DES REFUGIES DE LA KRAJINA VONT SERBISER LE KOSOVO
La Guerre va-t-elle passer au sud? Belgrade pousse l'exode serbe vers le volcan endormi des Balkans
par P. MI.
(Le Soir, 14 août 1995)
Sombre perspective. L'installation prévue au Kosovo de milliers de réfugiés serbes de Croatie accroît, en effet, le risque de conflits interethniques dans cette province déjà agitée du sud de la Serbie, peuplée en majorité d'Albanais de souche.
Deux premiers convois ferroviaires, amenant environ 650 réfugiés, sont arrivés samedi et dimanche au Kosovo. Et d'autres groupes sont attendus dans les prochains jours.
Par ailleurs, un nouveau point de conflit, suivi peut-être d'un nouvel exode , a été ouvert, samedi à l'aube, en Bosnie centrale. L'armée bosniaque, qui semble vouloir profiter de la désorganisation des forces serbes après la chute de la Krajina et qui poursuivait dimanche son offensive contre la ville de Donji Vakuf, a annoncé qu'elle avait enfoncé les lignes serbes à l'ouest de cette ville. L'état-major bosniaque a appelé les habitants de cet important noeud de communication à attendre sans crainte l'arrivée des soldats bosniaques: Ne laissez pas les criminels vous entraîner dans un exode comme en Krajina.
Cet appel n'a que peu de chance d'être entendu. Selon le Haut-commissariat pour les réfugiés de l'ONU, plus de 100.000 réfugiés serbes ont déjà franchi la frontière de la République fédérale de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) et environ 70.000 attendent de pouvoir le faire.
PROGRES DIPLOMATIQUES
Paradoxalement, ces nouvelles alarmantes arrivent au moment où la diplomatie semble mettre les bouchées, doubles. Ainsi, la Russie et les Etats-Unis ont rapproché leurs positions sur l'organisation d'un sommet international sur l'ex-Yougoslavie. C'est ce qu'a affirmé dimanche le ministre russe des Affaires étrangères, Andrei Kozyrev, après une rencontre à Sotchi, sur la mer Noire, avec l'émissaire américain, Anthony Lake, conseiller du président américain pour les questions de sécurité.
Et l'on annonce qu'une autre délégation américaine de haut niveau va quitter Londres lundi pour se rendre auprès des gouvernements de Belgrade, de Zagreb et de Sarajevo.
On ne sait pas si ces nouveaux efforts diplomatiques ont déjà pris en considération les dangers que- porte le projet de l'installation des réfugiés serbes de la Krajina ou d'ailleurs dans la région du Kosovo.
Les autorités de Belgrade sont manifestement déterminées à éviter l'installation des réfugiés en terre ethniquement serbe. Ainsi, un train de réfugiés est passé par Belgrade au-ralenti, mais sans s'arrêter, les autorités craignant que ses occupants ne descendent et ne refusent d'être emmenés au Kosovo.
Or, l'opération Kosovo n'est pas innocente, c'est le moins qu'on puisse dire.
Situé à la frontière de l'Albanie, au sud de la Serbie, le Kosovo (11.000 kilomètres carrés) a une population à 90 % albanaise, fortement attachée à son origine ethnique et à sa religion musulmane, et non moins fortement opprimée par les Serbes. Son taux de natalité est le plus fort de toute l'Europe. Dans l'empire ottoman à partir,du XIVe siècle, puis intégré à l'Etat yougoslave après 1918, province autonome dans le cadre de la Fédération yougoslave (communiste), le Kosovo a été privé de cette autonomie par les autorités de Belgrade dans le cadre de sa serbisation . L'idée de la colonisation serbe n'est donc pas nouvelle. Les autorités yougoslaves s'efforcent sans succès depuis plusieurs années de repeupler le Kosovo, que plusieurs dizaines de milliers de Serbes ont quitté depuis le début des années 80 face à la montée du mouvement nationaliste albanais. Elles envisageraient, selon la presse de Belgrade, d'y installer 100.000 Serbes d'ici à l'an 2000 pour parer à la poussée démographique albanaise.
Ces dernières années, elles n'avaient guère réussi à implanter au Kosovo plus de quelques milliers de Serbes de Serbie, de Bosnie, de Croatie, d'Albanie et de Roumanie. Rien d'étonnant. En règle générale, les réfugiés serbes ne souhaitent pas se rendre au Kosovo, en raison de la pauvreté de la province et parce qu'ils craignent, non sans' raison, des manifestations d'hostilité de là part de la population albanaise.
Ainsi, lorsque les autorités de Belgrade annoncent qu'elles envisagent d'installer de 16.000 à 20.000 réfugiés au Kosovo, le chiffre peut paraître peu important. En réalité, le projet de Bel-grade vise à modifier la structure démographique de la province et s'inscrirait donc dans la logique de nettoyage ethnique, tout en portant un grand risque de bouleversement politique. Bref, d'extension de la guerre...