BOSNIE: IMPLACABLE REQUISITOIRE DE MAZOWIECKI
(Le Soir, le 24 août 1995)
Il a eu des exécutions sommaires de Musulmans par les Serbes de Bosnie après la chute de l'enclave de Srebrenica en juillet, et elles ont peut être été massives quoique ce dernier point soit difficile à confirmer actuellement: telles sont les conclusions principales de Tadeusz Mazowiecki dans son rapport final, publié hier, sur l'ex-Yougosiavie.
L'ancien rapporteur spécial de l'ONU sur les droits de l'homme
en ex-Yougosiavie a démissionné le 27 juillet pour protester contre l'impuissance de l'ONU à faire respecter les enclaves protégées de Bosnie, en particulier celle de Srebrenica prise par les Serbes le 11 juillet. Mais son témoignage-testament est accablant: Il y a des preuves significatives, tant directes qu'indirectes, indiquant que des exécutions sommaires ont eu lieu, concernant aussi bien des individus que des petits groupes de gens. Quant à des exécutions massives d'un grand nombre de personnes à la fois, les indices actuellement disponibles conduisent à la conclusion effrayante que celles-ci ont pu se produire, constate le rapport de M. Mazowiecki.
Toutefois, ajoute-t-il aussitôt, de plus amples conclusions en particulier quant au nombre total de personnes exécutées et quant au sort de celles dont on est sans nouvelles ne peuvent pas être établies sans avoir accès au territoire sous le contrôle des autorités serbes bosniaques de facto. Il faudrait, ajoute M. Mazowiecki, pouvoir examiner les endroits où se trouveraient des fosses communes, et en exhumer les cadavres.
Message reçu? Le responsable serbe de Srebrenica, Miroslav Deronjic a invité hier la communauté internationale à venir enquêter sur place: tout le monde peut venir enquêter, filmer à Srebrenica, a-t-il affirmé.
M.Mazowiecki, dans son rapport basé sur des témoignages recueillis auprès de fuyards de Srebrenica, réfugiés à Tuzla en Bosnie du nord-est, du 22 au 24 juillet, rappelle que quelque 10.000 hommes de Srebrenica sont toujours comptés manquants par le Comité international de la Croix-Rouge.
Les témoignages recueillis par M. Mazowiecki font état des faits suivants:
- Un rescapé a rapporté que, faisant partie d'un groupe de 2.000 hommes qui s'étaient rendus aux Serbes dans le village de Kravica, une des nuits suivantes, des groupes de cinq à dix hommes ont été sortis des camions, un groupe à la fois, rangés en ligne puis abattus par un groupe de soldats serbes bosniaques. Le rescapé avait vu une centaine de cadavres à son arrivée. Blessé à la jambe, il avait ensuite fait le mort.
- Selon un autre rescapé, les forces serbes de Bosnie ont tué des gens au hasard en leur tranchant la gorge, dans un groupe d'hommes qui s'était rendu à ces forces.
- Un observateur international et une personne déplacée voyageant dans un convoi de réfugiés de Srebrenica on vu entre 3OO et 500 personnes sur un terrain de football à Nova Kasaba, dont certaines en uniforme. La personne déplacée a rapporté avoir vu à proximité des cadavres entassés.Une photo-satellite américaine, présentée le mois dernier au Conseil de sécurité des Nations unies, montrait également plus de 600 hommes rassemblés sur un terrain de football prés de Nova Kasaba, et d'autres photos prises plus tard montraient de la terre fraîchement remuée à proximité, laissant planer le soupçon sur l'existence de charniers éventuels à cet endroit.
- Une source internationale a vu, le 15 juillet prés de Nova Kasaba, une rangée de souliers et de sacs à dos pouvant appartenir à une centaine d'hommes et peu après un tracteur remorquant des cadavres.
Le rapport de M. Mazowiecki rapporte encore des témoignages d'exécutions sommaires dont une aurait porté sur 9 à 10 hommes en vêtement civils, de viols de femmes et d'autres brutalités commises par des Serbes contre les réfugiés au nombre de 25.000, femmes, enfants et vieillards principalement, évacués sur Potocari.
Rappelant qu'il était à l'origine du concept d'enclaves protégées par l'ONU en Bosnie, M. Mazowiecki estime enfin que cette protection s'est surtout exercée sur le papier. Aussi, conclut-il, ce concept est à revoir dans le sens d'une protection ayant, surtout, les moyens de s'imposer. (AFP.)