NOUS VOULONS JUGER LES TETES POLITIQUES ET MILITAIRES
La stratégie et les objectifs du TPI selon son procureur adjoint Graham Blewitt.
Receuilli par Pierre Hazan
Libération, Jeudi 11 juillet 1996
Dans un tribunal dont les règles sont largement inspirées du droit anglo-saxon, le rôle du procureur adjoint Graham Blewitt est capital, car c'est le bureau du procureur qui a l'initiative de lancer des actes d'accusation. Quels enseignements tirez-vous des audiences relatives aux actes d'accusation contre Radovan Karadzic et le général Mladic?
Au-delà de l'émission des mandats d'arrêts internationaux contre ces deux hommes qui devrait intervenir ce jeudi, notre but a été de faire pression sur les médias, l'opinion publique et le Conseil de sécurité pour que les criminels soient déférés devant la justice internationale. Nous espérons avoir généré suffisamment de détermination au sein de la communauté internationale pour que nul criminel ne puisse encore croire à son impunité.
Jusqu'ici quelque 73 personnes ont été mises en accusation. Quelle est la stratégie du Tribunal?
Notre objectif n'est pas d'avoir des centaines d'accusés qui ont participé à l'exécution des crimes. Nous voulons juger les têtes politiques et militaires qui sont les principaux responsables. C'est le sens de nos enquêtes que nous menons auprès des parties impliquées. Notre objectif est d'établir les chaînes de commandement. C'est pourquoi nous avons d'abord mis en accusation des exécutants subalternes, puis nous sommes remontés vers le sommet. Nous en sommes aujourd'hui au niveau des maires et des chefs de police des villes. Il ne nous manque que les responsables des crimes à l'échelon régional, avant d'arriver aux têtes politiques et militaires.
Ne pensez-vous pas mettre en danger la crédibilité du Tribunal,si votre prison reste presque vide?
Ce n'est pas la crédibilité du Tribunal qui serait en question, mais celle des grandes puissances qui ont les moyens d'agir et d'arrêter des criminels, mais dont la volonté politique fait défaut. Les forces de l'Otan en Bosnie ont à la fois le mandat et la capacité d'agir, qu'elles n'ont pas utilisés jusqu'ici.
Pourquoi aucun acte d'accusation n'a-t-il été formulé contre Milosevic ou contre les chefs de milices serbes?
Il n'est pas facile de bâtir un acte d'accusation. Nous devons détenir des preuves. Nous devons identifier les responsables avant de les inculper.
Lors des audiences, le bureau du procureur a montré des photos aériennes de Srebrenica juste avant et après les exécutions de masse. Etes-vous en possession de clichés durant les exécutions ou en auriez-vous connaissance?
Nous ne possédons pas ces clichés et je doute qu'ils existent. Pour autant que je sache, les photos aériennes sont prises sur des bases irrégulières et le résultat obtenu dépend notamment des conditions atmosphériques.
Le procureur Richard Goldstone a rencontré à plusieurs reprises le chef de la CIA, John Deutch. Etes-vous satisfait aujourd'hui de la coopération que vous avez avec les agences d'information?
Oui, les Américains coopèrent maintenant, et dans une moindre mesure, les Britanniques, puis en der-nier heu, les Français.
Vous subissez de fortes pressions notamment de pays de l'Otan qui redoutent que votre activité vienne perturber le processus de paix. Comment réagissez-vous?
Nous nous trouvons dans une situation où nous ne pouvons pas ignorer les implications politiques de notre travail, mais nous ne pouvons non plus accepter que la politique nous dicte quoi faire. comment jugez vous le niveau de coopération avec la Yougoslavie?
Belgrade ne voulait pas coopérer avec le TPI, mais a changé d'avis. Des signaux positifs existent. Ceci dit, Belgrade n'a jamais appréhendé Karadzic et Mladic lorsqu'ils se sont trouvés sur son territoire, ni du reste, @a arrêté trois officiers de l'armée yougoslave recherchés dans le cadre des crimes commis à Vukovar. Ancien membre de l'unité de recherche des nazis en Australie,vous occupez aujourd'hui un rôle clé au TPI.Sur quoi repose votre engagement?
Je ne mène pas de croisade. Presque par accident, j'ai été affecté à la recherche des criminels nazis. J'ai alors pris conscience le monde a besoin d'une Cour permanente de justice pour dissuader des chefs politiques de commettre des génocides. J'espère que le TPI s'avérera être un pas dans cette direction.