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tribunal international

Annette Wieviorka relit les leçons de Nuremberg. Ce procès, certes imparfait, a pourtant permis au droit international de s'ériger désormais en défenseur de la paix

propos recueillis par Eric Conan

L'Express, le 2 novembre 1995

L'EXPRESS : Il y a cinquante ans s'ouvrait, à Nuremberg, le procès des responsables du nazisme. Comment furent choisis les 23 accusés?

ANNETTE WIEVIORKA : Leur liste n'a pas vraiment de cohérence. Elle est le fruit du hasard des captures. Ce qui explique que Kaltenbrunner se retrouve seul ont représenter la Gestapo et la SS! Beaucoup d'entre eux ne s'étaient jamais rencontrés : leur rôle et leur personnalité sont différents. Les marins - les amiraux Dönitz et Raeder - sont à part. Ils n'ont rien à voir avec le système concentrationnaire et les massacres. Et les autres militaires, très prussiens vont observer une certaine tenue pendant tout le procès, tandis que Ribbentrop devient une loque humaine. Göring revendiquera le rôle de représentant du Führer et de chef des accusés. Ce que ceux-ci lui contesteront!

Quels étaient les objectifs du tribunal?

Très ambitieux! Il s'agissait à la fois de punir les responsables du déclenchement de la guerre et des crimes particuliers liés au conflit et de créer un nouveau droit qui mette définitivement hors la loi toute guerre d'agression. Quatre chefs d'accusation avaient été retenus : le plan concerté ou complot, les crimes contre la paix, les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité.

Ce concept était la grande nouveauté?

Oui, mais, curieusement, sa définition a posé beaucoup plus de problèmes que son emploi, puisqu'il sera finalement décidé de s'en servir comme circonstance aggravante du crime de guerre : à une seule exception tous les accusés condamné pour crimes contre l'humanité l'ont été dans le prolongement d'un crime de guerre. Le tribunal a renoncé à disjoindre les deux crimes et à donner son autonomie au crime contre l'humanité en poursuivant les méfaits commis à l'intérieur du Reich avant 1939. Cela touchait au sacro-saint principe selon lequel chacun est maître chez soi. Le tribunal a décidé de borner sa compétence aux crimes transnationaux, en excluant tout droit d'ingérence!

Les quatre organisateurs du tribunal - Etats-Unis, URSS, Grande-Bretagne et France - s'accordaient-ils sur ce programme?

Non. L'organisation du procès et la définition des crimes sont largement dues aux Américains. Il est frappant de constater que les Américains et les Britanniques s' inquiétaient surtout de sanctionner la guerre d'agression, une notion à laquelle lesSoviétiques et les Français accordaient peu d'importance. Il y avait là deux visions liées à deux positions dans le conflit. L'obsession des Américains, qui n'avaient pas eu leur sol envahi mais avaient dû envoyer leurs boys se faire tuer en Europe, était d'éviter que cela ne recommence! Pour les Anglo-Saxons, l'objectif était de faire mieux que le traité de Versailles, qui, en 1919, n'avait pas réussi à mettre en accusation Guillaume Il. Le tribunal a ainsi passé un temps fou pour savoir si le pacte Briand-Kellogg

de 1928, signé par l'Allemagne - qui condamnait le recours à la guerre dans la politique internationale - constituait une base juridique pour juger les nazis! Tout cela n'intéressait pas les Soviétiques et les Français, qui entendaient d'abord punir les responsables des camps, d'Oradour et des massacres de masse sur le front de l'Est.

Peut-on parier d'une justice de vainqueurs?

Oui, dans la mesure où les juges ont été nommés par leurs gouvernements. Le procureur américain Robert Jackson était directement responsable devant le président Truman. On aurait pu imaginer autre chose - un tribunal neutre, ou un tribunal où aurait été représentée la bonne Allemagne, celle des Allemands résistants. Oui également parce qu'on a inculpé les accusés de crimes dont certains n'étaient pas définis avant qu'ils soient commis. Mais le seul recours à des notions existant avant guerre - en particulier celle de crime de guerre -aurait suffi à les faire condamner. Et il ne faut pas oublier que les vainqueurs de 1945 représentaient la majeure partie de l' humanité!

La présence des Soviétiques parmi ceux qui accusaient et jugeaient n'invalide-t-elle pas gravement la légitimité du tribunal et de son jugement?

C'est indiscutablement la grande tache de ce procès. L'Union soviétique était complice de cette guerre d' agression à laquelle les Anglo-Saxons accordaient tant d'importance. Elle avait envahi la Finlande et une partie de la Pologne, où furent massacrés près de 15 000 officiers de l'armée Polonaise, dont Plus de 4 000 à Katyn. Ce fut le terrible non-dit de Nuremberg.

Avec de graves conséquences, puisque les droits de la défense ont, à plusieurs reprises, été violés sur des questions importantes, le tribunal ayant par exemple refusé le débat que les avocats de Rudolf Hess et de Hermann Göring voulaient lancer sur le pacte germano-soviétique et sur Katyn...

On ne peut pas dire qu'il y ait eu un déni de justice, dans la mesure où lé problème de Katyn disparaît totalement du jugement. Les Mémoires du procureur Taylor (1) montrent que personne n'est dupe : les Occidentaux prennent bien soin de ne pas attribuer Katyn aux nazis et les Soviétiques n'insistent pas! Ajoutons que le fait que Staline ait lui-même procédé à une guerre d'agression ne modifie en rien les responsabilités de Göring. En revanche, on peut, face à l'Histoire, parier de déni de vérité : justice a été correctement rendue, mais dans des conditions morales parfois discutables, d'autant plus que tout le monde, accusation comme accusés, a bien conscience qu'il s'agit d'un procès pourl'Histoire. Mais, sur Katyn, le déni de vérité est antérieur. Lors de la découverte du charnier, en 1943, Churchill sait parfaitement que c'est l'oeuvre des Soviétiques, mais il choisit de ne rien dire, pour de réserver l'alliance de guerre. Nuremberg se trouve ans cette continuité du front antinazi. C'est difficilement ad

missible aujourd'hui, mais cela se comprend dans le contexte de l'époque. A cette réserve près, les droits de la défense ont été respectés. Les accusés ont pu choisir leurs avocats, dont quelques-uns étaient même d'anciens nazis. Certains ont très bien fait leur travail, comme Otto Kranzbühler, défenseur de Dönitz. C'était la volonté de Jackson : qu'il s'agisse d'un vrai procès, présentant toutes les garanties judiciaires. Ce fut le cas avec, au bout du processus, toute la gamme des décisions, de la mort à l'acquittement.

Qu'apprend-on au cours du procès?

Enormément de choses. Raymond Cartier publiera en 1947 Les Secrets de la guerre dévoilés par Nuremberg. L'accusation se sert de documents diplomatiques auraient normalement dû être connus plusieurs dizaines d'années après les faits. Comme le plan vert d'invasion de la Tchécoslovaquie ... ... ou le protocole Hossbach sur la préparation de l'attaque- de la Pologne,!qui éclaire les raisonnements de-Hitler concernant le déclenchement proche de la guerre. Aucun autre procès n'a autant contribué à fa connaissance historique. On apprend aussi pour la première fois de quelle façon se déroulèrent les massacres. Le témoignage d'Otto Ohlendorf est une première : on découvre, grâce à ce petit cadre nazi, ce qu'étaient les Einsatzgruppen, unités chargées des massacres de masse de juifs et de communistes à l'arrière du front russe. Dieter Wisliceny décrit le fonctionnement de la section antijuive de la Gestapo et révèle le rôle d'un dénommé Adolf Eichmann, inconnu à l'époque. Sans oublier le témoignage de Rudolf Höss, le

commandant d'Auschwitz.

Malgré cela, Nuremberg ne prend pas la mesure du génocide ?

Il y a un paradoxe : l'anéantissement des juifs, loin d'être passé sous silence, comme on le dit parfois, est constamment présent. La documentation énorme rassemblée sur le sujet permettra d'ailleurs à Léon Poliakov et à Raul Hilberg de commencer leurs travaux. Mais cela ne fait pas sens. Le mot génocide n'est presque pas employé, aucun témoin juif ne sera cité et la distinction fondamentale entre camps de concentration et camps d'extermination n'est pas encore opérée. Cela viendra plus tard, lors du procès Eichmann, à Jérusalem, en 1961.

Ce fut une sorte de rattrapage de Nuremberg ?

Il y a à la fois continuité et rupture. Continuité parce que l'avocat d'Eichmann sera l'un des bons avocats de Nuremberg - Robert Servatius, défenseur de Sauckel - et que le droit israélien utilisé pour ce procès est celui de Nuremberg. Mais rupture parce que Jérusalem sera le procès du génocide. Autre différence fondamentale - et volontaire : alors que le procès de Nuremberg avait été fondé sur les archives, la soixantaine de témoins étant essentiellement cités par la défense, celui de Jérusalem fut d'abord à base de témoignages, ce qui permit d'entendre pour la première fois la parole et le récit de survivants. Il y avait là recherche délibérée d'une fonctionéducative absente à Nuremberg. Pour ces deux raisons - spécificité du génocide, premier rôle donné aux victimes - le procès Eichmann fut le complément de Nuremberg.

Le procès Eichmann ne fut pas la seule suite de Nuremberg...

On ignore souvent qu'il y eut immédiatement après 12 autres procès de Nuremberg - que l'on a appelés procès successeurs - spécialisés par catégories : les Einsatzgruppen, les médecins, les industriels, etc. Puis a suivi toute une série de procès tenus dans les zones d'occupation américaine, britannique et française et obéissant aux mêmes principes de droit que Nuremberg. Ce sont des procès annexes concernant de plus petits accusés, dont les forfaits n'étaient pas transnationaux. La justice allemande prendra le relais dans les années 60. Puis, plus récemment, on est passé aux procès symboliques, notamment en France, avec Barbie et Touvier. On constate un decrescendo dans le statut des accusés et un crescendo dans la sévérité des peines : on prend des plus petits et on leur infligé des peines plus lourdes! Les procès recents sont plus proches de l'exorcisme simbolique du nazisme et de l'antisémitisme que de la justice.

Que reste-t-il de Nuremberg ?

On le redécouvre depuis peu : Nuremberg a créé un précédent en affirmant que le droit international pouvait être mis au service de la paix. La guerre froide et la bipolarisation de la planète avaient gelé cette idée pendant plus de quarante ans. Elle renaît depuis la chute du mur de Berlin. Cette idée vient de Nuremberg!

(1) Les Mémoires de Telford Taylor, procureur américain, viennent d'être traduits en français : Procureur à Nuremberg, Seuil,

718 p., 180 F.

 
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