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Partito Radicale Olivier - 18 marzo 1996
Tchétchénie

POURQUOI IL FAUT SOUTENIR LES TCHETCHENES

Le Monde, samedi 9 mars 1996

La guerre de Tchétchénie ne cessera pas tant que les Tchétchènes n'auront pas obtenu leur indépendance. Déjà en 1834, un fonctionnaire de la Russie impériale écrivait: "La seule chose à faire avec ce peuple mal-intentionné, c'est de l'éliminer jusqu'au dernier". Boris Eltsine déclarait récemment: "Ce sont des chiens enragés, il faut les abattre comme des chiens enragés".

Depuis deux siècles en fait, la politique de la Russie est constante. Il faut réduire ces gêneurs. Comme les autres peuples du Caucase du Nord, les Tchétchènes barraient la route des plus riches contrées de Transcaucasie. L'empire, tsar après tsar, s'est employé à cette tâche et plusieurs peuples ont été anéantis, dispersés, massacrés, exilés, absorbés par la colonisation à partir des années 60 du dix-neuvième siècle. Ainsi des Oubykhs, dont Georges Dumézil a recueilli la langue en Anatolie, de la bouche de leurs derniers survivants.

Les Tchétchènes et les peuples du Daghestan se sont toujours distingués par leur capacité de résistance. L'armée russe n'a pourtant jamais lésiné sur les moyens. Un des généraux les plus célèbres après la victoire de Napoléon, Ermolov, est envoyé dans le Caucase du Nord en 1816. Il ne parvient à rien de décisif en dix ans de campagne, bien qu'il déploie une telle crnauté qu'elle immunise les montagnards contre toute terreur russe ultérieure. La statue d'Ermolov sera plus tarc érigée au centre de Grozny pour n'être enlevée qu'en... 1990. Il faut vingt-cinq ans et des dizaines de milliers de soldats pour venir à bout en 1859 de l'imair Chamil, originaire du Daghestan qui renouvelle la guérilla, dispersant et concentrant ses hommes à loisir dans les montagnes qu'eux seuls connaissent.

Les Tchétchènes n'ont jamais accepté la loi de l'empire. Un Francais, Chantre, rapporte en 1887 que les officiers tsaristes nomment les Tchétchènes, joyeux et insupportables, incroyablement attachés à des institutions sociales égalitaires, les Français du Caucase. Leur islam qui se répand tardivement, à la fin du XVIIIe siècle, est un ciment moral et civique contre les envahisseurs russes et le garant de leur discipline et de leur droit. Les Tchétchènes, avec les peuples du Daghestan, se soulèvent contre le pouvoir soviétique en 1920-1921 pour conserver une indépendance chèrement acquise contre le général blanc Denikine. Puis ce sont l'incessante persécution soviétique et de nouvelles insurrections contre la collectivisation forcée, contre la répression inouïe de 1937.

Les Tchétchènes sont déportés pratiquement en totalité le 23 février 1944, partageant leur sort avec, dans le Caucase, les Ingouches, les Balkares et les Karatchaïs. Plein d'admiration, Soljenitsyne écrit, dans L'Archipel du Goulag, au sujet de leur comportement en exil et dans les camps: "il est une nation sur laquelle la psychologie de la soumission resta sans aucun effet; pas des individus isolés, des rebelles, non: la nation toute entière. Ce sont les Tchétchènes (...). Jamais aucun Tchétchène n'a cherché à servir les autorités ni seulement à leur plaire." C'est sans attendre d'autorisation qu'ils commencent à rentrer dans leur pays après la mort de Staline, imposant leur décision.

Présentés comme un peuple de mafieux ou de bandits d'honneur, les Tchétchènes sont contraints, depuis deux siècles, à se construire dans la résistance. Durant les pires années staliniennes, leurs combattants ont poursuivi la guérilla en apprenant à ne pas offrir aux forces du pouvoir de prétexte pour accroître leur répression sur la population. Les conditions actuelles de la guerre rendent cette question décisive, puisque tout est bon aux troupes russes pour tirer ou bombarder aveuglément, comme sur Novogrozny ou Sernovodsk. ll y a deux guerres: l'une contre un peuple, l'autre contre un agresseur.

Ce peuple veut massivement un Etat indépendant. La survie se pose aujourd'hui pour lui en termes de nation. Rester dans la Russie, c'est la certitude de disparaître en tant que peuple. Cette volonté d'indépendance est légitime. Elle est fondée sur l'expérience des efforts d'élimination continus et renouvelés de la part des gouvernements russes, quelle que soit leur forme.

Tant que la Tchétchénie appartiendra à la Russie, elle sera l'objet des attaques russes: aucune indication ne permet de penser le contraire. L'assaut commencé en décembre 1994 vient prendre place dans une lignée que seule l'indépendance peut interrompre.

Le soutien constant, informé, aussi obstiné que l'est la résistance tchétchène, est une nécessité absolue. Admettre sans préalable la Russie au Conseil de l'Europe, c'était prendre le parti de l'agresseur, c'était désavouer l'opinlon publique russe largement hostile à la guerre. La France et les autres pays européens font ainsi la preuve d'une méconnaissance ahurissante de l'histoire et d'une désastreuse volonté de rester inertes face à une Russie qui pratique le massacre dans ses propres frontières et cherche à imposer à tous sa logique impériale.

Cette région restera un foyer de guerre tant que la Russie n'aura pas démontré par son retrait qu'elle a renoncé à la soumission des Tchétchènes.

Il appartient à tous les pays démocratiques, anciens et nouveaux, d'être d'une extrême fermeté avec la Russie et de lui tracer les lignes de ce qui est acceptable. Il appartient à toutes les personnes qui ont quelque estime pour la liberté de soutenir les Tchétchènes.

Georges Charachidzé est professeur à l'Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco).

Ce texte a été cosigné par Timmour Bammate, Marie Benningsen-Broxup, Wladimir Berelowitch, Pierre Bourdieu, Yves Coben, Alain Finkiekraut, Maurice Godelier, Véronique Nahoum-Grappe, Bernard Outtier, Catherine Paris, Jacques Rancière, Véronique Schiltz, Silvia Serrano, Alain Touraine, Charles Urjewicz et Pierre Vidal-Naquet.

 
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