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Partito Radicale Centro Radicale - 25 giugno 1996
Tribunal internazionale

LA HAYE, TRIBUNAL OBSTINE

Le tribunal pénal international mène un combat quotidien pour juger les crimes contre l'humanité commis dans l'ex-Yougoslavie. Malgré l'absence des deux chefs de guerre serbes de Bosnie, Radovan Karadzic et Ratko Mladic, les magistrats procéderont, à partir du 27 juin, à l'audition publique des témoins à charge. Un moyen de sensibiliser l'opinion et de renvoyer les Etats à leur responsabilités.

par Claire Tréan

Le Monde, mardi 25 juin, 1996

AVEC un sourire satisfait, comme si le pire était passé et l'essentiel acquis, Richard Goldstone peut dire : C'est la fin du commencement. Il est, depuis deux ans, le procureur général du premier tribunal pénal créé par les Nations unies, pour punir les crimes commis dans l'ex-Yougoslavie, et, n'ayant ménagé sa peine ni auprès des puissants ni auprès de la presse, il est devenu l'un de ces héros médiatiques qui contribuent parfois à ce que l'improbable se produise. Ce Tribunal pénal international (le TPI), dont on ne donnait pas cher lorsque sa création fut annoncée, début 1993, par le Conseil de sécurité de l'ONU, existe aujourd'hui bel et bien et rend justice. Il a ouvert le mois dernier son premier procès et devrait prononcer, dès juillet, dans une autre affaire, sa première sentence pour crimes contre l'humanité. Il a déjà inculpé cinquante-sept personnes, en a fait mettre six sous les verrous à La Haye et mène actuellement sur le terrain une vingtaine de nouvelles enquêtes; d'autres suivront, tant que l

'ONU lui prêtera vie. Jusqu'à quand et jusqu'où ? Le TPI fait beaucoup parier de lui depuis quelques mois. A partir du 27 juin, il procédera à l'audition publique de témoins à charge contre Ratko Mladic et Radovan Karadzic, ses deux principaux accusés. Mais ce ne sera pas un procès, car les deux chefs de guerre serbes de Bosnie courent toujours, et il ne s'agira, pour le Tribunal, que de se faire à nouveau bruyamment entendre, de prendre l'opinion à témoin et de renvoyer les Etats à leurs responsabilités. Mladic, Karadzic et les autres, les vrais responsables des atrocités perpétrées en Croatie et en Bosnie, seront-ils jamais déférés à La Haye ? Le TPI pourra-t-il jamais se libérer de son handicap de départ, celui d'être né du cynisme des grandes puissances auxquelles, à l'origine, il était supposé servir d'alibi ? C'était l'époque où les médias montraient en direct l'horreur de la guerre en Bosnie et où le discrédit s'abattait chaque jour un peu plus sur les occidentaux qui la laissaient faire. L'idée naqui

t alors dans la tête, ou dans l'entourage, du juriste et alors ministre des affaires étrangères français, Roland Dumas, d'invoquer la justice des nations et d'inventer un tribunal. C'était grand, c'était noble - le droit comme instrument contre la barbarie -, cela ne mangeait pas de pain et pouvait donner l'impression aux opinions publiques qu'on faisait quelque chose. On prétendait dissuader les crimes en promettant de les punir. Comme en convient aujourd'hui un diplomate français, -punir n'était pas à l'époque le premier souci des Etats, et le projet du TPI ne s'avéra pas dissuasif. Mais une idée était née, à laquelle les Américains en particulier allaient adhérer d'emblée, par goût de la chose judiciaire, ou de l'expérimentation, ou encore parce que le projet convenait à leur approche moralisante de la guerre de Bosnie. lis y consacrèrent tout de suite d'importants moyens matériels et humains, tandis que la France inconstante, une fois lancée l'idée, n'allait, pour longtemps, plus guère se soucier du conc

ret. Des magistrats, des enquêteurs des quatre coins du monde furent dépêchés à La Haye. Et malgré les énormes difficultés initiales (la précarité des moyens budgétaires, l'attente d'un procureur que le Conseil de sécurité de l'ONU mit près d'un an à désigner), ils prirent au mot leurs mandataires, et se mirent au travail. Ils inventèrent les règles de leur justice (le règle-ment de procédure et de preuve), vécurent les affres du métissage entre le droit latin et le droit anglo-saxon, lequel prit largement le dessus. ils se mirent à dépouiller desmontagnes de documents sur les événements de Croatie et de Bosnie, venus des organisations humanitaires, de la presse, des envoyés spéciaux de l'ONU, et, avec les moyens du

bord, ils lancèrent les premières enquêtes. Il y fallait une sorte de foi, car rien ne garantissait au départ que le Tribunal de La Haye aurait jamais sous la main le moindre accusé à juger. Il en a aujourd'hui quelques-uns, mais pas du plus gros calibre, et la question demeure: le TPI n'a pas de police et dépend toujours totalement de la coopération des Etats (essentielle-ment ceux de l'ex-Yougoslavie) pour que lui soient livrés les accusés. Il dépend toujours large-ment de la coopération des gouvernements occidentaux pour rassembler certains éléments de preuve qui sont de l'ordre du renseignement ou du secret militaire. Enfin, il dépend toujours intégralement du Conseil de sécurité de l'ONU, en mesure, s'il le voulait, soit de mettre un terme à l'aventure, soit de la laisser péricliter lentement en serrant les cordons de la bourse. Sur ce dernier point, la tendance est clairement favorable et les moyens dont dispose aujourd'hui le TPI, après les années de vaches maigres, sont une illustration parlante de l

a façon dont il a su s'imposer. S'il obtient ce qu'il souhaite, et c'est probable, son budget équivaudra l'an prochain à 10 % du budget de fonctionnement de l'ONU, à l'heure où l'on dégraisse et où l'on économise, surtout au siège de New York. Quant au soutien politique, Richard Goldstone affirme qu'il est plus fort que jamais, de la part des gouvernements et des organisations non gouvernementales. De fait, les tribulations du TPI ces deux dernières années, la reprise du même modèle pour le Rwanda (le TPR), ont ressuscité, chez tous ceux qui, de par le monde, s'intéressent au droit humanitaire, le vieux rêve de l'avènement d'une justice supérieure à celle, trop souvent défaillante, des, Etats. Mais, pour faire école, le Tribunal doit convaincre que le soutien des gouvernements, dont se félicite le procureur Goldstone, respecte son indépendance, et qu'il ne s'arrête pas dès que le Tribunal gêne politiquement. Cette démonstration n'est pas encore faite. L'accord de Dayton sur le rétablissement de la paix en Bo

snie avait paru pourtant, à la fin de l'année dernière, marquer un tournant pour le TPI, une victoire après la grande peur. Quand s'étaient ouverts les pourparlers, à l'automne, les magistrats pouvaient craindre d'être sacrifiés sur

l'autel d'une paix qui se négociait avec les responsables de la guerre et qui aurait pu comporter une clause d'amnistie générale.

Il n'en fut rien: le Tribunal se vit au contraire reconfirmé dans le texte de l'accord, qui obligeait les Etats ex-belligérants à coopérer avec lui, en lui fournissent les informations et les inculpés qu'il réclame ; l'accord stipulait en outre que ces derniers devaient être exclus de toute charge publique dans les pays de l'ex-Yougoslavie. Le TPI, qui avait déjà mis en accusation M. Mladic et M. Karadzic, permettait de les écarter du jeu politique bosniaque, et devenait ainsi un instrument très utile au processus de paix. Il connut alors un fort regain d'intérêt aux yeux des Occidentaux. SIX mois après Dayton cependant, seul le gouvernement de Sarajevo a rempli les engagements contenus dans l'accord, en transférant à La Haye les trois inculpés musulmans que le TPI réclamait. La Croatie est très loin du compte, la République serbe de Bosnie et la Serbie sont au degré zéro de la coopération. Contrairement à ce que stipulait l'accord, aucune sanction économique n'a été rétablie contre ces deux dernières. C'est

que la poli-tique a ses raisons,qui ne sont pas celles de la justice: on voulait priver Radovan Karadzic et Ratko Mladic de leur rôle de leader, mais, alors que s'ouvre une période sensible de préparation d'élections en Bosnie pour septembre, on ne veut pas en revanche, par des mesures trop radicales (tentative d'arrestation des deux hommes ou rétablissement de sanctions), refaire l'unité des Serbes contre le reste du monde et contre l'accord de paix.

Le soutien affiché par les pays occidentaux au Tribunal de La Haye est aussi sujet à caution en ce qui concerne l'obligation de fournir des informations. Les anciens officiers de la Forpronu, les services de renseignement qui ont observé la guerre en Bosnie, et qui devraient être des sources extrêmement précieuses pour le TPI, ne se laissent pas exploiter de bon gré. Il y a encore beaucoup de lacunes dans ce que savent les services du procureur, confirme un responsable français, en incriminant d'abord les autres (les Américains, les Anglais), mais en reconnaissant malgré tout que le ministère français de la défense n'a pas fait preuve lui non plus d'un très grand enthousiasme. Les choses se sont semble-t-il quelque peu améliorées, mais les réticences restent vives de la part d'anciens casques bleus qui se sont trouvés en Bosnie dans une situation peu enviable et qui craignent d'être mis en cause. Elles se sont améliorées apparemment aussi du côté des services de renseignement, notamment de la CIA, dont Richa

rd Goldstone a rencontré à plusieurs reprises le patron. Un article a été introduit dans le règlement du Tribunal (le 70 B) qui permet aux services du procureur d'avoir accès à des documents confidentiels, sans l'autoriser toutefois à les produire. C'est sans doute un progrès, mais, comme le fait remarquer Françoise Bauchet-Saulnier, juriste à Médecins sans frontières, tout ce qui sert à l'accusation devant obligatoirement être communiqué à la défense, du point de vue de la justice ce type de coopération est nul. Les Etats n'aiment pas fournir des preuves matérielles, ajoute-t-elle. Car, quand il y a des preuves, il n'y a plus d'espace d'influence politique. Elle fait remarquer que l'essentiel de la charge de la preuve repose sur des témoins que le Tribunal n'a pas les moyens de protéger suffisamment et dont les Etats ne se préoccupent pas. Les gouvernements occidentaux ne souhaitent vraisemblablement pas non plus que le Tribunal frappe trop haut et s'en prenne directement à Slobodan Milosevic, qui fut, et r

este, le partenaire crucial du rétablissement de la paix en Bosnie. Richard Goldstone se défend, pour sa part, de toute rétention de cette nature. Qu'un m'apporte des preuves l'impliquant directement dans des crimes de guerre et je l'inculperai, répond-il en substance, lorsqu'on s'étonne de l'impunité dont parait jouir à ce stade le président de Serbie. Ces preuves sont, probablement, difficiles à établir, mais il n'est pas certain que telle ait jamais été la priorité du procureur. Les reproches des juges à l'en contre de la politique pénale menée par Richard Goldstone ne sont plus un secret pour personne. Cette politique reposait dès le départ sur l'idée, prudente, qu'il fallait partir du bas, accumuler les

preuves et remonter progressivement les filières vers le haut. Le résultat, c'est un certain désordre dans les enquêtes, des dizaines de procès-verbaux inexploités ; cinquante-sept actes d'accusation, certes, établis sur la base d'enquêtes extrêmement méticuleuses préparant des procès très longs. mais trop peu de moyens affectés, parfois trop tard, à des zones d'investigationqui auraient dû être prioritaires, comme Srebrenica. CETTE enclave musulmane de Bosnie orientale a été, l'été dernier, le théâtre du l'un des épisodes les plus noirs de la guerre, le plus compromettant pour M. Karadzic et M. Mladic, mais aussi pour l'année de Serbie, pour les responsables de la Forpronu et pour les Occidentaux. Le., enquêteurs du TPI y sont arrivés les derniers, raconte Françoise Bouchet-Saulnier, après les organisations humanitaires et les officiels américains. L'officier néerlandais qui était à l'époque l'adjoint du général janvier, commandant des casques bleus, et qui s'est exprimé devant des journalistes sui l'abando

n de l'enclave par la Forpronu, n'a même pas été entendu par des enquêteurs du TPI, qui auraient dressé un procès-verbal d'audition. On s'est contenté de la lecture de documents de debriefing. Le TPI n'est pas le Tribunal de Nuremberg, qui n'avait à juger que les hauts responsables. Mais il n'est pas là non plus pour ne juger que des Tadic, déclare un magistrat de La Haye. Il aurait fallu partir des leaders. On se demande si c'est pour des raisons politiques ou par manque de professionnalisme que certaines enquêtes ne sortent pas, dit un autre contestataire, qui s'étonne que des personnages aussi redoutables que les chefs de milices serbes Arkan ou Seselj n'aient toujours pas fait l'objet d'une mise en accusation et poursuivent leurs activités politiques en Serbie ; ou encore que le régime croate n'ait même pas été contraint à la moindre épuration dans ses rangs.

C'est contre ces faiblesses que l'aile la plus dynamique du Tribunal de La Haye (des juges, parmi lesquels Claude Jorda, ancien procureur près la Cour d'appel de Paris, et le président du Tribunal, Antonio Cassese, notamment) mènent un combat quotidien. C'est grâce à eux qu'ont été dressés, en juillet puis en novembre 1995, les actes d'accusation contre Ratko Mladic et Radovan Karadzic pour leurs responsabilités dans la guerre de purification ethnique et dans les événements de Srebrenica.

C'est grâce à eux qu'a été introduit, dans le règlement du TPI, le fameux article 61 permettant d'auditionner des témoins à charge en l'absence des accusés, par lequel ils espèrent, dans quelques jours, remobiliser les opinions et redonner mauvaise conscience aux gouvernants. Ce sont eux qui demandent en permanence des comptes à un procureur qu'ils jugent - du fait de son statut plutôt que de sa personne - à la fois trop puissant par rapport à eux, car sent maître de l'opportunité des poursuites, et trop exposé aux pressions de gouvernements qui ne veulent voir dans le Tribunal qu'un simple instrument du rétablissement de la paix. C'est grâce à eux aussi que le Tribunal a gagné en crédibilité et conquis des parcelles d'indépendance. Nous devons être besogneux, mais pas humbles, explique Claude Jorda. Nous ne devons pas nous excuser de réclamer nos accusés. Nous devons "faire nos articles 6l". Nous disposons d'un espace judiciaire, nous devons l'occuper. Bref, durer.

 
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