ETHNIE, QUAND TU NOUS TIENS!

par Alain Guédon *

(Libération, 5-12-1994)

De l'Europe des tribus d'il y a un peu plus d'un an, à la "reconnaissance des droits des différents peuples" de la déclaration commune Élysée-Matignon aujourd'hui, on doit reconnaître à M. Mitterrand une admirable constance.

Car ces formules invoquent une supposée haine ethnique pour justifier l'"impuissance" d'une "communauté internationale" désincarnée, donc incapable et dépourvue de "volonté politique". Trois termes entre guillemets, utilisés couramment pour masquer en fait une véritable volonté politique, celle qui vise à revenir au monde des nations, où les relations sont fondées sur les rapports d'intérêt et de domination, plutôt que celle des grands ensembles, qui cherchent à introduire le droit et la coopération comme fondement.

(...) On peut penser qu'après tout, ce principe unificateur en vaut bien un autre. En fait, évidemment, il s'agit plutôt d'un principe de séparation, même sans aller jusqu'à la sinistre "épuration ethnique" nommée par Karadjic lui-même, faut-il le rappeler. Car il ne s'agit pas tant d'unifier les peuples que de marquer leurs différences. Signe d'une postmodernité triomphante, qui nie l'Autre pour mieux affirmer sa propre identité, et que nous pratiquons tous à des degrés divers, ici, chez nous.

Car le mouvement est analogue, et lié, entre ces coupures ethniques acceptées parce que supposées naturelles, et la rupture du lien social que nous vivons tous avec accablement.

(...). M. Mitterrand est la caricature de l'Individu, du sujet qui construit sa propre morale, et le revendique, en y intégrant successivement Vichy, la répression en Algérie, le socialisme, la République, son omnipotence antidémocratique, Pelat puis Tapie, la Bosnie et le Rwanda. Même son langage est emblématique de l'Individu suprême, non pas destiné à donner du sens au monde, mais à masquer les antagonismes fondamentaux de ces différentes faces.

La génération Mitterrand a un bien triste modèle, et doit vivre avec de bien tristes résultats: 250.000 morts en Bosnie, 500.000 morts au Rwanda, une exclusion devenue galopante, la déconsidération du politique, la déconstruction de l'idée européenne. (...)

* Alain Guédon est président du Collectif de Paris contre la

purification ethnique