EUROPE MORTE ET ENTERREE

par Albert Sebag *

(Libération, 5-12-1994)

Comment regretter ce "non" norvégien? il n'est qu'un pied de nez fortuit à cette Europe diaphane et désarticulée que l'on n'a guère envie d'épouser tant ses appas sont lâches et repoussants. Comment désirer appartenir à ce club de capitulards qui se réunit à l'heure du thé et organise un concours de moues quand d'autres tentent désespérément de défendre sous les obus ce qui leur reste encore de liberté. Comment ne pas vouloir incendier cet étendard maastrichtien qui bientôt servira de linceul aux derniers combattants bosniaques. Faudra-t-il que nous reprenions la rue et que nous jouions du Molotov pour que nos démocraties consentent à intervenir en mettant un terme à cette boucherie?

"Nous nous briserons mais nous ne plierons pas" clament les femmes algériennes. Ce cri est repris par la résistance de Sarajevo assiégée depuis plus de neuf cents jours. Combien faudra-t-il encore d'assassinats, d'humiliations et de tortures pour qu'enfin nos édiles fassent donner le canon?

Tenter coûte que coûte de parvenir à la paix ? Pieuse intention quand le napalm ne répond pas aux traités et la morgue à l'effort d'apaisement. L'aube qui se lève est tragique et nous renvoie à d'autres crépuscules. Hitler hier. Milosevic aujourd'hui. Jirinowski demain?

Les professionnels de la démission souriront de ces apparentements. Ils ont déjà souillé leur honneur. Ils n'ont encore que quelques semaines pour ne pas perdre leur âme.

L'Europe est morte à Sarajevo. Elle est enterrée à Bihac.

* Albert Sebag est membre du comité de rédaction de la Règle du jeu.