Radicali.it - sito ufficiale di Radicali Italiani
Notizie Radicali, il giornale telematico di Radicali Italiani
cerca [dal 1999]


i testi dal 1955 al 1998

  RSS
gio 13 feb. 2025
[ cerca in archivio ] ARCHIVIO STORICO RADICALE
Conferenza Partito radicale
Partito Radicale Paolo - 28 novembre 1995
ex-yougoslavie

LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE DISCREDITEE

par Claire Tréan

Le Monde, le 23 novembre 1995

DANS dix ans, dans vingt ans, comment comprendra-t-on le comportement des grandes puissances face à la guerre dans l'exYougoslavie, leurs gesticulations en pure perte, les dizaines de résolutions votées par le Conseil de sécurité de l'ONU et restées lettre morte ? Pendant quatre longues années, ce conflit aura agi comme un terrible révélateur, faisant apparaître au fil des mois d'offensive en massacre sur le terrain, de reculade en reculade dans les chancelleries - la faiblesse d'un monde occidental qui venait de déplacer plus d'un demi-million d'hommes pour chasser l'Irak du Koweit, qui fêtait sa victoire sur le communisme, annonçait l'avènement d'un meilleur ordre mondial et prétendait construire l'Europe des peuples libérés. Pendant des mois, on aura vu l'aviation de l'OTAN sillonner sans relâche le ciel de Bosnie, sans être capable d'empêcher que, dans les villes, des obus serbes s'abattent sur des groupes d'enfants; pendant des mois, la bureaucratie de l'ONU aura consigné, dans des milliers de pages de

rapports, la sinistre comptabilité des crimes quelle laissait se perpétrer sous les yeux de malheureux casques bleus, volontairement réduits à l'impuissance militaire. Pendant des mois, les états-majors occidentaux auront expliqué qu'ils ne pouvaient pas se battre, qu'une intervention militaire était impossible parce que l'armée serbe était redoutable jusqu'à ce que Croates et Bosniaques lui infligent, l'été dernier, une déroute qui, en quelques semaines, bouleversa le cours des choses. Fort de cette victoire militaire qui n'était pas la sienne, l'Occident allait enfin pouvoir se ressaisir et reprendre la main. Les événements, dans leur déroulement chronologique, furent bien sûr plus complexes. Par exemple, les victoires militaires croato-bosniaques de l'été et l'enclenchement du processus de paix qui les a suivies, n'apportent pas la preuve absolue qu'une intervention militaire occidentale plus précoce eût aisément réglé le problème. Un autre facteur a contribué à la tournure nouvelle des événements: le pri

ncipal responsable de la guerre, Slobodan Milosevic, estimant qu'il avait désormais intérêt à la paix, avait accepté de perdre les batailles ou de ne plus les livrer. Mais, quelles qu'aient été les circonstances particulières à tel ou tel moment, à l'aune de l'Histoire, c'est le constat de l'échec de la communauté internationale, pour ne pas dire de sa démission, qui restera. La paix qui vient d'être annoncée à Dayton même si elle se révélait durable n'est pas, de ce point de vue, rédemptrice. Elle n'effacera pas l'énorme discrédit que la crise yougoslave a infligé, en cette fin de siècle, aux Etats, à l'Union européenne, à l'OTAN, à l'ONU. Elle porte en elle la marque indélébile des renoncements de l'Occident aux principes dont il se réclame. Quel que soit l'emballage, cette paix, en effet, n'est pas bonne; elle ne pouvait pas l'être dès lors qu'on avait laissé faire pendant si longtemps une guerre d'agression dont le but, d'emblée affiché, était le regroupement de tous les Serbes et le nettoyage ethnique d

es régions qu'ilsconquéraient. Les principes, bien entendu, sont formellement saufs dans l'accord qui vient d'être conclu: il ne sera pas dit que les frontières d'un pays européen auront été modifiées par la force, puisque l'intégrité de l'Etat bosniaque est proclamée ; de même est affirmé, pour la Bosnie comme pour la Croatie, le droit des réfugiés à rentrer chez eux ou à obtenir réparation. Mais nul ne s'y trompe: les deux entités qui composent le nouvel Etat bosniaque préfigurent son éclatement plutôt que la réconciliation; nul n'imagine d'autre part que les millions de personnes, que la peur, la mitraille ou les persécutions ont fait fuir, retrouveront leur foyer - pour autant qu'il existe encore ni que quiconque sera prêt à payer des réparations. Deux Etats européens, la Bosnie et la Croatie, ont bel et bien été ethniquement réorganisés par les armes. L'accord entérine des pratiques auxquelles on a laissé cours pendant quatre ans, bien que le droit international les réprouve, que la morale occidentale

les tienne pour des crimes contre l'humanité et que l'Europe ait juré, fi y a cinquante ans, de ne plus jamais les laisser survenir sur son sol. C'est dire que la morale occidentale s'en tire mal, de même que le crédit des institutions qui s'en prétendent inspirées. Ce constat, certains le récusent encore avec véhémence : on ne voit pas, disent-ils en substance, en quoi l'Occident, ou l'Europe, auraient des comptes à rendre à propos des guerres que se livrent ces tribus qui s'entretuent depuis des siècles. C'est ce type de raisonnement qui fut à l'origine du mauvais aiguillage pris par la communauté internationale au début du conflit et qui n'a pu ensuite être rattrapé. François Mitterrand en a été un grand adepte: il s'est intéressé au problème yougoslave (sans le comprendre), tant qu'il a cru pouvoir se passer des Américains et trouver là un terrain d'entraînement pour la politique étrangère commune de l'Europe la vraie Europe, la sienne, celle de Maastricht. Il fut très vite avéré que l'Europe des Douze,

sur ce terrain, ne fonctionnait pas, qu'elle risquait même de s'y briser: la proposition franco-allemande de dépêcher une force d'interposition européenne en Croatie fut recalée en septembre 1991 par les Britanniques; quelques semaines plus tard, la question de la reconnaissance des républiques sécessionnistes allait tourner à l'empoignade franco-allemande. De ce moment, François Mitterrand a démissionne, tout en donnant le change avec une politique humanitaire qui allait, pendant plus de trois années, hypothéquer toute autre politique en Bosnie.

L'ALIBI HUMANITAIRE

Pendant ce temps, les Etats-Unis, de moins en moins interventionnistes, n'étaient pas mécontents de laisser le bébé à leurs partenaires d'outre-Atlantique. Tout le monde trouva commode de se décharger sur l'ONU, et un consensus s'établit sur le plus petit commun dénominateur: ne pas laisser le conflit déborder hors de Yougoslavie - à quoi l'on a, il est vrai, réussi. jamais, à cette époque, la moindre analyse ne fut tentée sur la nature du conflit, sur les objectifs qui, face à lui, pouvaient être communs aux grandes puissances, à l'Europe, sur l'enjeu politique (sans même aller jusqu'à l'enjeu moral) qu'il représentait. On pourrait dresser un florilège qui donnerait la mesure de ce que fut l'inconscience des dirigeants: depuis ce diplomate français qui, à la veille de la proclamation des indépendances, affirmait qu'il ne se passerait rien et que si la Yougoslavie éclatait, ce serait de rire, en passant par ceministre luxembourgeois présidant la Communauté européenne, qui se prononçait contre l'éclatement de

la Fédération et contre les micro-Etats, jusqu'à Boutros Boutros-Ghali, secrétaire général de l'ONU, qualifiant de guerre de riches celle qui ravageait la Bosnie. La palme reviendrait peut-être à François Mitterrand qui, alors que Vukovar, symbole de la résistance croate, était sur le point d'être réduite en cendres, déclarait que la Croatie avait été clans le camp nazi lors de la dernière guerre et qui parraina, peu après, un colloque intitulé Les tribus ou l'Europe; ou bien à son ministre des affaires étrangères, Roland Dumas, qui, un jour où la télévision montrait les visages décharnés des prisonniers d'Omarska, lança, contre toute évidence, à Anne Sinclair, sur TF 1 : Mais la France ira libérer les camps s'il le faut!, en ajoutant qu'il en parlerait à Bernard Kouchner.. M. Dumas s'en prit plus tard aux pressions germano-vaticanes en faveur de la reconnaissance des indépendances croate et slovène, origine, selon lui, de la catastrophe. Il oubliait que Vukovar n'était plus, déjà, qu'un amas de ruines lors

que furent reconnues les républiques sécessionnistes et que le conflit yougoslave avait son origine dans les menées hégémoniques auxquelles Slobodan Milosevic se livrait depuis la fin des années 80. Alors que la minorité serbe mettait depuis des mois la Bosnie à feu et à sang, nettoyait à tout va, le président de la République française en était encore à prêcher le respect du droit des minorités en guise de solution. La France se voulait pourtant en première ligne et nul n'aura fait autant quelle pour aider les populations bosniaques à se nourrir, à défaut de les protéger d'une guerre d'agression. A la décharge de François Mitterrand, notons que tout le monde approuva, avec plus ou moins d'enthousiasme, cette politique humanitaire, politique de neutralité et maximum de l'intervention à laquelle était prête la communauté internationale. Quand l'absurdité devint trop criante, les images trop ravageuses à la télévision, le discrédit trop lourd de conséquences pour les Occidentaux, on s'aperçut qu'on avait les m

ains liées par des casques bleus en position d'otages, qui faisaient obstacle à toute intervention véritablement répressive. Alain Juppé, puis Jacques Chirac, se sont ensuite efforcés de sortir de ce piège dans lequel l'alibi humanitaire avait enfermé la communauté internationale. Cet effort apparaîtrait comme la plus respectable de toutes les entreprises dont fuirent capables les Etats face à la guerre en Bosnie, s'il n'était entaché par l'un des épisodes les plus tragiques de cette guerre: celui de la chute de Srebrenica et de l'extermination d'une partie de ses habitants, que la France, pas plus que d'autres, n'aura su prévenir. Dernière insulte à l'idée même de communauté internationale, dernière vaine indignation des médias, dernière honte pour l'Occident.

 
Argomenti correlati:
stampa questo documento invia questa pagina per mail