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Partito Radicale Centro Radicale - 2 luglio 1996
Wei Jingsheng

JE PENSE A VOUS WEI JINGSHENG

Par Yves Simon

Libération, mardi 2 juillet 1996

Je pense à vous, Wei Jingsheng. Chez moi, à Paris, votre nom se forme dans mes pensées en imaginant toute la différence: vous êtes dans une prison, privé de l'essentiel, de la liberté de mouvements, d'échanges, de paroles, de gestes d'amour. Privé de tout ce qui fait que l'on s'inscrit dans un présent et que l'avenir se dessine vaille que vaille. Tout ce qui fait que le temps qui passe n'est pas une pause indéfinie, mais se vit avec des repères qui s'observent sur les visages, sur les fleurs, sur les bosses des voitures, les arbres et le crépi des maisons. Le monde est immense et imaginatif, fait d'océans et de couleurs, d'espace et d'inattendu. Le vôtre est redessiné par une condamnation, réduit à quelques murs, des couloirs rectilignes et des carrés de ciel. Une géométrie de l'enfermement qui ne comporte que des brisures, sans aucune des courbes du hasard. Vous avez déjà passé un tiers de vie ainsi, seul, avec l'intime conviction qu'aucun de vos actes n'a commis l'irréparable, qu'aucun de vos gestes n'a vo

lé ni blessé, n'a osé l'acte impérialiste de troubler l'intégrité d'une vie, la jouissance d'une quiétude. Avec encore l'intime conviction d'être en accord avec vous-même et avec l'Histoire à qui l'on suppose une seule détermination: la libération de l'arbitraire d'un système, ou d'un homme, sur les autres hommes. Un tiers de vie, c'est toute la vie. Ce sont trop de jours et de nuits inutiles passés sans musique, sans les voix aimées, sans le réconfort des mains amies, sans la nonchalance des aurores de printemps, sans la force qu'apportent les foules et les élans communs. Wei Jingsheng, votre vie, c'est la solitude et le doute permanent de n'être qu'un point d'histoire et de géographie dans un monde indifférent. Cette lettre intervient afin que vous ayez connaissance de ce réseau invisible qui vous relie aux autres, à ceux qui chuchotent votre nom, le prononcent devant un micro, devant une caméra, l'écrivent, le mémorisent et vous extirpent de cette manière de la pire des prisons: l'oubli. Votre corps subit

l'outrage de l'enfermement et des brimades tandis que votre image se dresse par-delà les frontières, que votre nom traverse les montagnes et circule dans les lettres, les journaux et les avions comme un mot d'espéranto qui signifierait courage. La fibre circulation de votre nom dans les espaces du monde ne peut, je le sais, cautériser les blessures que subit votre personne. Rien ne peut venir soustraire une once de douleur à la douleur. Elle est entière, unique et inconsolable. Ces mots ne sont qu'un morceau d'humanité envoyé par le courrier du désespoir, à vous l'homme blessé, vous le représentant du monde, vous que l'on ne peut qu'imaginer tant votre réalité nous est soustraite par ceux qui tentent de vous effacer de nos existences. Mais cette tentative d'escamotage par vos censeurs, qui se voudraient magiciens, rend votre présence dans nos pensées terriblement réelle; vous êtes le songe et l'ami, l'homme que l'on a rêvé d'être, ambassadeur des peines infinies, la victime muette qui fait crier le reste de

s hommes. Le reste des hommes, c'est l'humanité tout entière sans vous, sans votre voix, sans votre rire ni le ballet de vos mains pour dessiner une conversation. Vous manquez au reste des hommes, Wei Jingsheng. Ils vous attendent, maintenant, ils exigent votre retour parmi eux. Le jour et la nuit vous réclament, la pluie et le bruit de la mer également, car votre seule absence dépeuple toute la beauté du monde.

 
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