LE MILITANT ECOLOGISTE RUSSE ALEXANDRE NIKITINE A ETE LIBERE DE PRISON
par Marie Jégo
Le Monde, Mardi 17 décembre 1996
Emprisonné sans procès depuis le 6 février 1996 par les services russes de sécurité (FSB, ex-KGB), le militant écologiste Alexandre Nikitine, soupçonné de trahison pour ses révélations sur la pollution nucléaire, a été libéré, samedi 14 décembre, de la prison Kresty de Saint-Pétersbourg. Cet ancien capitaine de marine, âgé de quarante-trois ans, est accusé par les services de sécurité russes d'avoir moyennant rétribution - livré des informations secrètes à l'organisation écologiste norvégienne Bellona sur la pollution dans la péninsule de Kola, principale base des sous-marins nucléaires de la flotte du Nord. D'après le rapport publié en août par Bellona, 21 000 mètres cubes de déchets nucléaires et 24 000 tonnes de combustible irradié sont stockés sans aucune sécurité dans la région arctique, non loin de la frontière avec la Norvège. Cette libération intervient alors que le FSB, chargé de l'enquête, s'apprête à transmettre le dossier au tribunal: les charges qui pèsent contre Alexandre Nikitine n'ont pas été
abandonnées. Le procès aura lieu, a souligné, samedi à Saint-Pétersbourg, Boris Poustyntsev, président du comité de défense du militant. Il a rappelé que Nikitine, dont même l'acte d'accusation avait été classé secret en avril, pourrait être accusé de haute trahison et espionnage selon l'article 64 du code pénal russe, qui prévoit la peine capitale. Plus optimiste, l'avocat de la défense, Iouri Schmidt, a estimé que l'affaire une défaite pour le KGB - pourrait être classée sans suite. Spécialisé dans la défense des dissidents à l'époque soviétique, Iouri Schmidt a engagé depuis dix mois un véritable bras de fer avec le FSB, dont les fonctions de police politique ont été réanimées en mars 1995. Choisi pour assurer la défense d'Alexandre Nikitine, Iouri Schmidt avait immédiatement été récusé par le FSB pour avoir refusé de se soumettre à une série de mesures telles que l'interdiction de voyager à l'étranger, l'ouverture de son courrier par les organes (services spéciaux) et la mise sur écoute de son téléphone
. Si la Cour constitutionnelle a tranché en faveur de l'avocat au printemps, ce n'est que le 1 octobre que celui-ci a pu avoir accès au dossier, vide selon lui. Car les défenseurs d'Alexandre Nikitine sont unanimes: il s'agit pour eux d'une affaire politique. Comment, sinon, expliquer l'acharnement du FSB qui a mis le téléphone de Mr Nikitine sur écoute et qui, depuis octobre, refuse d'accorder le moindre visa d'entrée aux militants de Bellona? D'après l'hebdomadaire Novaïa Gazeta, qui publie dans son dernier numéro des extraits du rapport de Nikitine à l'organisation écologiste norvégienne, le puissant FSB et quelques amiraux du ministère de la défense auraient mal supporté les révélations de l'officier Nikitine sur la tragédie du sous-marin nucléaire Komsomolets, au cours de laquelle, en 1989, en mer de Norvège, quarante-deux membres d'équipage avaient péri, sans qu'il ait jamais été possible de faire la lumière surles causes de cet accident. Dans son rapport, Alexandre Nikitine mettait en cause la respons
abilité du commandement de la flotte du Nord, qui avait autorisé la sortie du sous-marin malgré les problèmes mécaniques signalés par le commandant du bâtiment. Il est clair qu'aucune information secrète n'est contenue dans le rapport de l'organisation Bellona, conclut l'hebdomadaire.