Visite d'élus européens: un succès pour le pouvoir algérien
par Stéphane BARBIER
AFP, le 12 février 1998
La visite des neuf élus européens en Algérie, qui ont quitté Alger jeudi, a été un succès pour le pouvoir algérien qui leur a laissé une certaine liberté en échange d'un engagement de leur part de refuser tout contact avec le FIS (interdit). Le dernier jour de leur visite a été marqué par trois attentats à la bombe dans Alger et sa périphérie qui ont fait deux morts et 28 blessés, selon des bilans officiels, ainsi que par l'interdiction d'une manifestation d'un parti d'opposition, le Front des forces socialistes (FFS). Le président de la délégation, le Français André Soulier (conservateur) qui a à plusieurs reprises pendant son séjour salué le "vent de liberté" qui souffle sur l'Assemblée nationale algérienne où est représenté le FFS, a refusé de condamner l'interdiction de cette manifestation. En dépit de cette interdiction, plusieurs centaines de personnes se sont néanmoins rassemblées dans le centre d'Alger mais ont été empêchées de manifester par d'imposantes forces de police. André Soulier, qui a déclar
é avant son départ que les interrogations sur une éventuelle implication de l'armée dans les massacres de civils avaient été "balayées", a réjoui le pouvoir algérien en détruisant sans le lire un message du FIS. Ce message lui avait été transmis par le président de la Ligue algérienne de défense des droits de l'Homme (indépendante), Abdenour Ali Yahia, présenté comme "l'avocat du FIS". En accord avec tous les membres de la délégation, y compris le député vert allemand Daniel Cohn-Bendit favorable au dialogue avec ce mouvement, André Soulier a dit avoir agi ainsi pour ne pas rompre l'engagement donné aux autorités algériennes de refuser tout contact avec le FIS pendant le séjour des élus à Alger. En échange, le pouvoir laissait la délégation rencontrer tous les interlocuteurs qu'elle souhaitait, ce qui s'est effectivement passé. Venus afin "d'écouter pour comprendre" la situation en Algérie où la violence a fait des milliers de morts depuis 1992, les élus avaient également l'espoir d'obtenir un geste du pouvo
ir algérien concernant la situation des droits de l'Homme dans ce pays. Ils sont arrivés avec deux idées susceptibles de faire bouger les choses en ce sens: possibilité d'ouvrir en Europe une enquête sur les réseaux de soutien au "terrorisme" islamiste et levée de l'embargo de fait sur la livraison de matériel de lutte anti-terroriste qui pèse sur l'Algérie depuis six ans. Le pouvoir algérien accepterait en contrepartie de faire preuve de plus de transparence sur les cas de tortures, les disparitions et les exécutions. Si les élus européens sont allés dans le vif de ce sujet sensible avec leurs homologues de l'Assemblée nationale algérienne ainsi qu'avec le ministre algérien des Affaires étrangères Ahmed Attaf, qui ont reconnu qu'il pouvait y avoir des cas de "dépassements", ils n'ont obtenu aucun infléchissement de leur part. Sensible à la volonté de ses interlocuteurs de bien vouloir prendre en considération sa demande de démantèlement des réseaux de soutien au terrorisme en Europe, le pouvoir algérien n'a
pas bougé d'un pouce sur la création d'une commission d'enquête internationale sur les droits de l'Homme. Prenant acte que le parlement algérien est un véritable "espace de dialogue et de liberté" sur lequel il faut s'appuyer pour accélérer la démocratisation de l'Algérie, la délégation lui a demandé d'exercer également "son pouvoir de contrôle" en mettant lui-même en place une telle commission. Certains élus, dont Daniel Cohn-Bendit, attendent la publication en mars d'un rapport de l'Observatoire algérien des droits de l'Homme (officiel) sur la situation des droits de l'Homme en Algérie. Ce rapport, qui doit être envoyé à l'ONU, sera comparé avec les informations détenues par des membres de la délégation, dont la Belge Anne André-Léonard (libérale), et d'autres organisations comme Amnesty International, a dit M. Cohn-Bendit qui souhaite ainsi impliquer "les structures et institutions algériennes que nous prenons au sérieux".