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Partito Radicale Centro Radicale - 5 dicembre 1994
Ex-Yougoslavie

LES DANGERS DU JOURNALISME VIRTUEL

par Jean-Louis Fournel

(Libération, 5-12-1994)

Si la situation intérieure bosniaque n'est pas rose, elle est loin d'être uniformément noire, et un bref voyage à Sarajevo - si partielle que puisse être la vision qu'il permet - peut inciter à s'interroger sur une opinion qui, depuis deux mois, court d'une façon insistante dans la presse française. En effet, une espèce de nouvelle 'doxa' fonde de savantes analyses de salon: la Bosnie, dit-on plus ou moins ouvertement évoluerait inexorablement vers une république islamique.

Or le moins que l'on puisse dire est qu'il est bien difficile de discerner à Sarajevo les signes extérieurs d'une telle évolution : l'habillement, le comportement, les habitudes alimentaires ou les conversations sont ceux de n'importe quelle ville de l'Europe centrale ou balkanique, si ce n'est que celle-ci est en guerre et subit le siège le plus long de l'histoire contemporaine depuis celui de Leningrad. Par ailleurs, ce qui est plus important et plus significatif, il est possible d'affirmer qu'à Sarajevo existent des forces politiques indépendantes se réclamant d'une tout autre tradition, s'inscrivant dans un tout autre projet culturel ou politique, et - surtout - qui sont pourvues d'une réelle capacité de mobilisation. C'est le cas notamment de certaines radios: un des membres du Cercle 99 a pu ainsi dire sans hésiter que l'influence de la radio studio 99 a largement contribué à éviter qu'à Sarajevo il n'y ait, au début du conflit, selon ses propres termes, une "Saint-Barthélemy centre les Serbes".

La preuve manifeste la plus récente de cette volonté d'agir et de défendre des positions multiculturelles est constituée par la "déclaration de citoyens" lancée par le Cercle 99 pour défendre Sarajevo "ville libre et unie". Après trente mois de guerre, avec son cortège de massacres, de souffrances et d'espoirs déçus, a été rédigée une brève déclaration, amendée et approuvée, après consultation, par les principales associations professionnelles ou religieuses de la ville. Cet appel de simples "citoyens de Sarajevo" énonce dans un texte dont la clarté et la sobriété font la force politique ce qui n'est pas négociable quoi qu'il arrive. On y rappelle que la division de la ville, et celle de la Bosnie, sont radicalement contraires à l'histoire et à la volonté de l'immense majorité des habitants. On y souligne aussi que le retour des expulsés dans leurs foyers et la poursuite de » tous les crimes de guerre sont un impératif absolu pour briser le cercle de la vengeance et restaurer la confiance mutuelle. On y pr

oclame enfin que la Charte de l'ONU et la Déclaration universelle des droits de l'homme peuvent être les fondements sur lesquels s'édifiera une société tolérante et démocratique. Or, sur ce petit texte ont été recueillies au moins cent cinquante mille signatures depuis le 1er octobre (1)...

Il reste vrai que la poursuite de la guerre et, surtout, les déplacements massifs de population "musulmane" des campagnes vers les villes sont des facteurs de déstabilisation et qu'il peut en découler des formes de radicalisation nationalistes ou "fondamentalistes". Pourtant, le danger n'est pas un "intégrisme à l'iranienne" (pour reprendre l'épouvantail agité d'ordinaire dans les conversations): on ne voit pas très bien en effet sur quelle base sociale celui-ci s'appuierait. (...)

Le "journalisme virtuel" qui fait fureur en ce moment a les mêmes défauts que l'histoire virtuelle défendue par certains. Il délaisse les événements avec leurs faits et leurs dynamiques complexes pour des hypothèses interprétatives univoques. La préférence y est donnée aux séries de notations, souvent indiscutables mais fragmentées et lacunaires, qui vont toutes dans le même sens. Les faisceaux d'observations contradictoires qui démentiraient l'hypothèse initiale sont délaissés. La logique et le ressort de telles opérations pourraient bien dès lors résider dans leur destinataire (à savoir le public français): on lui dit ce qu'il veut entendre, on flatte ses phobies et, en parlant des foulards islamiques des paysannes du Sanjak on lorgne du côté de ceux des lycéennes de la région parisienne ou de la banlieue lilloise.

Le soupçon vient dès lors que l'hypothèse catastrophique (quelles que soient la sincérité éventuelle et les légitimes perplexités de ceux qui la formulent) peut mettre en marche un processus de déculpabilisation collective et s'avère une délivrance fort utile pour ceux qui nous gouvernent, parce qu'elle justifie a posteriori l'inaction et le refus de choisir grâce à un superbe et terrible paralogisme: "on n'a rien fait, donc on ne pouvait rien faire" - la conséquence étant bien sûr qu'il est exclu maintenant de faire quoi que ce soit. Ce que l'on pourrait encore formuler en ces termes: "C'était déjà réglé au départ, donc ça l'est encore plus aujourd'hui."

S'interroger, comme le Nouvel Observateur de la première semaine de novembre, pour savoir si "les imams ont gagné" c'est moins une mise en garde de l'opinion contre un danger potentiel qu'une conclusion hâtive. ( ...) Il faut espérer que le pessimisme souvent cynique des esprits forts, ou celui plus respectable des militants déçus par l'histoire, ne devienne pas le seul substitut possible des convictions de naguère. De même, il n'y a pas, et il ne peut pas y avoir, d'idéaliste "rêve bosniaque" (...). Il y a, en revanche, dans les faits, une société plurielle et contradictoire qui à la fois souffre et s'enrichit de cette complexité et de cette diversité.

Quiconque part d'une idée magnifiée de la Bosnie est

nécessairement déçu par la réalité. Pourquoi attendre des Bosniaques qu'ils soient meilleurs que nous ne le sommes? Le seul "rêve" bosniaque, c'est celui de la paix, d'une paix qui ne soit pas celle de la haine et de la division selon des critères nationalistes et racistes. De fait, selon les termes d'une de nos interlocutrices de Sarajevo: "Nous n'avions pas assez d'imagination pour penser cette guerre."

Dès lors, si on veut absolument parler avec des catégories, il faut parler de » cas , d'un cas qui prend valeur d'exemple (au sens le plus empirique et le moins idéaliste de ce mot) et d'avertissement plus que de modèle, exemple de ce qui pourrait arriver ailleurs en Europe si on laisse se perpétuer l'inacceptable. C'est peut-être pour cela que l'action humanitaire, si précieuse soit-elle, ne peut tenir lieu de

position politique, et pour cela qu'en soutenant, avec vigilance mais fermeté, les forces démocratiques bosniaques on ne fait pas oeuvre d'idéaliste ou de philantrope mais, simplement et modestement, de citoyen.

* Jean-Louis Fournel est maître de conférences au département d'études italiennes de l'université Paris-VIII - Vincennes-Saint-Denis.

(1) Les signatures seront envoyées le 10 décembre prochain au secrétaire général de l'ONU, à l'occasion de la journée internationale des droits de l'homme.

 
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