Pour apporter une réponse à ces questions je voudrais, Monsieur le Président, attirer votre attention sur certaines choses qui peuvent sembler évidentes et qui le sont effectivement mais qu'il ne faut jamais perdre de vue. Pur assurer le bon fonctionnement d'un tribunal pénal international plusieurs conditions doivent être réunies. Une salle d'audience ainsi qu'un lieu sûr où détenir le prévenu en instance de jugement; ils doivent être construits spécialement à cet effet: il est évident d'une salle d'audience nationale ou une prison nationale ne peuvent pas faire l'affaire car alors comment pourrait-on éviter le risque d'ingérence. Il faut par conséquent une salle d'audience internationale et une prison internationale, construites spécialement à cet effet. Il faut également des juges et des procureurs internationaux, ainsi que des greffiers, des spécialistes de l'administration des tribunaux, des sténotypistes judiciaires et autres personnels appropriés. En outre, sont nécessaires des responsables de la

sécuritéchargés de la protection tant des juges et des procureurs que des victimes, des témoins et des défendeurs; sans parler de ceus chargés de garder les personnes ent attente de jugement. Comme vous le voyez, Monsieur le Président, ne serait-ce au'à ce niveau très prosaique, les besoins logistiques d'un tribunal pénal international sont nombreux et divers et sensiblement différents de ceux que requiert la mise en place de l'un quelconque des divers organismes administratifs des Nations Unies. Et tout aussi important: ils coûtent cher et exigent des crédits budgétaires appropriés.

Pour illustrer la façon dont le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie a abordé ces problèmes très divers, j'aimerais faire un parallèle avec l'exemple notoire le plus important: le Tribunal militaire international de Nuremberg. Nuremberg, qui se trouvait dans la zone d'occupation américaine, a été choisi parce qu'il possédait un Palais de justice relativement peu touché par la guerre et une vaste prison adjiacente. Les installations de base étaient donc disponibles et les travaux d'aménagement et d'agradissement de la salle d'audience furent rapidement accomplis par les forces d'occupation américaines. Le gros des ressources logistiques a été fourni par l'armée des quatre puissances victorieuses, et notamment par l'ìarmée américaine. Pour reprendre les termes d'un spécialiste en la matiére, Telford Taylor, l'armée américaine a non seulement choisi et remis en état les leux mais "a amené les prévenus et les témoins à Nuremberg et a assuré leur garde et leur sauvegarde; a gourni le matériel d

e reproduction, d'enregistrement et de communication pour le personnel judiciaire et la presse et une grande partie des services administratifs et du personnel de secrétariat (...); (elle a également) assuré la sécurité globale". Chaque fois que des enquêteurs, des sténotypistes judiciaires et autres personnels étaient nécessaires, le Tribunal de Nuremberg puisait dans les gigantesques ressources de l'une des armées d'occupation, en particulier l'armée américaine, et le problème était réglé avec la rapidité et l?efficacité propres aux militaires. C'est grâce au Général Eisenhower que le Tribunal a obtenu son "Secrétaire Général " (que nous appelons ici "Greffier") ainsi que l'autorisation de rémunéer les avocats de la défense. Les armées d'occupation se sont chargées également de l'arrestation de tous les défendeurs connus et les ont amenés à Nuremberg. le procés a pu ainsi commencer sans délai: à peine trois mois et dmei aprés l'adoption du Statut du Tribunal.

Il etnva tout autrement pour le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie. Il s'agit d'une institution véritablement internationale; c?est l'espression de la communauté mondiale toute entiére, non pas le bras de quatre puissances victorieuses. Notre Tribunal ne pouvait donc compter que sur les ressources mises à disposition par cette Organisation mondiale. Monsieur le Président, je ne vais pas faire le tour de tous les problèmes logistiques, financiers et autres dn a souffert la mise en route de ce Tribunal. Ces problèmes sont exposés en détail dans notre Rapport annuel. J'attirerai néanmoins votre attention sur trois d'entre eux.

Tout d'abord, pendant plusieurs mois après l'institution du Tribunal, l'absence d'un budget attitrè ne permettait pas de consturire une salle d'audience. C'est la raison pour laquelle nous ne disposons aujourd'hui que d'une seule salle d'audience (alors que trois son nécessaires), douze mois après la mise en place du Tribunal. Il en va de même pour la construction d'une unité spéciale

de détention sous le contrôle et l'autorité des Nations Unies à la Haye: malgré les efforts sans relâche de tous les participants, cette unité ne fut prête que onze mois après la mise sur pied du Tribunal.

Plus gfaves ont été les problèmes liès à l'absence d'un procureur. Ce fut pendant plusieurs mois un facteur réel d'inquiétude car en vertu de notre Statut aucune procédure pénale ne peut être engagée sans une mise en accusation du Procureur: en termes clairs, la clé de l'action du Tribunal se trouve entre les mains du Procureur. Comme vous le savez, Monsieur le Président, le procureur nommé par le Conseil de sécurité en octobre 1993 a retardé sa date d'entrée en fonctions pour terminer le mandat qu'il remplissait dans son pays d'origine; puis, en février 1994, alors qu'il devait prendre ses fonctions, il demissionna pour raisons personnelles. Jusqu'en juillet 1994, soit huit mois après la création de Tribunal, le Conseil de sécurité ne parvint pas à se mettre d'accord sur la nomination d'un autre Procureur. Le Procureur actuel, Monsieur Richard Goldstone, a pris ses fonctions le 15 août de cette année, soit huit mois et demi aprés le début des travaux du Tribunal. Jusque là, le Procureur adjoint, malgré

tous ses efforts et une activité sans relâche, n'avait aucun pouvoir légal -- selon l'opinion dominante -- ne serait-ce que pour ouvrir des enquêtes, et encore moins des poursuites. De plus, pendant des mois, le procureur adjoint était seul: pendant des mois le bureau du procureur se résumait à un procureur adjoint et une secrétaire.

Outre ces deux rels handicaps, je voudrais souligner un troisième problème fondamental auquel se heurte notre Tribunal. Ce problème ne tient pas aux restrictions financières ou logistiques mais est inhérent à la conduite des procédures pénales internationales. Il peut être utile, Monsieur le Président, pour mieux comprendre cette difficulté de comparer brièvement notre procédure pénale avec ce qui se passe en temps normal dans une affaire criminelle au niveau national, d'une part, et avec la façon dont les organismes internationaux recueillent habituellement des informations sur des violations graves du droit international, d'autre part. Voyons tout d'abord les enquêtes pénales menées au niveau national.

Prenons le cas d'un meurtre, soit le crime le plus procede ceux relevant de la compétence de notre Tribunal international. Dans le cadre dun pays, lorsqu'un crime est commis il y a généralement une seule victime et un seul auteur de l'infraction. La police, composée d'enquêter sur le champ, dans la zone même où le delit a été commis. En principe, les témoins ne sont pas loin du théâtre du meurtre et des preuves matérielles telles que armes, tâches de sang et autres peuvent être facilement recueillies. En cas de documents ou autre élément de preuve écrit, ils son rédigés dans la langue des enquêteurs. En outre, les policiers son guidés par des règles légales claires et une jurisprudence bien établie. Je mentionnerai deux autres avantages, qui ont aussi leur importance: cinq à dix enquêteurs environ sont chargés de l'enquête qui peut durer, en moyenne, plusieurs mois; par ailleurs, dès qu'un suspect est identifié, il est arrêté par la police, qui peut alors poursuivre son enquête et recueillir des preuves

sans crainte de voir le prévenu s'échapper.

Voilà, pour la plupart des pays, ce uqi se passe au niveau national. Voyons maintenant ce uqi se passe au niveau international et, notamment, dans le cadre de notre Tribunal à la Haye. Là les choses sont assez différentes. Tout d'abord, la scène du crime est en général loin du siège des enquêteurs, et généralement inaccessible - ou tout du moins pas immédiatement accessible. En deuxième lieu, les crimes font souvent intervenir des douzaines de victimes et un très grand nombre de coupables. Troisiémement, les enquêteurs à leur arrivée ne disposent pour ainsi dire d'aucune constatation médico-

légale. Les enquêteurs, la plupart du temps, ne disposeront pas du corps de la victime, et prouver un meurtre sans un corps est une entreprise trés complexe et de longue haleine. En outre, les parents des victimes ne gardent pas en général, ou ne sont pas en mesure de garder, la preuve extérieure du crime invoqué. Quant aux témoins, becaoup son morts; on ingore où se trouvent les autres; certains son disséminés dans plusieurs pays. Il est donc difficile pour les enquêteurs de retrouver leur trace; ceux qu'ils retrouvent sont souvent traumatisés, terrorisés ou désabusés; lorsqu'ils sont prêts à témoigner, ils parlent une autre langue que celle des enquêteurs; un interprète est donc nécessaire, ce qui complique encore l'interrogatoire (ainsi que la suite de la proc

édure). Quatrièmement, plusieurs Etats son en général impliqués dans les enquêtes: les victimes auron fui dans différents pays tandis que les témoins se seront réfugiés dans d'autres. Chaque Etat ayant ses propres lois et sa proprie administration, notre Procureur a besoin d'entrer en contact avec un grand nombre d'Etats différents et d'obtenir leur coopération. Cinquièmement, se posent souvent des problèmes de juridiction. Notre Procureur ne peut pas se contenter de vérifier qu'un meurtre a été commis et, si c'est le cas, par qui: il doit s'assurer que le meurtre en question reléve bien de la juridiction du Tribunal: violations raves des Conventions de Genève, génocide etc. A cette fin, il est souvent nécessaire d'examiner toute une série d'événements ou de relations: par exemple, remonter la voie hiérarchique ou établir s'il s'agit d'une lighe de conduite adoptée délibérément par un groupe de personnes. En outre, il se peut que le droit international applicable soit incertain ou peu précis ou, tout du moin

s, bien moins élaboré et clair qu'une loi nationale ou, un recueil entier de jurisprudence. Sixièmement, et d'une importance capitale, notre Procureur n'a aucun pouvoir immédiat d'arrestation, de prequisition ou de saisie. Pour ce faire, il doit s'adresser aux autorités nationales. Toutefois, avant de requérir l'arrestation, la perquisition ou la saisie, il doit prouver qu'au vu des présomptions et des preuves le suspect peut raisonnablement ètre accusè du crime. Il en résulte que le Procureur ne peut pas faire le nécessaire pour l'arrestation du suspect et ensuite recueillir les éléments de preuve nécessaires. Tant s'en faut: il doit en premier réunir la preuve incontestable et c'est seulement au terme de ce long processus qu'il peut, par l'intermédiaire de l'un de nos juges demander que les autoritès nationales arrètent le suspect.

Monsieur le Président, toutes ces difficultés inhérentes aux enquêtes pénales internationales sont aggravées par un fait marquant: notre Tribunal actuellement compte environ vingt enquêteurs pour tous les crimes qui sont de son ressort. En d'autres termes, il dispose du nombre d'enquêteurs normalement utilisés au niveau national pour deux ou trois meurtres seulement. Cela, je pense, en dit long sur les énormes problèmes auxquels nous sommes confrontés.

Passons maintenant à la comparaison entre l'enquête et les poursuites péneales de notre Tribunal et la façon dont les autres organismes internationaux rassemblent des informations sur des violations graves des normes internationales. Cette comparaison est d'autant plus utile que nombre de commentateurs se sont demandées pourquoi, vu l'abondance des documents existant sur les crimes allégués dans l'ex-Yougoslavie -- rapports de presse, rapports de Gouvernements et d'ONG ainsi que le travail remarquable accompli par la Commission des Experts nommée par le Conseil de sécurité -- pourquoi, au vu de tous ces matériaux, le Procureur n'a-t-il pas rendu des actes d'accusation immédiatement après son entrée en fonctions. Le problème, Monsieur le Président, est que ces rapports sont loin de constituer des pièces à conviction valables devant les tribunaux. Notre Procureur a pour mission de produire "des preuves crédibles pour prouver des événements incroyables". Cette mission est fondamentalement différente de cel

les des autres organismes à qui il est simplement demandé de rassembler desinformations et qui, la plupart du temps, ne font pas une grande différence entrela preuve directe et celle par personne interposée. s'ils interrogent des témoins, ils n'ont en général pas le temps ou les moyens de revérifier les déclarations pour s'assurer de leur fiabilité; de plus, la plupart du temps, ils n'essaient pas d'identifier, encore moins de retrouver la trace des auteurs éventuels des crimes, tout simplement parce que cela n'entre pas dans leurs attributions ou parce qu'ils ne disposent pas des ressources nécesaires.

Inutile de dire que les méthodes et les règles en vigueru au Bureau du Procureur doivent nécessairement être différentes. Prenons encore un exemple. Supposons que le représentant d'une ONG découvre une cinquantaine de corps dans le dépôt mortuaire d'un village habité par un groupe ethnique donné; il constate que tous ont été tués par un pilonnage d'artillerie; de plus, il apprend par un habitant du même village que la veille un groupe de militaires appartenant à une armée ennemie stationnéè dans la région a attaqué le village. Dans ce cas, le représentant de l'ONG est en droit de conclure qu'un massacre de civils a été perpétré par cette armée. Notre Procureur, quant à lui, doit entreprendre des enquêtes beaucoup plus détaillées et complexes. IL doit prouver que la mort a été réellement causée par le pilonnage d'artillerie et non par une autre explosion ou fusillade; il doit s'assurer que toutes les victimes ont été tuées lors de ce même pilonnage, qu'elles sont toutes mortes en conséquence de ce seul m

assacre; il doit vérifier s'il s'agissait de combattants ou de simples civils, et si un objectif militaire se trouvait près de l'endroit où ils massacre, remonter la voie hiérarchique, établir si, oui ou non, l'ordre a été donné d'ouvrir le feu sur le village et ainsi de suite. Il incombe également au procureur d'établir la culpabilité témoins ayant trait à l'affaire, non seulement ceux impliquant les suspects dans l'exécution du crime allégué mais aussi ceux susceptibles de les innocenter. Sans oublier que dans tous ces actes, le procureur doit respecter scrupuleusement un ensemble de règles (notre Règlement de procédure et de preuve); en particulier, il est rigoureusement tenu de respecter des règles strictes relatives aux droits des victimes, des témoins et des suspects. Comme vous voyez, la mission du Procureur est réellement différente et plus exigeante que celle des organisations à qui il est uniquement demandé de recueillir des informations et de préparer des rapports.

Je reconnais, Monsieur le Président, que ce tableau est un peusombre: J'insisterai néanmoins sur un point important: il ne faut surtout pas en conclure d'après ces difficultés que les problèmes liés aux poursuites pénales engangéees devant un tribunal international doivent décourager tout recours aux instances pénales internationales. Loin de là! Les obstacles d'ordre matérial et légal qui gênent le bon fonctionnement rapid de tels tribunaux sont de peu de poids face à l'intérêt supérieur de la justice pénale internationale: en effet dans des cas de violations graves at à grande échelle des normes internationales en matiére de droits de l'homme, notamment lorsque ces violations surviennent en temps de conflit armé, la justice internationale peut garantir une indépendance et une objectivité absolue ainsi qu'une bonne application de ces normes. Bien souvent les instances nationales de l'Etat au des Etats aù se sont produits ces crimes ne sont pas en mesure de rendre une justice inpartiale, à l'abri de tou

s sentiments ou d'enjeux politiques, et les instances judiciaires d'autres Etats n'ont pas forcément juridiction en la matiére. C'est pourquoi la justice internationale devient indispensable, etce d'autant plus que les crimes dont il est question sont si horribles qu'ils concernent la communauté

internationale toute entiére. C'est vrai, la mise en place d'une justice internationalese heurte à de nombreux problémes pratiques. Seules la patience, la persévérance et la volonté résolue de surmonter toutes les difficultés présentes et à venir nous aideront das cette voie.

Et j'en veux pour preuve, Monsieur le Président, ce qui se passe avec notre Tribunal pour l'ex-Yougoslavie. Malgré les divers problémes que je viens d'évoquer, l'action du Tribunal, certes ralentie, n'a pas été bloquée. Nous avons lutté le soleil dans les yeux, mais nous avons gagné. Sans attendre que toutes les mesures financiéres et matérielles soient prises à New York, les juges du Tribunal n'ont hésisté une seconde à entreprendre résolument toutes les activités qui étaient de son ressort. Ils ont ainsi préparé le terrain pour l'ouverture de procédures pénales. La rédactionet l'adoption rapide d'un mini-code de procédure pénale internationale (Le Réglament de procédure et de preuve), du Réglament de détention, régissant la détention des prévenus sous la garde du Tribunal dans l'attente de jugement, et de la Directive relative à la commission d'office de conseil de la défense (qui a été promulguée en bonne et due forme per le Greffier) en sont des preuves suffisantes. Ces trois corps de régles juridiq

ues sont véritablement sans précédent dans la communauté internationale: vu le peu de point commun entre notre tribunal et ceux de Nuremberg et de Tokyo, nous ne savions pas trés bien où nous allions. Je veux souligner à cet égard le caractére inédit de notre Règlement de procédure et de preuve. Souvent nous avons dû créer des procédures nouvelles ou élaborer notre propre définition de concepts et de procédure. Nous nous sommes inspirés pour ce faire de plusieurs principes fondamentaux qui sous-tendent à la fois les règles des Nations Unies sur les droits de l'homme et les grands systèmes juridiques du monde. Ainsi, en dépit de défauts et de lacunes auxquels nous remédierons en temps voulu, nous pensons être parvenus à tirer l'essentiel tout en combinant les aspects les plus évolués des divers systèmes juridiques, dans le cadre général du principe du "procès équitable".

Les trois corps de règles que je viens de citer rendent désormais possible l'ouverture des procès, aussitôt réunies les conditions matérielles et légales nécessaires.

Monsieur le Prèsident, l'une des plus importantes de ces conditions -- pour ne pas dire la plus inportante -- est le dépôt d'un acte d'accusation par le Procureur et sa confirmation ou son rejet par un juge du Tribunal. C'est un aspect fondamental dont je veux faire état devant l'Assembléè Générale -- et cela va constituer mon troisième point: la mise à jour de notre Premier Rapport annual.

Actuellement, en dépit de tous les retards auxquels il a été confronté, le Bureau du Procureur a ouvert des enquètes dans le cadre de douze dossiers différents faisant intervenir de nonombreux suspects. Nombre de ces enquêtes demanderont peut-être d'interroger plus de cent victimes ou témoins, dont-être soixante seront appelés à comparaître dans chaque procés.

Ces enuétes su Bureau du Procureur out déjà donné des résultats importants. En octobre, le Procureur a saisi le Greffier d'une demande de dessaisissement en faveur de notre Tribunal d'une affaire importante en instance devant les autorités allemandes. Il s'agit d'une affaire dont les chefs d'accusation incluent le génocide, l'épuration ethnique, la torture, le viol et le meurtre de civils et de prisonniers de querre. La semaine derniére une Chambre de première instance s'est réunie à La Haye pour examiner la domande ainsi que les déclarations faites par le gouvernament allemand et l'avocat de la défense qui avaint été autorisés à comparaître en qualité de amicus curiae. La Chambre de première instance a fait droit à la requéte du Procureur et a demandé à l'Allemagne de remettre l'affaire au Tribunal international. Monsieur le Président, cette première audience publique rend enfin notre Tribunal international visible aux yeux des parties concernées et du monde entier. D'une certaine façon, elle a non se

ulement marqué la naissance publique de notre Tribunal, mais elle a aussi fait taire, du moins en partie, le scepticisme si souvent exprimé.

En outre, début novembre, le Procureur a rendu un acte d'ccusation avec des chefs d'accusation de violations graves des Conventions de Genève et de crimes l'humanité. Ces acte d'accusation a déjà été confirmé par le Juge compétent et rendu public. Ce juge a également délivré deux mandats d'arrêt adressés aux autorités nationales concernées. D'autres actes d'accusation suivront.

Il est donc évident que les difficultés initialses ont été surmontées et que les travaux du Tribunal progressent de plus en plus vite. Si -- comme je l'espère ardemment -- cette Assemblée soutient nos efforts et approuve les propositions budgétaires soumises par le Secrétaire général, l'année 1995 sera cruciale. Nous prévoyons que, à partir de mars 1995, le Tribunal siégera de facon permanente durant toute l'année. Les deux Chambres de première instance et la Chambre d'appel, n'ayant à leur disposition qu'une seule salle d'audience, tiendront en alternance des audiences le matin et l'après-midi.

Mousieur le President, je terminerai mon intervention par qualques réflexions - mon quatrieème et dernier point.

Nous sommes bien entendu conscients, à La Haye, des limites du rôle de notre Tribunal. la guerre, cette "lèpre de l'âme humaine", et toutes les autres formes de violence armée sont difficiles à enrayer. L'amère constation en a déjà été faite en 1932 -- alors que la deuxième querre mondiale était dangereusement proche -- par deux grands hommes: Albert Einstein et Sigmund Freud. En effet, sur le conseil de la Société des Nations et de son Institut international de coopération intellectuelle, Einstein avait invité Freud pour tenter d'apporter une réponse à la question fondamentale de savoir s'il existait un moyen quelconque de délivrer l'humanité de la menace de querre: notamment, qu'est ce qui pousse l'homme à tuer et à donner la mort, pourquoi tant d'hommes sont-ils mus par un "instinct aussi sauvage" qui les porte à massacrer d'autres êtres humains? Freud, dans sa réponse, fit observer qu'il y avait peu de chance que nous soyons capables de supprimer "les tendances agressives de l'homme"; tout ce que no

us pouvions faire était de canaliser l'instinct destructeur de l'homme "dans d'autres vois que celle de la guerre" et de recourir à quelques expédients qui peuvent éventuellement, du moins en partie, endiguer ces tendances agressives -- ce que nous pourrions appeler "mesures palliatives". Je pense, Monsieur le Président, que notre tribunal peut être vu comme l'un de ces palliatifs.

Nous, les membres du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougostavie, sommes pleinement conscients que les décisions que nous rendront ne pourront pas tarir les sources empoisonnées de la haine raciale, nationale ou religieuse. Nous savons également, par ailleurs, que ce Tribunal a été créé pour signifier que la communauté internationale ne restera pas les bras croisés, impassible ou résignée, pendant que des actes de barbarie sont commis, imperturbable et indifférente à ce qui se passe uniquament parce que cela se passe, pour la plupart d'entre nous, dans un pays lointain, l'ex-Yougoslavie. Vous tous, réunis dans cette Asseblée, ainsi que le Conseil de cécurité, avez décidé que le massacre, le viol, l'épuration ethnique, le meurtre de civils, concernent chacun d'entre nous, quelle que soit notre nationalité et l'endroit où nous vivons. Cela concerne chacun d'entre nous car tous ces actes mettent en péril les grand principes de la civilisation consacrés per les régles juridiques internationales proté

geant la dignité de la personne humaine.

Mes derniers mots vous sont destinés, représentants des Etats réunis ici aujourd'hui. Ce Tribunal n'aurait pu accomplir le moindre progrés sans votre soutien. Certains d'entre vous nous ont soutenus en faisant des dons au Fonds d'affectation spéciale sous forme d'argent, de matériel, de personnel, etc. Je vous en remercie du fond du coeur et vous assure que le moindre centime sera utilisé à bon escient. Je voudrais aussi remercier le royaume des Pays-Bas, dont l'hospitalité paraît sans limite, ainsi que les organisations non-gouvernementales. Nombre d'ONG nous ont assistés dans notre mission avec beaucoup de compétence, et j'espére qu'un nombre croissant d'entre elles feront de mème à mesure que nos besoins deviendront plus évidents aux yeux du monde. Plus particulièrement, je dois demander à tous les Etats de continuer à nous appuyer généreusement, tant par des contributions individuelles que par un soutien global à notre budget, qui est de nouveau soumis à cette Assembée.

Monsieur le Président, la mission que les Nations Unies nous a confiée est très lourde, A la veille du 50ème anniversaire des Nations Unies, vous avez décidé que cette organisation doit élargir son arsenal de moyens pacifiques pour y ajouter le recours à la justice pénale internationale, comme réponse légale à la force et à la violence. Tous ceux qui travaillent pour le compte du Tribunal sont coscients de l'immense responsabilité qu'ils ont endossée. Tous s'engangent à consacrer tous leurs efforts et leurs talents à replir la mission du Tribunal. Ils espèrent ainsi contribuer modestament à soulager l'angoisse et la douleur de tous ceux qui continuent à souffrir, en ce moment même ou nous parlons, en ex-Yougoslavie.

 
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