PLEBISCITE ITALIEN
Un premier roman posthume en tête de la liste des meilleures ventes
par Fabio Gambaro
(Le Monde, 18 Août 1995)
Trente ans après l'attribution du prix Strega au Guépard de Tomasi Di Lampedusa, un autre roman posthume a été couronné, le mois dernier, par le plus prestigieux des prix littéraires italiens. Il s'agit de Passaggio in ombra, le premier roman d'une militante connue du Parti radical, Mariateresa Di Lascia, emportée, à quarante ans, par la maladie quelques mois avant la parution de son ouvrage dans la collection littéraire de Feltrinelli - qui fut aussi l'éditeur du Guépard.
La presse italienne n'a pas manqué de relever les analogies entre les deux cas, tout comme la critique n'a pas hésité à évoquer les noms d'Elsa Morante et d'Anna Maria Ortese à propos de cette jeune femme écrivain qui, en s'inscrivant dans la tradition du roman féminin et méridional, a réussi un livre foisonnant, riche et plein de vie, même s'il est dominé par la souffrance et le renoncement.
Passaggio in ombra traite de l'enfance et de l'adolescence de Chiara, qui raconte elle-même l'histoire, lorsque, devenue adulte et incapable de s'adapter à la vie, elle se retrouve prisonnière de la solitude et de l'angoisse. A travers les mouvements erratiques de la mémoire, le récit reconstruit l'histoire d'une enfant, d'une famille et d'un milieu social - celui d'un petit village du sud de l'Italie -, avec ses malheurs, ses luttes, ses incompréhensions. En même temps, le rythme mouvementé de la narration intègre dans le récit les rêves, les cauchemars et de nombreuses réflexions abordant la vie et la mort, le temps et les illusions, les sentiments et l'identité.
Le livre, paru en début année, a non seulement été salué par une critique presque unanime comme un nouveau classique de la littérature italienne contemporaine, mais il a également rencontré la faveur d'un vaste public, faisant l'objet de plusieurs réimpressions, le mouvement s'étant bien entendu accéléré après la consécration du prix Strega. Le pessimisme profond de l'ouvrage n'a pas nui à son succès. En revanche, public et médias ont probablement vu, dans les mésaventures de Chiara et de sa mère - les hommes sont pratiquement absents d'un livre où s'esquisse une sorte d'impuissante révolte contre les pères -, une préfiguration du destin tragique de l'auteur.
Cette fascination est, d'ailleurs, à l'origine des rares réserves exprimées. Mariateresa Di Lascia eût-elle été un simple écrivain débutant, il y a gros à parier que son roman n'aurait pas bénéficié de la même attention. Il n'en reste pas moins qu'il a désormais - et heureusement - détrôné Va où ton coeur te porte, l'indigent roman de Susanna Tamaro (1), qui était en tête des ventes en Italie depuis plus un an.