WEI JINGSHENG FACE A SES JUGES (2)
Défendre la démocratie et les droits de l'homme n'est pas un crime!
In "La lettre d'information", commission internationale d'enquête du mouvement ouvrier et démocratique contre la répression en Chine - Nr 59 - 15 juillet 1996
Après avoir réfuté l'achat de parts d'une banque pour le fonds d'aide aux victimes et familles de victimes de la répression, Wei Jingsheng s'attache à défendre la démocratie.
VI. (... ) Ce que j'entends, moi, par mouvement démocratique est ceci: la démocratie n'est pas un cadeau d'un quelconque sauveur suprême, mais elle appartient au peuple lui-même, notamment aux ouvriers et aux paysans. De ce fait, il faut entreprendre sur une grande échelle un travail de longue haleine pour que le peuple s'éduque et se libère lui-même, pour élever progressivement la conscience qu'il a de ses propres droits et pour renforcer sa capacité à se défendre et à étendre le champ de sa propre autodirection. Il faut créer un climat de tolérance et de confiance mutuelle, de façon telle que les divers problèmes et conflits puissent s'exprimer, se discuter et se résoudre ouvertement et par des moyens légaux. Des Chinois dont les intérêts, les convictions, les origines ethniques sont différents et qui sont originaires de régions différentes pourront alors maintenir leurs positions propres et coexister pacifiquement, de façon ouverte et légale. Voilà ce que j'entends par mouvement démocratique. Cela n'a rie
n à voir avec une quelconque conspiration visant à renverser le gouvernement. Tout gouvernement doit savoir accepter des changements. Les règles de tels changements sont inscrites dans la Constitution et les lois du pays. (...)
VII. (...) M'accuser d'en avoir appelé aux Etats-Unis afin qu'ils poursuivent leur pression contre la Chine est tout aussi éloigné de la vérité. Je peux dire cela parce que, quels que soient les appels que j'ai pu lancer, je n'en ai jamais appelé aux Nations Unies pour qu'elles révoquent la clause de la nation la plus favorisée attribuée à la Chine. Utiliser la menace contre ce statut comme moyen de pression fut une décision du gouvernement des Etats-Unis et de leur Congrès. En outre, ce fait eut lieu bien avant que j'aie été libéré. Quel rapport entre tout cela et le citoyen chinois que je suis?
De plus, la Constitution et la loi accordent aux citoyens chinois des droits qui leur permettent d'exprimer leurs opinions. Ces droits sont les libertés d'expression, de la presse, de réunion, d'association, de critique à l'égard du gouvernement, et ils incluent le droit de lancer des appels et d'exercer une pression directe sur le gouvernement. Il s'agit de droits inaliénables du peuple, maître du pays.
(...) D'abord, je suis très attentif au souhait légitime de l'opinion publique du monde entier, notamment celle des Etats-Unis, de voir le gouvernement chinois améliorer sa situation dans le domaine des droits de l'homme. Quand le gouvernement chinois utilise ses organes militaires, policiers et judiciaires pour abolir la liberté d'expression du peuple et son droit à l'information, le peuple chinois perd son droit de contrôler et de changer le gouvernement... Dans ces conditions, il devient encore plus important pour lui de recevoir l'aide légitime de l'opinion publique démocratique internationale et de ses amis du monde entier...
Ensuite, en raison du tort que la révocation du statut de nation la plus favorisés pourrait causer à l'économie chinoise, mon point de vue diffère de celui de mes amis de l'étranger. Je ne pense pas que ce soit là la meilleure méthode, car les victimes directes de telles mesures seraient les Chinois qui sont déjà touchés par la misère. Une pauvreté encore plus grande pour eux ne constituerait aucunement une menace contre les bureaucrates et les officiels corrompus qui contrôlent le gouvernement, car ceux-ci se soucient peu que des gens vivent ou meurent. (...)
Aussi, tout en déployant des efforts pour amener le gouvernement chinois à mieux respecter les droits de l'homme, je souhaite d'autres solutions que des sanctions économiques, et qui ne soient pas de nature à nuire au peuple chinois. J'ai toujours soutenu ce point de vue, et je l'ai fait savoir à la presse, à tous les membres du Congrès des Etats-Unis et à tous les représentants du gouvernement américain que j'ai rencontrés. A John Shattuck, secrétaire d'Etat adjoint, j'ai dit que, quel que soit le résultat des négociations diplomatiques sino-américaines, j'espérais que les Etats-Unis ne supprimeraient pas la clause de la nation la plus favorisée. Shattuck m'a répondu qu'il comprenait ma position et qu'il transmettrait mon message au président Clinton et au secrétaire d'Etat Warren Christopher. Cela peut être attesté par M. Shattuck. Je demande à la Cour de solliciter son témoignage. (...)
IX. Le fait de publier des articles à l'étranger n'est pas soumis à la juridiction de la loi chinoise. Tant qu'aucune loi du pays n'est violée, une telle publication doit être réputée légale. La Chine n'a pas le droit d'étendre sa juridiction aux pays et aux régions situés hors de ses frontières. Même à l'intérieur des frontières chinoises, chacun doit répondre aux lois de sa région, puisque les lois varient d'une région à l'autre. Si les lois régionales ne considèrent pas une action comme illégale, celle-ci est une action légale. Aucune loi des autres régions ne peut sortir de ses limites pour accuser quelqu'un. De ce fait, en avançant des charges relatives à un article publié à l'étranger, l'acte d'accusation est coupable d'outrepasser les limites de la loi...
Je n'est pas publié d'articles de presse, ni mes "Lettres de prison", à l'étranger avant d'en avoir obtenu la permission explicite du gouvernement chinois. Les officiers de police de la Première Section du Bureau de la sécurité publique de Pékin peuvent l'attester. Même si ces articles avaient été publiés à l'intérieur des frontières chinoises, cette publication aurait encore eu lieu dans le cadre des libertés d'expression et de la presse. Accuser de crime un citoyen pour une action qui ressortit à l'exercice de ses droits est en fait une tentative de supprimer progressivement le droit de ce citoyen aux libertés d'expression et de presse.
Mérite aussi d'être mentionné le fait que la phrase "il n'y a jamais eu de sauveur, et nous n'avons pas à nous en remettre à un dieu ou à un empereur" fut officiellement désignée comme une incitation à la contre-révolution il y a seize ans. J'ai expliqué alors que cette phrase, tiré de "L'Internationale" ("Il n'est pas de sauveur suprême, ni dieu, ni César, ni tribun", dans la version française de L'Internationale N.d.T.), ne faisait qu'exprimer une base théorique du P.C.C. que les vétérans de la révolution nous ont apprise inlassablement. J'étais loin de m'imaginer que, seize ans plus tard, cette phrase me serait de nouveau reprochée, et cette fois comme la preuve d'un crime plus grand encore: conspiration visant à renverser le gouvernement. (...)
X. (...) D'abord, si le gouvernement qui avance ces accusations respecte les droits de l'homme et défend la démocratie, tous les appels pour qu'il mette encore plus en avant les droits de l'homme et la démocratie et toutes les critiques à propos de manquements à ces principes ne peuvent que consolider et renforcer ce gouvernement, et non le subvertir. Puisque la nature de ce gouvernement est en harmonie avec le mouvement des droits de l'homme et de la démocratie, l'interaction des deux produira des effets identiques ou similaires. Aucun ne subvertira l'autre.
Un gouvernement qui est susceptible d'être renversé par un mouvement en faveur des droits de l'homme et de la démocratie ne peut être qu'un gouvernement dont la nature est contradictoire et opposée à ces valeurs, un gouvernement qui ne respecte pas les droits de l'homme ni ne promeut la démocratie, un gouvernement de "dictature fasciste féodale". Je ne pense pas que le procureur qui officie dans ce procès représente un tel gouvernement. Parce que, selon notre Constitution et nos lois, le peuple est le maître de la nation et que le gouvernement n'est que l'exécuteur de la volonté du peuple. Le gouvernement doit respecter la souveraineté du peuple, c'est-à-dire les droits et la liberté individuelle de chaque citoyen, ce qui inclut le droit de savoir, le droit de critiquer et de contrôler le gouvernement, et même de changer le gouvernement. Si le gouvernement abolit ou supprime ces droits démocratiques, alors il devient un gouvernement illégal et perd sa légitimité...
Comme le montre l'analyse ci-dessus, quelle que soit la nature du gouvernement qui accuse, le fait de promouvoir les droits de l'homme et la démocratie, d'exposer les faits et de lutter contre les ennemis de la démocratie et des droits de l'homme ne constitue pas un crime, et encore moins un crime de conspiration visant à renverser le gouvernement. Ainsi le veut la nature même de la République populaire de Chine.
Wei Jingsheng, le 13 décembre 1995