CHINE-TIBET: INDIGNATION SELECTIVE
Par Thomas Nagant
Le Soir, jeudi 4 juillet 1996
A l'annonce d'un nouvel essai nucléaire chinois dans la Province du Xinjiang, le concert des réprobations -justifiées s'est élevé avec une rapidité stupéfiante, qui tranche avec l'habituelle retenue des États occidentaux lorsqu'il s'agit de la Chine.
On se réjouira bien sûr de cette vigilance internationale au regard des menaces que font peser sur la planète les arsenaux nucléaires et il faudra encore longtemps combattre, sans doute, pour obtenir la fin définitive d'essais pratiqués dans des conditions qui mettent en péril et la stabilité mondiale et l'environnement des régions choisies comme zones d'expérimentation. Il n'empêche qu'on reste interdit face aux indignations sélectives des démocraties occidentales. Quel État européen s'est élevé contre les récentes mesures d'intimidation et de répression des autorités chinoises au Tibet (occupé illégalement par la Chine depuis 1950), qui sont venues renforcer l'arsenal des moyens répressifs utilisés par la Chine pour mater toute velléité d'expression d'indépendance des Tibétains? Réponse: pas un seul. Quel État européen s'est déjà intéressé au sort du jeune Gendhum Choekyi Nyima, âgé de six ans, et reconnu par le dalaï-lama comme la réincarnation du précédent penchants lama? Réponse: aucun. Or, les autorité
s chinoises reconnaissent aujourd'hui ce qu'on savait depuis plus d'un an, à savoir qu'elles retiennent le petit garçon dans un lieu secret, ce qui en fait le plus jeune prisonnier de la planète. Au lieu de manifester sa réprobation, l'Occident s'est jusqu'ici contenté de recevoir en grande pompe les plus intransigeants des membres de la direction chinoise, ou de donner un solide coup de main à la Chine devant la Commission des droits de l'homme des Nations unies. Triste bilan... C'est pourquoi les protestations judicieuses d'aujourd'hui contre les essais nucléaires chinois laissent comme un goût amer... Elles signifient que la dénonciation du génocide du peuple tibétain ne vaut pas - aux yeux des démocraties - l'enjeu économico-stratégique des essais nucléaires. Or, il y a décidément urgence! Plus d'un million deux cent mille Tibétains ont déjà péri des suites de l'invasion chinoise, entre 1950 et 1980. On ne connaît pas le nombre des victimes décédées depuis lors. Pour une population tibétaine de souche d
'à peu près six millions d'individus, on compte déjà plus de sept millions de colons chinois sur le toit du monde, et tout indique que le rythme des transferts de population va s'accentuer. Meurtris dans leur chair, les Tibétains le sont également dans leur culture et leurs traditions, réduites à rien par près de cinquante années d'occupation. Et C'est aujourd'hui l'écosystème d'une région essentielle pour l'Asie qui est gravement perturbé par l'exploitation éhontée des ressources naturelles ou géologiques du Tibet. Du reste, on sait à présent que la Chine se sert du Tibet comme d'une poubelle pour ses déchets nucléaires, lesquels sont, dans la région du lac Kokonor, abandonnés presque à l'air libre, sans aucune garantie pour la santé des populations. Afin de réagir face à cette amnésie collective de la communauté internationale concernant la question tibétaine, les groupes de soutien au Tibet se mobilisent un peu partout dans le monde pour obtenir des parlements et des gouvernements des prises de position é
nergiques. Il s'agit de reconnaître que la cause initiale du drame tibétain réside dans l'invasion illégale du Tibet par la Chine et dans le non respect par cette dernière du droit à l'autodétermination des Tibétains. Mais au-delà du droit et de ses subtilités, il s'agit dereconnaître que le Tibet et son peuple subissent le joug infernal q'un régime colonial, arbitraire et aveuglément répressif; que par conséquent la communauté internationale, au regard de l'évolution récente des mentalités (notamment une résolution des Nations unies portant sur le devoir d'ingérence humanitaire) se doit d'inter-venir au moins diplomatiquement et politiquement. En Belgique, les deux assemblées fédérales sont saisies d'un texte de résolution à ce sujet. Les multiples témoignages de sympathie et de soutien que nous avons reçus de la part de parlementaires de tous bords nous incitent à un optimisme relatif. Il n'en demeure pas moins que la simple compréhension des faits - pourtant constatés - et de concepts fondamentaux du droi
t international s'avère très difficile à obtenir de la pan de certains groupes politiques... La Commission des Affaires étrangères du Sénat en particulier reste tétanisée par la crainte d'hypothétiques mesures de rétorsion (commerciales) chinoises, et en appelle au réalisme ... A cela, nous répondons que si le récent essai nucléaire chinois a arraché des cris d'indignation à notre diplomatie, nous ne comprendrions pas que la mort programmée d'un peuple ne lui soutire pas même une ]arme. Et nous disons également que l"engagement commercial des États occidentaux en Chine est le fruit d'une stratégie fondée sur le court terme, qui ne profite ni au peuple chinois, ni à l'emploi dans nos pays, tant il est vrai que, d'une part, les produits de la croissance chinoise sont confisqués par le régime et que, d'autre part, les opérations de transfert de technologies nous placent irrémédiablement dans une situation de déficit commercial grave vis-à-vis de la Chine. Aux Tibétains qui luttent de manière non violente pour
leur liberté, nous devons répondre par un message d'espoir et de soutien, et par la fermeté à l'égard d'un régime dont tout indique y compris son souci de perfectionner son arsenal nucléaire qu'il n'entend pas s'intégrer dans une vision plus pacifique et plus humaine du monde à venir.