Béchir Ben Yahmed
J.A. / 27 janvier
Des lectures africains, des amis de notre continent, me disent qu'ils ne savent plus que penser : la démocratie est-elle en train de s'installer en Afrique, comme certains le disent dans leurs discours, ou bien est-ce le contraire qui est vrai ?
Au cours des dernièrs années, les Africaines ont ils conquis des libertés? Ou bien n'ont-ils de la démocratie, ici et là, que des apparences, un vernis?
La situation est si incertaine- et diverse que vous n'aurez pas la meme réponse à ces questions de deux commentateurs différents, quel quie soit leur effort d'impartialité.
Aussi bien, les trois ou quatre observations que je vous livre ci-dessous n'ont d'autre prétention que d'éclairer quelques aspects d'une réalité complexe.
1) Il y a dix ans encore, à peu d'exceptions près, lAfrique tout entière, noire et blanche, vivait sous la férule du parti unique. cette antithèse absolue. cette indéfendable et arrogante nègation de la démocratie, ne survit aujord'hui qu'hors d'Afrique: dans le Cuba de Fidel Castro, en Corée du Nord où règne encore le fils de Kim Il Sung, et dans la Chine toujours gouvernée par les héritiers de Mao Zedong et Deng Xiaoping.
Plus personne ne s'en réclam en Afrique.
Pour théorique (au sens littéral du terme) qu'il soit, ce progrès n'est pas négligeable.
2) Il faut rappeler ici à ceux qui l'ont oublié (ou l'ignorent) que c'est le Sénégal de Senghor, de Diof et de Wade qui a été le pionnier africain de l'overture démocretique : que le Maroc de Mohammed V et de Hassan II n'a jamais proné ni pratiqué le parti unique et que c'est en Tunisie, avec la destitution de Bourguiba par Ben Ali, le 7 novembre 1987, qu'a été donné le premier coup de pioche dans le dogme du parti unique (Bourguiba l'avait érigé en doctrine).
La démocratie n'est pas une maison ou un vetement qu'on achète et dans lequel on entre du jour au lendemain. C'est une constrution de plusieurs étages dont les fondations sont longues et difficiles à installer, c'est un apprentissage - on peut meme dire un dressage- pour lequel l'environnement et les moyens mis en oeuvre comptent tout autant que les dispositions : certains peuples sont plus doués que d'autre pour la démocratie, comme certains individus le sont plus que d'autres pour les mathématiques.
En démocratie comme dans une course de chevaux, il y a de faux départs, des obstacles devant lesquels on renacle, et des retours en arrière.
4) Qu'avons-nou vu de remarquable sur ce plan en Afrique l'année derniere ?
Au sud du Sahara, nous avons vu, en Centrafrique, un président élu contesté avec violence, et le pouvoir pris par la force des armes au Congo-Kinshasa puis au Congo-Brazaville.
Quant aux élections présidentielles, nous avons vu ici et là- en 1997 et déjà les années précedents- des présidents, bien dotés en savoir-faire, en assurances et en moyens, se faire réélire à coup sur. Ils nous ont donné l'impression d'etre les propriétaires de la fonction, et de n'accepter, que pour le principe et comme un hommage obligé à l'dée démocratique, de se faire "consacrer" par un suffrage plus ou moins contradictoire : Blaise Campaoré, Maaouya Ould Taya, Paul Biya sont dans ce cas. C'est la démocratie sans risque!
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Alors? La démocratie a-t-elle fait des progrès en Afrique au cours des dix dernières années ?
Oui, mais à condition de préciser tout de suite : beaucoup en théorie ; très peu en pratique.
Faut-il désespérer, en ce domaine, de l'Afrique ? Non,car, comme un arbre, la démocratie a besoin d'eau, de soleil, d'engrais, de temps, de chance.
Comme une personne, elle est faible, fragile, menacée tout au long de ses premiers pas par des maladies infantiles qui sont parfois mortelles.
Comme le développement économique, dont elle est parfois l'accompagnement et souvent le corollaire, elle a besoin de paix et d'ordre :
"L'ordre, et l'ordre seul , fait en définitive la liberté. Le désordre fait la servitude", a dit Péguy.
Comme la religion, elle a besoin de vertu-et d'apotres : "Aucun autre forme de gouvernement n'a autant besoin de grands leaders que la démocratie", a dit un politologue.
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Alors, à la question : en Afrique, la démocratie, la vrai, celle qui est installée sans possibilité de retour en arrière, c'est pour quand ?
Ma réponse est : le processus n'est commencé que depuis dix ans, en moyenne (un peu plus ici, un peu moins là). La bouteille se remplit trè lentement. Il faudrait deux générations (un peu plus ou un peu moins) pour que nous puissions dire : elle est en train de devenir pleine.
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Mon courrier élettronique, le fameux E-mail que véhicule le réseau Internet, m'a apporté il y a quelquel jours, sur ce meme sujet précisément, une question délibérément provocante qui m'est posée à partir du Canada:
Est-ce qu vous croyez vraiment que la Tunisie va devenir un pays démocratique avant la fin du monde!!!!!!!!
Je donnerai ici, la semaine prochaine, une réponse spécifique à ce lecteur qui se prénomme Saber (le patient).