LE DISSIDENT CHINOIS WEI JINGSHENG EST LIBERE APRES DIX-HUIT ANS DE DETENTION
Pékin s'efforce de donner à l'Occident des gages de bonne volonté
Le plus célèbre dissident chinois, Wei Jingsheng, a été libéré pour raison médicale, dimanche 16 novembre, après avoir passé 18 ans dans les geôles du régime. Il s'est aussitôt embarqué pour Détroit (Etats-Unis) où il a été hospitalisé. Intervenant deux semaines après la visite du Président Jang Zemin aux Etats-Unis, cette libération devrait accélérer la normalisation des relations entre Pékin et les capitales occidentales.
par Frédéric Bobin
Le Monde, mardi 18 novembre 1997
Wei Jingsheng est désormais en homme libre. A défaut de l'être dans son propre pays, il l'est au moins dans l'exil. Figure emblématique de la dissidence, auréolé d'une réputation de combattant intransigeant pour la liberté qui en faisait une sorte de version chinoise de Mandela ou Soljenitsyne, M. Wei esta arrivé, dimanche 16 novembre, à Détroit (Etats-Unis), ou il a aussitôt été hospitalisé. Il avait été libéré une demi-journée plus tôt de sa prison de Tangshan, près de Pékin. Les autorités chinoises ont invoqué une grâce médicalepour justifier cet élargissement qui a été immédiatement applaudi dans les capitales occidentales. Miné par ses dix-huit ans dans les geôles du régime, l'état de santé du plus célèbre opposant chinois était devenu très préoccupant. Wei souffre de problèmes cardiaques, d'inflammation des vertèbres cervicales et d'affection dermatologiques graves. Son visage est boursouflé avec de plaques irritées, et ses yeux sont affreusement cernés et bouffis, affirmait, fin octobre, sa soeur, Wei
Shanshan, exilée en Allemagne. Ses conditions de détention était en outres éprouvantes: toujours selon sa soeur, il était malmené, voir battu, par les autres prisonniers, et la lumière était constamment allumée dans sa cellule de Tangshan.
RETOUR EN GRACE DIPLOMATIQUE
Cette libération, qui pourrait, selon un quotidien hongkongais, être suivie de celle de Wang Dan, porte -drapeau du mouvement étudiant de 1989, ne devrait pas rester sans de conséquences diplomatiques. Elle survient après deux semaine de la visite en grande pompe de Jang Zemin aux Etats-Unis qui a permis au numéro un chinois de se tailler une respectabilité sur la scène internationale, refermant ainsi le chapitre de la mise en quarantaine ouvert au lendemain de la répression de Tiananmen, en juin 1989. La proximité des deux événements suggère que les Américain ont pesé de tout leur poids dans la décision de Pékin. A Washington, comme dans les autres capitales occidentales, une telle libération devrait conforter le tenants d'une politique d'engagement constructif à l'égard du régime chinois, attitude considérée cynique par les organisations de défense des droitsde l'homme. Si marché il y a eu entre Pékin et Washington sur la personne de Wei, on devrait en avoir un premier indice de le printemps prochain à l'o
ccasion des rituels débats au sein de la Commission des Droits de l'Homme de Genève. Jusqu'à maintenant les Américains déposaient systématiquement une résolution condamnant les violations de droits de l'homme dans l'Empire du Milieu. Emboîteront ils dorénavant les pas aux Français, qui se sont refusés, cette année, à s'associer à de telles motions? C'est en tout cas le calcul du régime chinois que l'épine annuelle de la commission de Genève exaspère au plus haut point. Après la reprise de la coopération nucléaire sino-américaine, une retraite en bon ordre des grandes capitales occidentales lors du rendez-vous de Genève consacrerait-le retour en grâce diplomatique de Pékin. Il ne resterait plus, dès lors, qu'à lever un dernier obstacle: l'embargo européen sur les ventes d'armes. Les manoeuvres en ce sens sont déjà bien entamées. Elles vont s'accélérer ces prochains mois. Ainsi le geste de Pékin, au-delà de sa dimension purement humanitaire, se révèle-t-il finalement d'une très grande habilité. C'est tout bén
éfice pour les dirigeant chinois, explique Marie-Holzman, spécialiste des droits de l'homme en Chine et coauteur, avec Noël Mamère, d'une biographie de Wei Jingsheng, Chine, on ne bâillonne pas la lumière (Ramsay, 1996). Wei en prison il risquaient de se retrouver avec un cadavre dans les bras. Mais Wei exilé à l'étranger, il font disparaître un motif de mobilisation de l'opinion internationale car les autres prisonniers d'opinion, que l'on évalue entre mille et deux mille et dont les conditions de détention s'aggravent, sont peu connus. La véritable preuve de libéralisation du régime aurait été la libération de Wei en Chine même. Or le régime n'en est pas encore capable.