VIETNAM: LIBEREZ DOAN VIET HOAT
par Patrick Poivre d'Arvor
Le Monde, mercredi 13 novembre 1997
HANO , ville interdite. C'était il y a peu. Rares étaient à l'époque les journalistes à pouvoir enquêter, témoigner des heurts et malheurs d'un régime sous chape de plomb. Hanoï, ville ouverte. Cela va durer une semaine. Profitez-en. Par centaines, les journalistes du monde francophone vont affluer dans la capitale vietnamienne pour suivre les 29es Assises de la presse francophone, puis la visite d'Etat de Jacques Chirac, et enfin le 7e sommet des chefs d'Etat et de gouvernement des pays ayant le français en partage. Qu'ils aient tous en tête le sort de l'universitaire Doàn Viêt Hoat, qui va commencer sa 20, année de prison et ne sera officiellement libéré qu'en novembre 2005. Il aura alors passé près de la moitié de sa vie en prison. Emprisonné sans jugement pendant douze ans, il fut une première fois libéré en 1988 et ne put s'empêcher de rester fidèle à ses convictions. Il publia clandestinement quatre numéros de sa revue Dien Dan Tu Do (Tribune libre), tirée confidentiellement à une vingtaine d'exemplai
res polycopiés qui circulèrent sous le manteau. C'était déjà trop pour les autorités qui l'arrêtèrent à nouveau il y a tout juste sept ans. On l'accusa d'avoir publié des articles »anticommunistes . Lors de son procès, en mars 1993, il eut cette réponse limpide: »je ne suis contre personne, je suis démocrate, et accepte tout le monde. Il est plus approprié de dire que le Parti communiste est contre moi, parce qu'il est contre la démocratie. La cour n'apprécia pas et le condamna à vingt ans de prison. En appel, la sentence fut ramenée à quinze ans d'emprisonnement et cinq ans de résidence surveillée. Depuis, l'universitaire changea par cinq fois de lieu de détention. Les conditions furent toujours plus difficiles et les camps de travail à chaque fois plus reculés. C'est à Thanh Cam, dans la province de Thanh Hoa, non loin de la frontière laotienne, qu'il est aujourd'hui interné. Je reviens de Thanh Cain. Avec Sébastien Renouil et Patrick Michel, pour TF 1, et Robert Ménard, pour Reporters sans frontières,
qui m'a demandé il y a longtemps de »parrainer Doàn Viêt Hoat, nous avons pu accéder aux portes du camp, après huit heures de route, et même pénétrer quelques instants dans la prison. De maigres bonzaïs atrophiés nous y accueillent. Artificiellement montés en graine le long de tiges de fer, ils prennent la forme de chiens ou d'animaux de compagnie. Leur sort évoque irrésistiblement celui des prisonniers détenus sous un climat insalubre. Remis de sa surprise, un gardien nous conduira poliment vers la sortie et le commandant en chef du camp feindra de ne pas reconnaître le prisonnier sur la photo que nous lui montrons. Il est vrai que l'état physique et moral de Doàn Viêt Hoat inspire les plus vives inquiétudes. Selon RSF, ses jours sont en danger. Seul prisonnier politique de cette pn'-son pour » grands criminels , il est isolé dans une cabane entourée de barbelés. Une fois par jour, un policier lui apporte sa ration, la dépose silencieusement aux pieds d'un homme qu'il croit fou: il ne cesse de parler tout
seul en vietnamien, en français, en anglais... Depuis que son épouse, l'infatigable Tran Thi Thue, a été contrainte de s'exiler aux EtatsUnis avec ses trois enfants, Doàn Viêt Hoat n'a reçu pour seule et unique visite que celle de son jeune frère, Huy Doàn, il y a plus de vingt mois et pour vingt minutes à peine ! Sa femme, invitée aujourd'hui à Paris par Reporters sans frontières - elle doit être reçue à l'Elysée -, témoigne : »Les jours où je suis à l'étranger, au loin, je ne peux plus voir, et apporter des biens à mon mari, je ne peux plus m'occuper de lui, assurer la pincée de sel, le comprimé de médicament, la petite friandise, le vieux journal que je mettais dans le colis pour sa lecture. C'est vraiment une grande privation pour moi. je ne peux plus voir son regard plein de résolution et de sentiment, entendre ses conseils pour moi, nos enfants, nos amis proches et lointains. Il garde constamment la foi dans l'idéal pour lequel il a sacrifié presque toute sa vie: la liberté, la démocratie et les droit
s de l'homme pour le peuple vietnamien. En écho, lui répond ce texte de son mari, qui date de plus de vingt ans (il était à l'époque au camp Phan Dang Luu):
»Sur les cendres du rêve insensé
anéanti
Le pouvoir spirituel et matériel
s'est écroulé
Pour laisser les droits de l'homme
répandre partout les lumières
Dans le monde nouveau que toute
l'humanité attend.
Le peuple vietnamien lance un
appel pour que soit
Fondée la civilisation
Du gouvernement de l'homme
pour l'homme qui
Ouvre l'ère de la grande
concorde.
Il sera difficile aux chefs d'Etat réunis à Hanoï de rester insensibles à ce gouvernement de l'homme pour l'homme. La francophonie, c'est une langue en commun, mais d'abord une culture en partage. Celle de la déclaration des droits de l'homme, de la tolérance et de la liberté d'expression. Pour cette seule raison, libérez Doàn Viêt Hoat.