Silence total à Tunis après la condamnation du vice-président de la LTDH
AFP, le 12 février 1998
Un silence total prévalait jeudi à Tunis au lendemain de la condamnation du vice-président de la Ligue tunisienne des droits de l'Homme (LTDH), Khémaïs Ksila, à trois ans de prison par la justice tunisienne, alors que plusieurs organisations étrangères dénonçaient cette sanction. Le responsable de la LTDH a été condamné mercredi par un tribunal correctionel de Tunisie à une peine cumulée de trois ans de prison ferme, avec une amende de 1.200 dinars (environ 1.050 dollars), pour "diffamation de l'ordre public", "propagation de fausses nouvelles de nature à troubler l'ordre public" et "incitation des citoyens à transgresser les lois". Des avocats de la défense, qui vont faire appel de ce jugement, ont estimé qu'il s'agissait d'une "lourde peine", M. Ksila ayant été condamné au maximum prévu par la loi pour de tels chefs d'accusation. Cette condamnation n'a suscité jeudi aucune réaction de la LTDH, au sein de laquelle M. Ksila milite depuis 1989, ni de commentaires des milieux politiques à Tunis. La même discré
tion était observée jeudi par la presse locale qui a fait l'impasse sur toutes les péripéties de l'affaire. M. Ksila, 41 ans et père de trois enfants, avait été arrêté le 29 septembre dernier à Tunis après avoir commencé, le jour même, une grève de la faim en publiant un communiqué très critique à l'égard du pouvoir et de la situation, selon lui, des droits de l'Homme en Tunisie. Dans ce communiqué intitulé "déclaration à l'opinion publique nationale et internationale" il se plaignait des "tracasseries" auxquelles il aurait été confronté et réclamait notamment le rétablissement de ses "droits au travail et à son passeport confisqué, le droit de circuler librement et le droit à une sécurité personnelle". Il y affirmait également qu'il avait été privé de ces droits, en raison de son "action militante dans les rangs du mouvement démocratique tunisien et de (ses) responsabilités et prises de positions" au sein de la LTDH. Il y dressait aussi un véritable réquisitoire contre la situation des libertés, estimant qu
e le pouvoir s'emploie "à quadriller toute la société, éliminer toute opinion dissidente", alors que "parallèlement, la plupart des institutions et des organisations de la société civile ont été satellisées". Lors du procès, qui s'est déroulé en présence notamment d'une soixantaine d'avocats de la défense, M. Ksila a rejeté les accusations, affirmant qu'il s'agissait d'un "procès d'opinion" et qu'il n'avait fait que "procéder, en tant que citoyen, à une évaluation de la situation des droits de l'Homme dans le pays". Des organisations étrangères de défense des droits de l'Homme, parmi lesquels la Fédération internationale des Ligues des droits de l'homme (FIDH), dont le siège est à Paris, ont réclamé dans des communiqués publiés jeudi à Paris la libération du vice-président de la LTDH. Pour la FIDH, la condamnation de M. Ksila "s'inscrit dans le cadre d'une aggravation des persécutions, vexations et intimidations de toutes sortes exercées à l'encontre des défenseurs des droits de l'Homme". L'affaire de M. Ksi
la intervient après les procès intentés en 1996 aux opposants Mohamed Mouada et Khémais Chammari condamnés respectivement à 11 ans de prison pour "intelligence avec un Etat étranger", la Libye, et à cinq ans pour divulgation du secret de l'instruction dans l'affaire Mouada. Ils ont été mis en liberté conditionnelle le 30 décembre 1996. Deux semaines auparavant, l'avocat tunisien militant des droits de l'Homme Najib Hosni avait bénéficié d'une mesure similaire après avoir été condamné à huit ans de prison en 1996 pour "faux et usage de faux" dans une affaire foncière. Les autorités tunisiennes ont régulièrement affirmé, en réaction aux critiques d'organisations internationales des droits de l'Homme dénonçant des procès politiques, qu'il n'"existait pas de procès, ni de prisonniers politiques" en Tunisie et que de telles affaires étaient jugées par des tribunaux civils "pour délits de droit commun avérés".