BOSNIE LES LIMITES DE LA FORCE DE REACTION RAPIDE
Pour briser le siège de Sarajevo, il faudra négocier avec les Serbes
par Patrick Sabatier
(libération, 8-9/07/1995)
Quand elle a été crée la Force de Réaction rapide
(FRR) avait été présentée comme le symbole d'une nouvelle détermination occidentale à riposter aux agressions et humiliations des Serbes, à remédier à l'impuissance des Nations unies et à briser le siège de Sarajevo. Elle est aujourd'hui ramenée à des ambitions beaucoup plus modestes, si on en croit les explications recueillies sous le sceau de l'anonymat dans les milieux dirigeants français, civils comme militaires. s'agit avant tout d'affichage politique, de montrer que Sarajevo peut être ravitaillé.. Le but de la FRR n'est pas de régler les problèmes par la voie des armes, mais uniquement de permettre à la Forpronu de remplir sa tâche humanitaire, explique à Paris un responsable de la défense, qui compare la Bosnie à une banlieue à problèmes de l'Europe, la Forpronu à la Police, et la FRR aux compagnies de gardes mobiles qui interviennent en cas de problèmes.
Pas question, comme certains avaient pu l'espérer, de voir la FRR utilisée pour protéger les enclaves musulmanes de l'est de la Bosnie, décrétées zones de sécurité par l'ONU. Pas question non plus de faire une démonstration de force à l'encontre des forces serbes, car la FRR n'est pas une force offensive. Pour l'heure, la Force n'a pour unique objet que de crédibiliser l'action diplomatique confiée au négociateur de l'Union européenne Carl Bildt Ce dernier a reçu pour mandat au sommet européen de Cannes de reprendre langue avec toutes les parties, compris les Serbes de Bosnie. E cherche à obtenir d'eux un gage de bonne volonté qui pourrait être le retour au statu quo ante: l'autorisation donnée par les Serbes bosniaques aux convois de l'ONU de ravitailler Sarajevo en empruntant la route dite occidentale qui, de Kiseljak, traverse les territoires serbes.
Ce n'est qu'en cas d'échec total de Bildt, explique-t-on Paris, qu'il conviendra d'activer la FRR. Or le négociateur européen doit rendre compte de son action au Conseil européen du 17juillet. Si on n'a rien obtenu des Serbes à ce moment-là, on aura raté notre coup, reconnaît-on dans les milieux responsables à Paris. Il faudra alors chercher à Sécuriser la seconde voie d'accès à Sarajevo, la piste du mont Igman, (qui court en territoire bosniaque). Le rôle de la FRR sera de riposter à d'éventuels bombardements serbes contre les convois qui empruntent ce chemin afin d'en assurer la sécurité ,de manière permanente, assure t-on, et pour tous les véhicules qui l'empruntent, convois de l'ONU ou véhicules civils bosniaques.
Elle ne sera pas totalement déployée avant la mi-août, reconnaissent les responsables de la défense. Mais l'affirmation du ministre de la Défense Charles Millon et du chef d'étatmajor, l'amiral Lanxade, selon lesquels les élé-ments déjà opérationnels pourraient agir dans les jours qui viennent, n'en est pas moins confirmée. Cette entrée en action de la FRR ne représenterait de toute manière pas un grand changement, les éléments français de la Forpronu ayant déjà riposté par le passé à des tirs serbes contre la route d'Igman. la situation de Sarajevo n'en sera pas non plus fondamentalement modifiée, admet-on à Paris. La levée du siège de Sarajevo, objectif fixé à Cannes, ne pourra être que progressive. Après la réouverture d'une voie d'accès, il faudra encore négocier avec les Serbes bosniaques pour obtenir la réouverture de l'aéroport de Sarajevo, puis une éventuelle trêve des combats.
Si les responsables français ont multiplié, de Chirac à
Millon en passant par Lanxade, les déclarations sur la
FRR et la volonté de désenclaver Sarajevo, c'est moins pour soulager le siège de la capitale bosniaque et les souffrances de sa population que pour inciter les Serbes de Bosnie à faire un geste avant que le Congrès des États-Unis, qui se réunit le 11 juillet, ne vote sur la levée de l'embargo sur les armes à destination des forces bosniaques. Une course devitesse est engagée entre partisans du dialogue avec les Serbes (de Belgrade et Pale) et partisans de la guerre aux Serbes. La levée de l'embargo n'est pas pure hypothèse, vu l'attitude de la majorité républicaine. Elle inquiète au plus haut Point les responsables français, mais aussi les diplomates américains.
Ces derniers insistent sur le fait qu' il n'y a pas de grande divergence, entre Clinton et Chirac sur la stratégie à suivre en Bosnie. Les États-Unis continuent officiellement d'appuyer le processus diplomatique, la présence de la Forpronu, et le Président a promis d'opposer son veto à une décision de levée de l'embargo. Il faudrait alors que l'opposition républicaine rassemble une majorité des deux tiers pour passer outre ce veto présidentiel, ce qui est jugé peu probable: les responsables républicains, le sénateur Robert Dole et le représentant Newt Gingrich, auraient pris conscience que la première conséquence d'une levée de l'embargo serait de placer les États-Unis en première ligne en Bosnie. Les semaines qui viennent sont critiques, reconnait-on cependant dans les milieux diplomatiques américains à Paris. Pour éviter le scénario-catastrophe d'une levée de l'embargo, il faut démontrer que la Forpronu a retrouvé son efficacité. La sécurisation de la route d'Igman par la FRR et la reprise de l'aide humani
taire seraient donc de ce point de vue un élément très positif. Il est évident que si les Français craignent une levée de l'embargo, les Américains craignent un retrait des Européens. La fermeté de ton employée par Jacques Chirac depuis son arrivée à l'Élysée n'empêche pas que l'hypothèse du retrait est clairement envisagée, note un diplomate. On parle même en privé à Paris de la nécessité de fixer une date butoir pour une décision de retrait. Elle doit intervenir avant septembre si on veut éviter que la Forpronu n'ait à passer un nouvel hiver en otage des Serbes...
La levée de l'embargo américain entraînera automatiquement notre retrait, jure-t-on à Paris. Les États- Unis devront alorsarmer et soutenir des contingents musulmans, et l'Alliance atlantique elle-même sera remise en question, met en garde un responsable français de la défense. Or, même les républicains, espère-t-on au département d'État, sont convaincus que la Bosnie ne vaut pas qu'on détruise l'Alliance.