Messieurs Giorgio PAGANO
& Olivier DUPUIS
Parti Radical
Bruxelles, le 31 octobre 1995
Messieurs,
votre courrier du 18 octobre 1995 sur les problèmes de communication m'est bien parvenu et je vous en remercie.
Je vous joins ici une lettre que j'ai envoyé à Monsieur Raymond BORE qui m'a contacté pour la même raison. Vous connaitrez ainsi mon point de vue.
Avec mes salutations distinguées,
(Signature)
Jean-Pierre COT
Député au
Parlement européen
***
Bruxelles, le 8 septembre 1995
Cher Raymond Boré,
c'est bien volontiers que je réponds à votre questionnaire. Par vos courriers vous m'avez obligé à réfléchir au problème de l'espéranto et à la place des langues dans la construction européenne.
Le problème linguistique n'est pas seulement un problème technique ou économique. Aussi, les arguments financiers que vous avez naguère avancés, qui sont parfaitement fondés, ne me semblent-ils pas déterminants.
Le malaise d'Europe, que nous constatons partout aujourd'hui, est à la fois le reflet d'une crise de nos identités nationales et la traduction d'un éloignement du citoyen par rapport à l'Europe. Il l'exprime sous forme d'une redoutable poussée de fièvre nationaliste, qui ne concerne pas seulement nos Etats de l'Union européenne. C'est dans ce contexte qu'il faut examiner le problème de l'espéranto.
Or je crains que la diffusion de l'espéranto n'apporte pas de réponse, bien au contraire, aux problèmes de l'heure. La propagande en faveur de l'espéranto sera inévitablement perçue comme une agression supplémentaire envers nos identités nationales. La substitution de l'espéranto au Français, à l'Italien, au Grec comme langue d'expression et de communication sera vécue comme un recul nouveau de nos identités respectives, comme une dénationalisation culturelle.
Quant au sentiment d'éloignement vis-à-vis de l'Europe, il serait très avivé par l'utilisation d'une langue incompréhensible pour la majorité des citoyens européens. Avons-nous vraiment besoin de cette distanciation supplémentaire par les temps présents ?
Je dis tout ceci avec tristesse, car par sympathie et admiration pour votre combat universaliste et je partage pleinement les valeurs que vous défendez. Mais le rôle d'un homme politique est de faire avancer ces valeurs en tenant compte des réalités. Je crois qu'aujourd'hui, il est plus urgent de réconcilier les nations avec l'Europe que de promouvoir l'usage d'une langue universelle. Notre objectif commun, je le crois, est la paix et l'entente entre les hommes dans le monde et d'abord dans notre Europe. Pour atteindre cet objectif, il me paraît urgent, dans un premier temps, de démontrer que la construction européenne n'est pas la négation de nos identités nationales, de nos cultures, de nos langues. En d'autres termes, nous ne sommes pas mûrs pour l'espéranto.
Pardonnez ma franchise et croyez à mes sentiments cordialement dévoués
(Jean-Pierre COT)