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Partito Radicale Centro Radicale - 12 febbraio 1998
Algérie

ALGERIE: GARE AU SYNDROME TIMISOARA

par Bernard-Henry Lévy

Le Monde, jeudi 12 février

DEPUIS quelques jours, des voix se font entendre, qui mettent en garde les intellectuels français engagés aux côtés des démocrates algériens. Ici, on les qualifie d'»éradicateurs . Là, on s'inquiète de les voir, par »naïveté , apporter leur »caution à un régime détestable. Dans tous les cas, des questions sont posées. Le texte de François Gèze et Pierre Vidal-Naquet (Le Monde du 4 février) en offre un assez bon éventail. La personnalité des auteurs, leur passé, leur action en faveur de l'indépendance algérienne, m'incitent à leur répondre. Faut-il dénoncer les » exactions commises, »au nom de la lutte contre le terrorisme ? Oui, bien entendu. Mille fois oui. Mais dénoncer ces exactions, fustiger les violations des droits de l'homme, les tortures dans les prisons, les disparitions, les exécutions extrajudiciaires, etc. chose que font, depuis des années, la plupart des intellectuels en question - ne doit pas dispenser des règles élémentaires de rigueur intellectuelle. Où Gèze et Vidal-Naquet ont-ils vu, p

ar exemple, des » villages entiers rasés par l'armée ? Où ont-ils pris que ce sont des »dizaines de milliers de familles dont »un ou plusieurs membres sont » morts sous la torture et les balles de l'armée algérienne ? Savent-ils ce qu'ils disent quand ils affirment, eux, les contemporains des guerres du Vietnam, d'Afghanistan, du conflit Irak-Iran, que l'»usage du » napalm par ces forces de sécurité est »sans beaucoup de précédents depuis un demi siècle ? On sent la fièvre des auteurs. On sent l'amour déçu. Mais gare au syndrome Timisoara. Gare, en grossissant le trait, à ne pas desservir la cause qu'ils veulent - que nous voulons tous - défendre: les chiffres et les faits sont assez terribles pour que la passion n'en rajoute pas... Les intellectuels français apportent-ils, »même avec des pincettes , leur soutien à » une armée de tortionnaires corrompus ? L'accusation, formulée en ces termes, est quasiment diffamatoire. Et, pour la plupart des intellectuels visés, pour tous ceux qui n'ont cessé, de

puis six ans, de dénoncer aussi les crimes du pouvoir (à commencer, soit dit en passant, celui d'avoir laissé monter, puis s'installer, l'islamisme radical à Alger), elle est, de surcroît, parfaitement absurde. Reste que dénoncer est une chose, mais diaboliser en est une autre. Et je trouve, là encore, étrange, pour ne pas dire irresponsable, la façon qu'ont les auteurs de prendre ce pouvoir d'Alger comme un bloc, uniformément » tortionnaire et » corrompu . il y a, en Algérie, des militaires qui ressemblent à ceux que décrivent Gèze et Vidal-Naquet. Mais il y en a d'autres. Il y a des officiers républicains, voire démocrates, qui partagent notre dégoût de la » politique du chalumeau . Il y a, dans la sphère du pouvoir, des hommes qui veulent eux aussi une Algérie luttant contre le terrorisme dans le respect strict des règles du droit. Condamner les exactions des uns, c'est bien. Les mettre dans le même sac que les autres, confondre le militaire cynique qui met cinq heures avant d'arriver à Bentalha et ce

lui qui, à Larbâa, surgit au bout de quelques dizaines de minutes et pleure, comme vous et moi, au spectacle d'un bébé mutilé, voilà qui devient inutilement humiliant et haineux. Pourquoi, au nom de quelle vision schématique - et datée - de l'Algérie, refuser de voir les dissension, les contradictions qui, depuis 1988, n'ont cessé de travailler la société civile et politique de ce pays ? Ce pouvoir » tortionnaire et corrompu n'est-il pas à l'origine des massacres ? Quid de ces militaires qui, »déguisés en barbus , sème-raient la terreur dans la Mitidja ? Tout est possible, évidemment. Mais passer du possible au plausible, s'appuyer sur des rumeurs ou des ragots pour fonder une analyse, voilà qui paraît, à nouveau, bien périlleux. Les gens du GIA revendiquent leur barbarie. Quand ils ne la revendiquent pas, ce sont les survivants des massacres qui les reconnaissent et les désignent. Pourquoi, en attendant les »preuves irréfutables dont Gèze et Vidal-Naquet admettent qu'elles n'»existent pas, ne pas se con

tenter de ces témoignages ? Nos auteurs brandissent, sous le nez de leurs adversaires, le redoutable spectre d'un » négationnisme de type nouveau. Comment qualifiera-t-on, à ce compte, l'attitude de ceux qui, depuis Paris, forts de confessions inconsistantes et de rumeurs oiseuses, feraient taire l'humble récit de ceux qui ont vu, une nuit, le visage de leurs assassins : »Non, vous n'avez rien vu à Bentalha... ? Le lien, justement, de ces crimes à la mémoire algérienne ? La part respective, dans leur genèse, de l'islam et de l'histoire de la colonisation? Nous sommes tous d'accord pour dire qu'il serait tragique d'»assimiler l'islam aux atrocités commises en son nom - encore que Gèze et Vidal-Naquet aillent vite en besogne quand ils réduisent ces crimes théologico-politiques à des menées purement mafieuses. Pour le reste, je ne suis pas historien et serais bien en de mesurer le poids de cette » longue histoire de violences et de vengeances qui »commence en 1830 . Mais d'une chose je suis sûr. A remonte

r trop haut, à trop jouer à ce jeu de la mauvaise origine et de l'explication ultime, on arme un terrible piège où s'émousse toujours, à la fin, ce que le crime avait d'horrible, d'irréductible à toute raison. Auschwitz était-il dans le traité de Versailles ? Staline dans Brest-Litovsk ? Et les femmes de Relizane seront-elles avancées le jour où elles comprendront que les assassins de leurs fils, de leurs maris, sont les lointains descendants du bey d'Alger et de Bugeaud? Excuser en expliquant... Banaliser le crime en le diluant... Enfermer le meurtre dans une chaîne de raisons si serrée qu'il en devient, de proche en proche, nécessaire, puis naturel... Ce n'est pas ce que veulent, sans doute, Gèze et Vidal-Naquet. Mais c'est pourtant bien ce qu'ils font quand, au détour d'un paragraphe, tout à leur manie déductive, ils décrivent les bouchers du GIA comme de »jeunes révoltés animés seulement par la pure logique du désespoir . On croit rêver.. Comment considérer ces tueurs ? Comment, au-delà même du GIA, trai

ter ceux qui les ont idéologiquement inspirés ? Gèze et Vidal-Naquet sont partisans du » dialogue . Moi aussi. Mais je ne me sens pas le droit, contrairement à eux, de recommander le dialogue sans conditions avec des gens qui, hier encore, prêchaient le meurtre des civils et de la démocratie. Quelles conditions alors ? Le renoncement sans équivoque ni réserve à la politique du crime; la restitution immédiate des armes détenues, dans les maquis, par les GIA et l'AIS; la disqualification théologique des crimes: ces âmes égarées à qui l'on a répété qu'elles se rapprochaient de Dieu en assassinant des nourrissons, il faut leur dire maintenant que c'était une ignominie, un sacrilège épouvantable, un blasphème - il faut édicter des manières d'» anti-fatwas d'où il ressorte que ces meurtres étaient attentatoires au Coran; dernière condition: un acte publique, de repentance au terme duquel tous les leaders de l'islamisme politique, à Alger et en exil, demanderaient pardon, non seulement aux victimes, mais au peup

le algérien tout entier et, au-delà de lui, à l'ensemble des croyants dont ils ont insulté la foi... C'est trop exiger? C'est ce qu'attendent les intellectuels, les femmes, les démocrates, les journalistes indépendants, les simples gens, d'Alger. Faut-il, en attendant, défendre le principe des »groupes armés d'autodéfense ? Ne prend-on pas le risque d'alimenter davantage encore la » spirale de folie ? Le danger existe, c'est certain. Aucun démocrate ne se résoudrait, de gaieté de coeur, à voir un Etat abdiquer son »monopole de la violence . Mais la théorie webérienne de l'Etat est une chose. L'urgence en est une autre. Chacun sait bien qu'il y a des situations d'urgence où cette sage théorie de l'Etat peut, et doit, céder la place à la théorie, tout aussi républicaine, du »peuple en armes . Ce fut vrai en d'autres temps, sous d'autres latitudes. Ce fut vrai, en Algérie même, quand fi fallut lutter contre le colonialisme. Ce qui était juste alors ne le serait plus aujourd'hui ? Ce qui valait dans la lut

te contre les Français ne vaudrait plus dans la résistance au GIA ? Tous ceux qui sont allés, récemment, en Algérie savent que la seule façon de protéger les douars isolés est d'armer les citoyens. Partout où l'on refuse des fusils aux villageois, les assassins profitent de leur faiblesse et frappent impunément; partout où, comme en Kabylie, on a fait confiance au peuple, les assassins ont reculé. L'Etat encore. A-t-il »définitivement renoncé à garantir la paix civile? Il me semble que. Il me semble honnête de reconnaître qu'il y a des zones du pays où il est parvenu à maintenir ou rétablir un ordre provisoire. Mais, à la limite, peu importe. Notre devoir, nous, intellectuels, n'est pas de lui donner des brevets de bonne conduite mais d'exiger de lui qu'il fasse toujours davantage. Notre responsabilité, celle des journalistes, celle, aussi, de nos dirigeants politiques, est de braquer les projecteurs sur une armée qui, face à une agression terroriste sans précédent, a eu spontanément tendance à se replier s

ur ses bases, à sanctuariser ses propres casernes, puis le pays utile - notre responsabilité, donc, est de lui dire: »Il n'y a pas d'Algérie utile et d'Algérie inutile; le sang d'un paysan de Raïs vaut celui de vos soldats; ce que vous faites pour Arzew, ces périmètres de sécurité autour de vos oléoducs, il est de votre devoir de les établir autour, par exemple, de Larbâa. Faisons un rêve. Imaginons que Gèze, Vidal-Naquet, d'autres, renoncent aux procès d'intention, à la politique du mépris et du renvoi dos à dos. Imaginons qu'ils oublient, ne fût-ce qu'un moment, l'image - impossible à vérifier - du » militaire déguisé en islamiste . Supposons alors que, tous ensemble, négligeant provisoirement nos désaccords, nous appuyions les démocrates algériens dans le seulv combat qui compte: mettre l'armée en demeure de faire son métier, juste son métier, qui est de protéger les civils. Réalité contre fantasme. Exigence démocratique contre politique du pire. Peut-être suis-je » naïf , en effet. Mais le » dreyfusa

rd qui sommeille en moi a le sentiment qu'il n'y a pas d'autre choix dans le combat contre les Khmers verts.

Bernard-Henri Lévy est écrivain.

 
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