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Russie/Affaire Nikitine

par Jean-Baptiste Naudet

Le Monde, samedi 29 mars 1997

LORS QU'ILS ont sonné à sa porte, ce soir du 6 octobre 1995, Alexandre Konstantinovitch Nikitine ne se doutait pas que, comme le disent aujourd'hui ses défenseurs, le sort de la démocratie en Russie serait en jeu. Il était 21 heures. Cet ancien officier de la marine soviétique n'attendait personne, surtout pas un rendez-vous avec le destin. Il ne savait pas qu'on dirait bientôt l'affaire Nikitine, comme on dit l'affaire Dreyfus. Sa femme, Tatiana Tchemova, fille de l'amiral Tchemov (ce détail allait avoir son importance), s'occupait des affaires de la maison. Sa fille, Loulia, dix-huit ans, lisait dans sa chambre. Jusqu'à ce moment-là, Alexandre, quarante-quatre ans, n'avait rien remarqué d'étrange. Celui qui se définit comme un homme ordinaire pris dans des événements extraordinaires n'avait pas vu que des voitures le suivaient. Il n'avait pas remarqué les bruits étranges de sa ligne de téléphone. Comme tout homme normal, je ne faisais pas attention, explique cet homme aux yeux bleus, au regard doux, à la m

oustache soignée. Aujourd'hui en liberté surveillée (il n'a pas le droit de quitter Saint-Pétersbourg), dans l'attente d'un procès ou d'un non-lieu, Alexandre Nikitine s'aperçoit que son appartement est fouillé, qu'il est suivi et écouté. Sa femme est harcelée. Même s'il est innocenté, ils ne me laisseront plus jamais tranquille, dit-il. En octobre 1992, Alexandre Nikitine avait démissionné de son posté de responsable de la sécurité des installations nucléaires au ministère de la défense. Cet ingénieur, qui avait servi pendant onze ans dans la flotte des sous-marins atomiques de la mer du Nord, jugeait que sa tâche était devenue impossible, faute de financement. Et, citoyen russe, mais ukrainien d'origine, il craignait que les tensions entre la Russie et une Ukraine nouvellement indépendante ne mènent à une guerre entre son pays d'origine et son pays &adoption. Hier, ils ont fait la guerre pour la Tchétchénie, demain ils pourraient se battre pour la Crimée, lâche-t-il. Début 1995, Alexandre avait accepté de

travailler comme expert pour l'association écologiste norvégienne Bellona sur la flotte russe du Nord et les sources de contamination nucléaire, un sujet qu'il connaissait bien. Même si ce travail ne payait pas beaucoup, il passionnait Alexandre. Et les autorités russes, civiles ou militaires, semblaient heureuses de voir que ces travaux allaient sans doute attirer les crédits internationaux nécessaires pour éliminer les sous-marins nucléaires hors service qui s'entassent, menaçant le Nord russe et la Norvège d'une catastrophe qui pourrait être plus grave que celle de Tchernobyl. Alexandre Nilkitine avait présenté ses travaux au commandant-adjoint de la flotte du Nord, et même au commandant-adjoint de la marine russe, l'amiral Viktor Topilin. Mais quand, ce 6 octobre, Alexandre a ouvert la porte de son petit appartement, situé dans un quartier industriel de la banlieue de Saint-Pétersbourg, il y avait beaucoup de monde sur le palier. Six hommes qu'il n'avait jamais vus auparavant. Ils ont tendu leurs cartes

: Federalni Sloujba Biézapasnostié (FSB). C'est-à-dire Service fédéral de sécurité, le nouveau nom de la police politique russe, anciennement connue sous le nom de KGB.Les hommes des organes lui ont montré une feuille. C'était un ordre de fouille. J'étais tellement choqué que je ne l'ai pas lue jusqu'à la fin, raconte Alexandre. Il leur a demandé ce qu'ils cherchaient. Drogue, armes, argent, ont-ils laconiquement répondu. Les hommes du FSB ont pris les économies que Nikitine, comme la plupart des Russes, conservait chez lui et en devises: 2 000 dollars (10 000 francs). Puis ils ont saisi des documents liés au rapport de Bellona, rempli un procès-verbal, avant de lui proposer de l'accompagner au siège local du FSB. Il était 23 h 30. Encadré de trois hommes en gris, il est parti à l'arrière d'une Lada. Au siège du FSB, Us l'ont questionné jusqu'à 4 heures du matin. C'était comme dans un film, se souvient Alexandre. C'était la nuit. Dans le bureau, il y avait, sur un mur, le portrait de Lénine et, sur un autr

e, celui de Dzerjinski, le fondateur de la police politique soviétique. Le mobilier était d'époque stalinienne L'enquêteur du FSB, un certain Maximenko, avait la tête de l'emploi, poursuit Alexandre. Alors, on parle quelle langue: russe ou ukrainien ?, lui demanda l'enquêteur du FSB. Puis l'interrogatoire a porté sur sa vie privée, sur ses activités pour Bellona. Nikitine a tout expliqué. Depuis le début, le FSB était au courant de son travail. A Mourmansk, la base de la flotte de la mer du Nord, il avait parlé aux gens du service. Il était même heureux de ces contacts. je me disais que, si on tombait sur quelque chose qu'ils pensaient être un secret, ils nous préviendraient, dit-il. Alexandre pensait qu'il s'agissait d'un malentendu. je croyais que je pouvais leur expliquer ce qui n'était pas clair pour eux, se sonvient-il. Le FSB jugeait que le rapport de Bellona contenait des secrets d'Etat et lui demandait d'où venaient les informations. Nikitine répondait tranquillement, paragraphe par paragraphe. Tout

était public, disponible sur Internet, tout avait été rédigé à partir de sources ouvertes: un article du quotidien moscovite la Nezavissimaïa Gazetta, des livres publiés en Russie, parfois à des dizaines de milliers d'exemplaires, sur les accidents dans les sous-marins nucléaires. En quatre mois, entre le 6 octobre 1995 et la date fatidique du 6 février 1996, Alexandre s'est rendu six fois, comme témoin, au siège du FSB de Saint-Pétersbourg. Maintenant, il remarquait qu'il était suivi dans la rue, que son téléphone fonctionnait mal. Le FSB lui avait confisqué son passeport. Le piège se refermait. Lorsque, pour la seconde fois, la sonnette a retenti à une heure inhabituelle (il était 7 heures du matin ce 6 février 1996), Alexandre Nikitine a tout de suite compris qu'il se passait quelque chose d'anormal. Il a immédiatement reconnu un des hommes du 6 octobre. Les employés du FSB ont insisté pour l'accompagner à une convocation sans préavis, à 8 heures du matin. Quand sa femme a voulu prévenir les parents, nou

s nous sommes aperçus que le téléphone était coupé, et j'ai compris que c'était grave, raconte Nikitine. Mais les hommes du FSB ont calmé sa femme: Ne vous inquiétez pas. Il revient dans une heure. Une heure qui allait durer dix mois et huit jours. Alexandre est parti à l'arrière d'une Volga jusqu'au numéro 4 de la rue Litieni, le siège du FSB de Saint-Pétersbourg. Dans le bureau habituel, ils m'ont montré un papier. C'était incroyable. En lisant je n'arrivais pas à réaliser, dit Alexandre Nikitine. En vertu de l'article 64 du code pénal soviétique alors en vigueur, cet ex-officier était inculpé de trahison, d'avoir livré des secrets d'Etat à une puissance étrangère. Et la peine maximale,c'était la mort. Quatre heures plus tard, l'enquêteur du FSB est revenu avec un mandat d'arrêt. Les gardes l'ont transféré dans une cellule où se trouvait un autre prisonnier, dans la prison du KGB, située dans le même immeuble et connue sous le nom d'isolateur. Le sol était en béton. Au robinet, l'eau était glaciale. De la

petite fenêtre, il ne pouvait voir qu'un morceau de ciel. Il faisait froid, dix degrés peut-être, se souvient Alexandre. Il avait faim. Son codétenu a partagé un morceau de pain noir. Alexandre s'est mis à réfléchir. Avait-il fait, écrit quelque chose qu'il ne fallait pas? Commis une erreur ? Il avait beau tout retourner dans sa tête, il n'arrivait pas à comprendre. Peut-être, se disait-il, ai-je violé une loi sans m'en rendre compte? Mais comment et laquelle ? Pendant des heures, des jours, des semaines, des mois, rythmés par de maigres repas, il n'arrivait plus à dormir, pensant sans cesse à sa mystérieuse faute. Puis, raconte-il, j'ai compris qu'il fallait arrêter, sinon j'allais devenir fou. Il dormait tout habillé avec deux pantalons. Il avait froid, il avait faim. Le repas de midi, de l'eau chaude où nageait de la betterave, avait été baptisé par les prisonniers le sang d'un flic. Celui du soir, des pommes de terre avec des petits bouts de hareng, s'appelait la tombe. Un jour, son codétenu a fait une

crise de jalousie: Catherine Deneuve exigeait la libération de Nikitine. Alexandre a été frappé par la réaction de l'opinion internationale, notamment en France. J'ai même reçu une lettre de Jacques Chirac, se souvient-il. Ces réactions m'ont beaucoup aidé moralement pour comprendre que je n'étais pas coupable, que le FSB perdait le jeu. CAR le FSB perdait. Le 27 mars 1996, la Cour constitutionnelle de Russie reconnaissait son droit de choisir un avocat alors que le FSB voulait lui imposer le sien. En juin, la Cour suprême de Russie décidait que Nikitine devait être jugé par une cour civile, et non pas militaire comme le voulaient le FSB et le parquet. Pourtant, malgré des appels successifs, Alexandre restait en prison. En août, il devenait le premier prisonnier d'opinion en Russie reconnu par Amnesty International, qui n'avait adopté personne dans ce pays depuis le Prix Nobel soviétique Alexandre Sakharov. En septembre, Alexandre apprenait une triste nouvelle: son beau-frère, Dimitri Tchemov, ancien adjoint

sur un sous-marin nucléaire soviétique, était mort, à trente-huit ans, d'une leucémie. Irradié par le moteur nucléaire défectueux du submersible. Le 14 décembre 1996, lorsqu'il a été libéré, Alexandre ne s'y attendait pas: c'était la première fois dans toute l'histoire de la Russie qu'un prisonnier accusé de trahison retrouvait la liberté avant son jugement. Pourquoi l'affaire Nikitine ? Parce que celui qui a initié les poursuites, l'actuel commandant de la flotte du Nord et chantre de l'OTAN, l'amiral Ierofiev, est accusé, devant la justice, par son prédécesseur, l'amiral Tchernov, d'être responsable du naufrage, en 1989, du sous-marin Komsomolets. Et que l'amiral Tchernov n'est autre que le beau-père de Nikitine. Parce que, à Saint-Pétersbourg, les responsables du FSB sont des anciens membres du KGB spécialisés dans la répression des dissidents. Parce qu'au niveau national l'ex KGB, auquel Boris Eltsine a redonné ses pouvoirs d'enquête, d'arrestation, de détention, a voulu prouver son utilité après le dés

astre tchétchène et tente de retrouver sa puissance. Parce qu'Alexandre Nikitine réunit beaucoup des défauts qui attisent la haine de ceux dont le fonds de commerce est le nationalisme, la xénophobie etl'antisémitisme: il est un Ukrainien qui travaillait pour des Occidentaux et il est défendu par un avocat juif. Même si aujourd'hui Nikitine est libre, sa lutte n'est pas finie. Le FSB veut un procès, une condamnation, ne serait-ce que pour justifier les dix mois de prison. Iouri Schmidt, l'avocat d'Alexandre Nikitine, pense que le pouvoir se dirige vers une solution de compromis pour sauver la face : Alexandre serait reconnu coupable d'avoir diffusé, par inadvertance, des secrets d'Etat, mais pas de trahison. Il serait condamné à la peine qu'il a déjà effectuée, afin de justifier l'affaire tout en arrêtant le scandale international. Mais, s'inquiète Iouri Schmidt, Alexandre Nikitine pourrait aussi faire les frais de la lutte entre les tendances dures et libérales au sein du pouvoir russe. Ou d'un regain de t

ension dans les relations internationales, notamment à l'occasion de l'extension de l'OTAN à l'Est, qui constitue la toile de fond de l'affaire. Le destin des droits de l'homme et de la démocratie en Russie dépend de la façon-dont l'affaire Nikitine sera réglée, estime l'avocat. BORIS POUSTINTSEV, ex dissident soviétique, président du Comité de soutien de Nikitine, s'inquiète. Comme avant, la population russe, apeurée, désinformée par la télévision, n'a pas réagi. Comme du temps soviétique, Nikitine n'a été libéré que grâce à la pression internationale, dit cet homme de soixante ans, dont cinq ans de camp pour avoir manifesté en 1956 contre la répression soviétique à Budapest. Je ne pensais pas qu'il existait une telle peur dans notre société, s'étonne Alexandre Nikitine. Ses amis n'osent plus lui téléphoner. Sa voisine du dessous, avec laquelle il entretenait des relations amicales depuis trente-cinq ans, fait semblant de ne plus le voir quand elle le croise. Pourtant, Alexandre Nikitine n'a pas peur. Il n'

acceptera même pas une condamnation de principe. Il est prêt à [se] battre jusqu'au bout. Avant, dit-il, je ne croyais pas qu'on pouvait mourir pour une idée. Je pensais que c'était dans les films, un truc de la propagande. Mais, aujourd'hui, je serais prêt. La nuit de sa libération, pour la première fois depuis longtemps, Alexandre Nikitine a rêvé. De la mer du Nord, évidemment. C'était étrange, dit-il les yeux embrumés, j'ai rêvé de sous-marins nucléaires et d'ours polaires.

 
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